dimanche 18 septembre 1994

Alma Mater (18) Cène tragique


Naples 1943


La famille se trouvait réunie au complet pour le dîner. Le dîner se dit en italien "la cena", vocable dont a hérité le français dans les Evangiles. Siégeant comme un tribun en ses comices, le père tenait l’extrémité de la table, présidant à la discipline du repas. 
Soudain, des clameurs confuses s’élevèrent au-dehors. On entendit des pas précipités s’éparpiller dans les ruelles, battements froissés d’une volée de moineaux, s’engouffrer dans les arrière-cours, disparaissant dans des claquements de portes et de fenêtres. En quelques secondes, le centre du village s’était vidé comme une kermesse sous l’orage. Seule, suivie d’un chien tranquille et indifférent, une petite vieille en noir, dont le dos courbé ne lui permettait pas de presser l’allure, s’attardait péniblement. 
Un silence pesant précéda, d’abord faibles et lointains, des ronflements de camions, qui peu à peu enflèrent dans un vacarme assourdissant. Une dizaine de ces engins débouchèrent de la Via Appia au milieu d’un tourbillon de poussière, avant de s’immobiliser sur la grande place,
Pour comité d’accueil, l’étal abandonné du marchand de « gelati » dans un désert jonché de chaises en désordre sur les pas de portes. 
Aussitôt, des vociférations rauques et sonores retentirent parmi des cliquetis de métal, un fracas de ridelles abattues, et le martèlement précipité d’un piétinement de bottes. Un essaim de casques d’acier déversé des sombres véhicules bâchés se répandait de manière fulgurante et méthodique pour investir les lieux. 
En un instant, mes grands-parents eurent compris : Enzo, Raffaele, fuyez par le grenier, partez vite vous cacher chez la zia Maria ! 
En deux enjambées, les aînés de la famille voltigèrent au premier étage, poussés, pressés par leurs parents affolés vers la petite sortie d’où ils pourraient rejoindre le sentier menant hors du village vers les Figliarini. 
Tout autour de la maison, le bruit des bottes s’amplifiait, saccadé et omniprésent, ponctué de ces terribles vociférations qui détonaient dans l’air comme des aboiements de dogues. Un concert de cris aigus, de plaintes et de pleurs terrifiés s’échappait maintenant de toutes parts. Frappant violemment contre les portes, brisant les vitres à coups de crosses de fusils, les Verts-de-Gris faisaient irruption dans les foyers, bousculant femmes et enfants, brutalisant les hommes et se livrant à toutes les exactions du Vandale et de l’Hérule en terre romaine. 
Depuis plusieurs jours, l’armée allemande opérait des razzias dans les villages autour de Naples et de Caserte, et l’arrivée de cette soldatesque n’était plus une surprise. Au motif que le peuple italien était toujours « l’ami » de l’Allemagne, les reîtres raflaient le maximum d’hommes valides pour les incorporer dans leurs rangs ou les envoyer en Allemagne pour les soumettre au travail obligatoire. Ils  en remplissaient des camions entiers qui partaient rejoindre le front d’où on ne les vit plus revenir. 
Faisant flèche de tout bois dans la précipitation de leur retraite générale, ces hordes pillaient et dévastaient tout ce qu’elles trouvaient sur leur passage. 
Dignes descendants de cette race de barbares décrite par Tacite, ils avaient bien la férocité de ces peuples hercyniens que les bienfaits de la civilisation n’ont pas encore effleurés : incendieurs de chaumières et de cathédrales, iconoclastes wisigothiques, assassins d'enfants et destructeurs s’adonnant avec jubilation à la brutale sauvagerie comme des esthètes s’adonnent naturellement aux Beaux Arts, qui eût pu deviner en ces butors hargneux au jargon tribal effroyable, les fils de Goethe et de Schiller, de Jean-Paul et de Novalis, chères âmes de la civilisation du romantisme où se mirent nos rêves nostalgiques ? 

Mai 1994 

Le martèlement des bottes se rapprochait inexorablement comme le grondement d’un troupeau de bétail. Quelques secondes encore, puis ce fut l’irruption fracassante d’hommes casqués et armés face à des enfants et leurs parents sans défense. Vision de guerriers lourdement harnachés et luisants d’éclairs de fer, rappelant les figures terrifiantes de lointains temps apocalyptiques, répandant le désastre et la mort comme les Erinyes surgies des enfers sèment le châtiment sur les cités humaines. 
Un souffle de panique s’engouffra dans la maison, s’abattant sur les enfants épouvantés qui poussèrent de longs cris stridents. Les parents, atterrés, éperdus d’angoisse et d’effroi, adjuraient, imploraient on ne sait quelle clémence de ces sinistres bourreaux.
Le père fut entouré, bousculé, pris à partie. Un reître lui aboya au visage des gutturales et des diphtongues furieuses tandis que ses acolytes fouillaient partout dans les pièces, ouvrant portes et trappes de soupentes à grands coups de bottes et de crosses. Ils venaient chercher les fils de l’Homme, les enfants de la Louve, pour les entraîner, à peine dévêtus de la toge prétexte, dans leurs hordes funestes, alimenter de leur chair la phalange des sacrifiés dont se repaît le Moloch. 
Leur perquisition restée vaine, les Teutons exaspérés voulurent mettre la main sur mon grand-père, le traîner avec les autres malheureux qui déjà étaient rassemblés sur la place, houspillés par la fureur des chiens de garde et le canon des mitraillettes. 
Ce fut alors un redoublement de cris, de pleurs et de plaintes hystériques. Mais un ordre sembla jaillir du groupe et les soldats avisèrent aussitôt les objets en cuivre qui meublaient les murs et les étagères : batterie de casseroles et autres ustensiles de cuisine (le cuivre intéressait les Allemands pour l’industrie de guerre) furent délogés dans un tintamarre désespérant. Au milieu de toute cette confusion, une bassine d’eau bouillante dégringola du fourneau, aspergeant dans une brûlure atroce la petite Rita, alors âgée de deux ans, qui conserva toute sa vie de cette épreuve une affreuse cicatrice agrippée au ventre, ses stigmates de la guerre. 
De telles images de brutalité et de violence marquent à jamais l’innocence sacrée de l’enfance. 
Les soldats étaient finalement repartis, les jappements des molosses, les piétinements et les cris de la troupe, étaient emportés dans le grondement de ces camions maudits s’éloignant pour toujours. Une odeur de cuir, de graisse, de sueur et de ferraille emprégnaient encore l'atmosphère de la pièce dévastée. La guerre se poursuivait sur d’autres scènes, laissant derrière elle, dans les sillages ravinés par le passage de ses fourgons, des ruisseaux de solitude et de larmes. 
La vie était appelée à reprendre paisiblement ses droits, à se reconstituer comme un arbre ravagé par la tempête renaît peu à peu de ses blessures, plus vigoureux et raffermi. 

Septembre 1994 







lundi 7 mars 1994

Alma Mater (17) A l'ombre du Vésuve


Je revois la beauté rêche de ces paysages du Sud, les terres sillonnées de l’araire millénaire aux teintes crues de bleu et de jaune mêlés, douces et violentes à la fois, comme une toile tourmentée de Van Gogh Et ces dos courbés sur le sol avide des caresses du ciel, ces dos rouges et brûlés comme la terre phlégréenne que leur peine épouse, leurs silhouettes ont des gestes inscrits dans le rythme lent de l’Histoire. 
Vieille terre de Campanie façonnée par la main des anciens peuples austères et magnifiques; terre hantée de songes mythiques, où frémit encore le souvenir d’un temps qui fut, dit-on, un délice de paix et d’harmonie ; terre qui recueillit dans ton éternité, l’hospitalité des hommes et la reconnaissance des dieux; que tes jardins soient toujours fertiles et fertiles le cœur de tes fils; que les larmes de leurs souffrances comme les témoignages de leur félicité ensemencent toujours l’amour qu'ils te portent, l'amour de ton esprit et de ta chair, dans la continuité des jours radieux. 
Puis le Vésuve s’élève au-dessus des hommes, au-dessus de l’Histoire, dans sa masse bleutée qui encercle l’horizon. Sa silhouette rappelle celle d’un géant protecteur aux courroux parfois impitoyables, quelque chose comme une acropole grandiose, un mont Ida où règnent les vents froids, refuge du sacré où repose la mémoire collective, où se nourrit la source du divin qui se répand, pleine de fraîcheur, dans le fond de l’âme humaine.
La lave durcie qui en recouvre les flancs jusque dans la plaine de Naples, est celle-là même qui engloutit jadis Stabbia et Herculanum, et Pompéi, l’ancienne cité des Osques. 
De la semence de la mort se sont fondées d’autres terres de labour, se sont dressés d’autres vignobles, ont germées encore plus belles et plus fortes, d'autres renaissances ; sur ces rides noires du Temps arrêté ont grandi des bouquets de pins et d’ifs et ont éclos des fleurs odorantes qui se balancent au souffle de l’Euros. 
Ecoutez la frayeur de cette nuit sombre et rougeoyante, écoutez la terre qui tremble sous le haussement d’épaule d’un Titan : les cris de terreur, le mouvement précipité des foules, qu’attise le vent brûlant de la panique. 

Cette nuit-là, Tiberius Lucius et son compagnon, Caïus Aulea, revenaient de Naples en direction de leurs domaines de Vicus et de Magdalonae, situés au Sud-Est de Capoue. 
Les dalles de la Via Appia résonnaient lourdement sous les roues du carpentum conduit par deux chevaux blancs de Commagène. Des fanaux jalonnaient de loin en loin la route aux portes des bourgs.
En cette fin du mois d'octobre, une douceur inhabituelle avait régné toute la journée sur la ville blanche et la campagne environnante. Le Vésuve s’était auréolé d’une épaisse teinte de plomb et le peuple napolitain impressionné par ce phénomène, murmurait avec superstition que Vulcain, annonce d’un prochain désastre, avait rallumé ses forges. La nuit allait bientôt tomber; les deux cavaliers distinguaient au Sud-Est un nimbe rougeoyant enveloppant la masse lointaine du Vésuve et la baie de Naples. Ils s’arrêtèrent un instant pour contempler le spectacle étrange qui s’offrait à leur regard dans les dernières lueurs sulfureuses du jour.
Près de la taverne où ils étaient arrivés un groupe de voyageurs s’était formé sur la route et gesticulaient à la lueur des lanternes. Des citoyens de toutes conditions, des esclaves, des femmes et des enfants se tenaient rassemblés autour d’autres personnages à l’apparence plus importante, sans doute de riches négociants, gros propriétaires et magistrats ayant entretien de clientèle, aux mains délicates et aux cheveux frisés, qui s’agitaient en parlant fort, ne sachant quel parti prendre dans l’incertitude du péril qui se dessinait. 
D’aucuns pensaient qu’une mêlée formidable de fer et de feu se déchaînait contre un envahisseur, comme au temps de guerres funestes contre Pyrrhus et Hannibal, ou que des factions chrétiennes livraient la ville à l’incendie et au pillage. D’autres, plus bigots, se représentaient avec frayeur le courroux des dieux châtiant l’impiété et la débauche, et invoquaient à grands gestes leurs déesses patronales. D'autres encore, plus réalistes, accusaient tout simplement le volcan de déverser les brandons de sa colère. 
Les deux compagnons avaient quitté Naples une heure auparavant, ses rues trépidantes et populeuses au-dessus de la mer étincelante, pour s'éloigner en direction des grandes plaines fertiles et des collines du nord.
De nombreux citoyens, lorsque serait bientôt passé l'heure des affaires, s'apprêtaient à rentrer chez eux dans la digne intimité des atriums ou celle, plus modeste des insulae turbulentes ou de leurs manses campagnardes; d’autres, aussi nombreux, après avoir passé la journée au Forum à intriguer, à courtiser les vaniteux, songeaient à prolonger la comédie sociale en se rendant aux thermes où ils s'immergeraient avec délectation dans les bassins des caldariums, devisant prudemment de politique, flattant plus puissant qu'eux dans l'espoir d'en recueillir un profit ou une faveur.  D'autres, artisans, gens de labeur, s'impatientaient à franchir la porte des tavernes bruyantes et plébéennes pour s'égayer, jusqu'à la nuit avancée, du vin noir de Falerne. D'autres encore, rôdant au fond des quartiers borgnes, allaient bientôt se vautrer dans la luxure et l'impudicité de débauches innommables. Mais le cours des événements allait en décider autrement.
Depuis deux jours, Tiberius et Caïus recevaient l’hospitalité de leur ami, Titus Audrius, qui appartenait à une riche famille sénatoriale de Rome, et avec lequel ils s’étaient liés pendant leurs études communes en Grèce. 
Sa superbe villa à colonnades, perchée sur le flanc du Pausilippe et entourée de magnifiques jardins, surplombait la mer qui ronflait dans les entrailles de la falaise. 
D’une grande pergola ombragée et festonnée de pampres que l'automne avait coloré de rouille, la vue plongeait dans l’espace marin qui s’ouvrait entre deux bouquets de citronniers et de figuiers. La nappe bleue poudroyante fusionnait au loin avec la ligne imperceptible de l’horizon dans l’éther presque incandescent du ciel. Une brise venue du large répandait ses coulées de fraîcheur dans les bassins miroitants du jardin où l'eau dansait sur les mosaïques. 
Mais en fin d'après-midi, une chape nébuleuse s’était appesantie au-dessus de la ville, voilant la lumière du jour comme par un prodige. 
Le Vésuve, crachant bientôt ses premières langues de feu, semblait noyé dans un nuage sombre prenant peu à peu de l’ampleur jusqu’à obscurcir la plaine phlégréenne qui s’étendait à ses pieds. 
C’est une ville en proie aux premiers effets de la panique que quittèrent les deux compagnons en prenant précipitamment congé de leur hôte, qui lui aussi s'avisait de fuir après avoir fait affréter prestement sa raeda et donné les ordres d'évacuer. La foule se pressait dans les rues, en quête de refuge dans les temples pour y prier la clémence des dieux ou bien fuyant par instinct, au hasard, en direction de Cumes à l'ouest, ou de l'Ager Campanus au nord, ou bien en direction des plages où de nombreuses barques déjà se rassemblaient. Tiberius et Caïus durent se frayer un passage pour rejoindre la route où ils se trouvaient désormais, à la nuit tombée, près d'Aversa, au nord de Naples. 
Soudain, un grondement sourd se fit entendre au loin et se répercuta comme une vague en tremblant sur le sol. L’horizon était chargé d’une lueur de braise. Des cris de terreur s’élevèrent du groupe de voyageurs qui se dispersa soudain sur la route. Les chevaux de Tiberius bronchèrent un instant, les oreilles rabaissées, l’œil effaré, les flancs baignés de sueur. D’autres grondements ébranlèrent successivement la terre et les cris d’épouvante s’élevaient de plus en plus nombreux autour de la route. Des groupes d’hommes et de femmes, venus des campagnes, abandonnant leurs maisons, se précipitaient dans une fuite aveugle et désordonnée, hors du péril que représentait à l’horizon, mais semblant tout proche, le rougeoiement du volcan. 
Tiberius fit claquer son fouet et le char repartit aussitôt en direction de Capoue, laissant loin derrière lui Cerbère, le chien des enfers, semant la mort et la désolation sur la terre des hommes. 



Cette nuit-là l’horizon était chargé d’une lueur de braise. La population entière du village s’était pressée sur les terrasses et les balcons pour contempler, en direction de la mer, un étrange et terrible spectacle. 
Un déluge rougeoyant descendait du ciel, strié d’éclairs immenses et ponctué de coups de tonnerre : l’aviation alliée bombardait Naples. 
Passablement estompé par la distance, ce déferlement apparaissait comme une traînée rouge, orange et noire écharpant l’orbe de l’horizon et au centre de laquelle se devinait un point violent d’incandescence brûlant au-dessus de la ville. 
Naples, le temple de Parthénope, les jardins de Virgile, livrés à l’incendie et au carnage ! La pierre arrachée à l’œuvre millénaire tombe et s’effondre en gravats ; le fer rougit dans le feu et le sang du martyre ; et l’azur s’obscurcit sous la fureur aveugle des anges noirs. 
Voici venue l’heure où l’opérette mussolinienne succombe aux effets de l’incantation. Les cendres remuées du passé mythique ont semé la catastrophe et l’humiliation. L’ombre invoquée des légions conquérantes s’est effacée sous les blindés du Germain, le fantôme de Rome s’est évanoui dans le tumulte d’un cataclysme qui le submerge. Le sol de l’Italie reçoit le choc le plus terrible depuis sa lutte contre Hannibal ou Alaric ; le sort du monde moderne s’accroche désormais durant de longs mois dans les montagnes escarpées de l’Appenin et sur les rives péninsulaires de ce qui fut la Grande Grèce, le rêve radieux. 
Dix peuples s’y affrontent avec acharnement dans un combat titanesque contre le nouveau barbare, le reître brutal au casque d’acier. 
Quant au peuple italien, héritier de Janus au double visage, maître et civilisateur du monde, ballotté, égaré, broyé dans la secousse de la bataille, il subit l’outrage de l’invasion entre ses tombeaux entr’ouverts et ses temples impuissants. 


Honorius/ les Portes de Janus/ 01 septembre 1993 


Les bombardements se succédaient autour de Naples, dans la région de Cancello et de Santa Maria a Vico. Les Allemands y tenaient des dépôts de matériels et de munitions. Des obus avaient été entassés le long des chemins, comme des billes de bois. Ma mère et ses jeunes frères y jouaient en toute inconscience comme sur les chicanes des jardins d’enfants. Parfois, après une alerte aérienne, au cours de laquelle toute la famille était descendue aux abris, l’oncle Raphaël, âgé d’à peine dix sept ans, revenait d’escapade, se targuant d’avoir tranquillement mangé des figues aux arbres sous l’ombre menaçante des chasseurs et des bombardiers. 
L’oncle Raphaël, celui par qui le « scandale » arriva, l’ombrageux, l’insolent, le téméraire ! 
N’était-ce pas là, encouragée par la cacophonie et le désordre du monde, une de ces manières désinvoltes de l’impatiente jeunesse, de défier par une espèce de mépris ou d’indifférence, les cercles pesants de la morale et de l’autorité ? 
Car cette société patriarcale qui marquait encore l’Italie rurale de cette époque, fortement enracinée dans les profondeurs de la tradition catholique, ne concevait pas l’existence humaine comme liberté, mais avant tout comme devoir ; devoir de servir, jusque dans l’art entêté du sacrifice, les nécessités d’une cohésion sociale dominée par les personnalités infaillibles du prêtre, du médecin et du notaire, ces deux derniers étant très souvent le "sindaco", autrement dit le maire. 
Il y a certainement quelque chose d’un rude atavisme sabellien dans cette obstination apportée en toute chose, et en particulier dans ces préjugés collectifs envers la morale et la religion, une sorte de dévotion lyrique pour la vanité démonstrative des superstitions sociales. 
Aussi, qu’espérait-on, que rêvait-on pour l’aîné de la famille ? Qu’il pût étudier la médecine à Salerne ou le droit à Pérouse ; qu’il suivît sans broncher la voie désignée par la piété familiale ? qu’il accédât un jour avec honneur au rang de notable, rehaussant le statut de son clan par l’éclat de son propre mérite ? Cette espèce de pré-destination dans un monde bouleversé par le souffle effréné de l’émancipation, ne représentait pas le plus valeureux des desseins pour un âme éprise de désirs d’aventure, de liberté et de bravoure, et dont le sang des aïeux héroïques appelait plus que jamais à de plus nobles conquêtes. 
Comme jadis le jeune Romain ralliant les combats de César, il allait se précipiter à son tour dans la tourmente, gagner sur le sol meurtri de la patrie, et plus tard sur les Marches barbares, les lauriers de sa lutte contre la honte et l’infamie. 
Pour l’heure, on se battait en Sicile, on se battait en Calabre ; l’escargot figuré dans la propagande de l’Axe remontait la péninsule avec toutes les assurances d’une lenteur irrésistible. 
Déjà les alliés atteignaient les rives campaniennes, débarquant dans la baie de Salerne et talonnant le Germain jusqu’aux portes de Naples. 

Honorius/ Les Portes de Janus/ 7 mars 1994 

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