dimanche 10 août 2025

Pauvre comme Villon

Ne plus se réveiller, un matin, comme ça, serait l'option la plus raisonnablement admissible pour une tombée de rideau. On n'imagine pas à quel point, rouvrir quotidiennement les yeux sur la canaillerie de ce monde, quoi qu'en disent les patelinades de la raison, est devenu une sorte de scandale contre l'intellect. La misère de la pensée est absolument redoutable lorsqu'elle est associée à l'arrogance péremptoire de l'autorité et du pouvoir. On voit cela partout dans la vie sociale, institutionnelle et économique et surtout en politique. Le résultat en est des plus pernicieux car il introduit le doute sur les capacités de notre propre intelligence face à celle des petits monarques.
Mais cette arrogance du pouvoir étant une réalité aussi permanente que l'essence de la bêtise, comment espérer échapper à cette coalition de vanités aux effets si néfastes à notre intégrité morale? Pourrait-on espérer que la bêtise, à force d'enfler de grenouille à bœuf, et de comprimer cet espace aussi réduit et confiné qu'est la société humaine, puisse finir par s'auto-détruire sous l'effet d'une sorte d'explosion? Assurément cela ferait entrer un air frais et neuf par les trous béants de la déflagration.  Mais l'on sait que le naturel revient toujours au galop et que la bêtise, comme, du reste, l'amour du pouvoir, sont ce qu'il y a de plus naturellement présent dans nos constitutions humaines. Une fois chàtiés, ils se reconstituent aussitôt.
Mais lorsque la lassitude gagne nos vies et énerve nos volontés de résistance, alors il faut céder le pas en tout pour que plus rien n'ait prise, lâcher la corde qui nous retient au sol pour s'envoler comme une baudruche ou plonger dans les profondeurs comme un poids mort. Il serait tellement beau et satifaisant d'apercevoir les derniers feux de l'enfer grésiller tout en-dessous ou tout en-dessus, selon l'axe quantique de référence. Oh combien il serait doux d'accepter que plus rien n'existe, reposer enfin dans ses propres cendres.
Nous avons abondamment parlé de l'art dans le processus de rédemption, au même titre que de l'exercice de la pensée dans celui de l'élévation morale. L'un et l'autre sont comme la catharsis de notre condition peu reluisante. Je vois l'art comme un outil d'exploration des dimensions les plus intuitives, les plus secrètes du réel. Le réel possède en effet des prolongements invisibles et indicibles dont la perception exige de se départir de l'esprit de lourdeur qui entrave habituellement nos facultés dialectiques. L'art nous rapproche de la vision de l'absolu, c'est à dire de la dimension quantique. On sait ce que nous apporte l'art dans notre enrichissement spirituel par sa capacité à nous faire recevoir pleinement le monde. Il y parvient à force de persévérance et d'application en illuminant le cerveau de successions de fulgurances ou de visions, parfois même jusqu'à atteindre la totalité métaphysique du Bouddha mais ce qui vaut au sujet qui en est imprégné une sorte d'immobilité proche de la momification tel qu'on a pu le voir chez certains yogi Indiens en fin de carrière.
Mais je veux croire que je ne suis ni dupe ni même importun. Comme du Bellay, que je tiens en sainte estime et admiration pour avoir créé l'oeuvre qui m'aura toujours échappé, j'éxècre mes imperfections tout autant que je hais celles des hommes, cette grouillerie organique dont l'emprise resserre son cercle jour aprés jour, jusqu'à devoir m'écraser la poitrine, et étouffer mes derniéres bonnes résolutions. . "Il cercolo di dolore che stringe il petto", disent les Italiens. Un vrai cauchemar. Je suis fou ou bien trop lucide, je ne sais. Montaigne dirait que c'est tout un. Je sais que tout ce que j'ai aimé sur cette terre sera bientôt détruit par leur inconséquence, car leur détestation du Ciel les a rendus comme des bêtes écervelées, sans joie, sans amour et sans finesse. Il n'y a qu'une espèce d'homme cependant qui mérite actuellement mon plus grand respect et devant lesquels tous les prétentieux , les potentats, les oligarques de tout poil, les corneculs pleins de morgue et de jactance, qui croient avoir des idées originales, des visions fortes et des pensées subtiles, devraient en rabattre et s'incliner: ce sont ces êtres inégalables, héroïques, tragiques, qui, par serment, devoir de conscience, je dirais surtout par amour infini de leur prochain, se vouent corps et âme à secourir la détresse humaine: Les médecins dans l'enfer de Gaza!! Oui messieurs! Meurtris, exténués, alors qu'ils sont eux-mêmes dépouillés de tout, ils donnent tout de leurs personnes, à chaque instant au risque de leur vie. En voilà au moins qui ne seront jamais du camp des minables et des salauds.
Ne plus se réveiller le matin sans avoir à se lamenter sur l'immensité de cette violence et de ce gâchis infâme, cela s'appelle prendre une bonne résolution, aussi ferme et drastique qu'un régime sans glucide ou que l'arrêt du tabagisme. Car que peut-on contre un monde qui nous méprise et une fatalité qui nous écrase? Le mieux, je le crains, est encore d'enfouir ses rancoeurs et ses indignations et de garder, contre les vociférations, le silence d'un ermite norique. Et puis, quand une gifle nous cingle, nous imprimant ses cinq traces violettes sur la joue, (en faisant valdinguer, si l'on en chausse, la paire de lunettes de l'autre côté de la pièce), le mieux là encore est de faire patiemment le mort, attendre que le bourreau se lasse, nous oublie quelque temps et nous laisse dormir. Laissons leur détruire ce monde, si ça leur chante, aprés tout, il finira par s'effondrer sur leurs têtes de bougres et tout sera dit une bonne fois pour toute. Il faut voir la prophétie de l'Apocalypse comme la promesse hygiénique d'une bonne purge, voilà tout.

Las, un messager de l'au-delà viendrait demain me signifier mon terme, que je ne verrais pas de gros inconvénient à céder la place, à quitter cette vie, comme disait Montaigne, sans peur et sans passion, de la même manière que j'y suis entré. En vérité, rien ne me retient plus ici bas, ni par le fil de la joie, ni celui de l'espérance ni méme celui du désir. Ceux qui me sont chers et proches ont déjà accompli leur destinée ou bien y sont déjà bien avancés sans qu'il soit besoin de leur éclairer la marche. Le monde? Je l'ai glorifié et lui ai rendu tous les hommages. Mais tout y est déjà si plein de noirceurs que je n'ai plus les ressources d'y voir autre chose que ce qu'on en a fait. J'ai renoncé à l'espoir d'y trouver jamais la paix à laquelle j'aspire. Méme là oû je croyais encore terminer discrètement mes jours tout me signale que je suis devenu de trop . Alors, il ne me reste plus plus qu'à fermer les yeux, me laisser lentement glisser dans le sens de la sortie, et, enfin libre et délesté de tout, pauvre comme Villon qui disparut on ne sait où, aller trouver mon paradis ailleurs.

Honorius/Les Portes de Saturne/ le 10 août 2025


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