samedi 2 juillet 1983

Le Rêve de Pierre (Vers de Jeunesse)


LE RÊVE DE PIERRE


( Vers de jeunesse)




1/Les fidèles


Barons désarçonnés, le front dans la poussière,

Meurtris pour une Fable, il vous faut rendre haleine,

Votre honneur à l’Histoire, embrasser la misère

Des bonheurs consentis et de l’ultime haine.



Vous êtes de ceux-là qui partirent jadis

Sur les routes d’Orient d’où nous revint le lys,

Rassembler des empires au pied nu de la croix,

Les anciens valeureux, la colère des rois !


Vous que des peuples saluèrent en vainqueurs

Ralliant l’air et le feu au vent des oriflammes,

Vos ombres se terrent dans l’oubli et la peur

Sur l’asphalte maudit des nouvelles Pergame.


Vous, dont l’âme saigne de l’ignoble fléau,

Je désigne en vos cœurs ces vestiges de gloire,

Que ma voix résonne du tocsin des victoires,

Que les mots éclatés entrouvrent vos tombeaux !


Compagnons de toujours à la Cause fidèles,

Redressez le cimier et le fanion ralliez

Dans les grands champs d’azur, parmi l’or déployé,

Guerriers morts relevés à la flamme immortelle.






2/La lumière était d’or




La lumière était d’or

Qu’en est-il advenu ?

Sur les eaux au Bucintor

Le cristal luisait nu.



Clair Olympe aseptique,

Grâce d’un mouvement,

Pâleur académique

Des Vénus au Levant.



Aux arches des flambeaux

S’effilent, vagues images,

Illusion des châteaux

Où reine mourut d’un page.



Le fond noir du tombeau

Pur comme un soleil

Que la main vermeille

Ouvrira de nouveau


Aux grands champs de clarté

De la divine Nature,

Aux antiques parures

Des blancheurs d’Astarté.




3/Au-dessus du monde


Existe-t-il au-dessus du monde un seul endroit

Exilé dans la paix de l’ombre et du silence

D’où mon âme éblouie d’insondables effrois

Puisse contempler l’éternelle cadence

De l’ample et du grisant tourbillon des astres,

L’ennui de l’Infini et l’angoisse du Temps ?


Et sous les ciels roulant leurs traînes de désastre,

Fleuves d’ombres brisées dans le cœur flamboyant

Des jours et des nuits au deuil sempiternel,

Je veux percher mon éternité en ce lieu,

Loin des tumultes (hideux) et des ritournelles,

A méditer longtemps le néant de Dieu




4/Rêve d’hiver



Je cours et je m’étends, haletant, sur l’herbe gercée

De matin âpre, m’abreuvant au sang de nacre

Des jeunes sources.

Combien je suis las de vouloir assouplir l’inflexible !


Une fumée grise jaillit de ma bouche et s’évapore

Sur les rosaces de cathédrales désertées

Et sur les corniches de colonnes corinthiennes

Qui ont la teinte des mers qui se réveillent…


Le reflet s’éparpille sur l’eau à la douce crinière

Et se craquèle de perpétuité.

Je n’en finis pas d’attendre.

Un brouillard étrange, tout pailleté de lumière,

Voile mes yeux dont les paupières lentement s’engivrent.


Le 13 juillet 1983





5/Le grand parc



Des Tritons, des Bacchus et des Silènes,

Couronnés de pampres,

Figés dans l’expression intense de l’ancienne vie,

Ruissellent d’une pluie ardente

De diamant et de cristal frais :



Les jets d’eau du grand parc

Aux agencements impeccables,

Les longues et vastes allées d’arbres,

Les bois aux anciennes chasses…


Le 1er octobre 1983





6/La flibuste


Que Dieu veille et assiste mon errance,

Mon sommeil agité, ma torpeur et mes transes !

S’il n’était Lui-même que tout cela à la fois :

L’illusion du grand art, l’amour et puis l’effroi ?


Dois-je me convaincre que le ciel, en fait, est blanc,

Que je puis le meurtrir de l’humeur et du sang

D’espoirs vainqueurs, de haines et de démences,

Que la vie ne tient plus qu’à l’ultime exigence :


Partir ! Mais la civilisation est partout !

Qui sait ? J’aurai peut-être ma flibuste,

Mes nuits sur les frégates au plancher fruste,

Mon ivresse au rhum en vue de Kota-Bharou.


Ah l’indicible souffle de l’aventure,

L’éternel désir de l’homme toujours enfant,

Les rêves de conquête au vent des encâblures,

Puisant à pleine haleine aux pluies des firmaments !


Je m’enfouirai peut-être sans retour, là-bas,

Dans ces pays de terres et de chairs ardentes,

Vibrant de clameurs et d’insolites abois,

Où le Bien et le Mal se confondent et s’éventent


En mille masques mêlés : Charbon et bitume

Cinabre et craie ; m’inassouvir toujours plus loin

Dans la cendre et l’opium d’un quelconque destin,

Mais sentir, derrière moi, le sillage et l’écume…


Juin 1984





7/ 32e R.G



L’aube répand sa lueur terne

Et mon fusil s’appesantit,

Contre les murs de la caserne,

L’aube du jour endolorie


Ô fleuve de l’ivresse rhénane

Au grand couloir des invasions

Comme une fleur qui se fane

Aurait perdu ses illusions :


La Lorelei aux longs cheveux,

La sirène des chevaliers,

Et le trésor des nains boiteux

Qui dort peut-être sous mes pieds !


Et le Rhin, noyé dans les « Alcools »

Hérissé de Vésuves de ciment,

S’empêtrent de mornes chalands

Bien oublieux des barcarolles.


Dieu, que l’aube est déprimante

Sur ces coteaux légendaires,

Et j’entends sur le pavé désert

Les pas de la garde montante.


Kehl-am-Rhein janvier 1985






8/Les sentiers vierges


Nobles anges bleus, que votre gloire me redonne

Ce que les années et les chagrins m’ont pris,

Le ciel clair et neuf d’où la peur s’est enfuie,

Et la tour altière du gentilhomme


Désignez-moi les sentiers vierges

Où tout est cristal et diamant

Et la nacelle du chaste amant,

Dérivant, mol calice de neige.





9/L’année est longue



L’année est longue où le jours comptent huit heures

L’exode en été : les Hébreux dans le désert

Le voyant n’eut pas tort, qui prédit la misère

De leur joie sacrifiée aux modernes stupeurs.


Et Mahaut, la belle châtelaine

Que je sais captive d’un sort vainqueur,

Se consume aux tours des H.L.M.

Entre la gare du Nord et l’échangeur.


Le 11 juillet 1985






10/Les anges noirs



Le chaos bouillonnant comme un feu souterrain

Vomira au grand jour les mots éclaboussés ;

La nuit jaillira, déflagrant les lieux communs,

Les villes incendiées sous nos pas harassée



Anges Noirs, Vous qui savez l’essentiel

Que nos heures si fébriles dissimulent,

Venez, étendez l’aube d’arc-en-ciel

Enfin, sur nos paupières qui vous adulent.


Tout sera dit : l’Absolu dans le silence,

Le Parfait au devenir des matins,

Et l’amour reconnaîtra ses catins

Où les blancheurs effeuillent leur innocence.


Septembre 1985





11/La fille de l’Est



A la croisée des chansons de geste,

Dans la langueur des miroirs d’outre Rhin,

C’est encore pour toi, fille de l’Est

Que les bateliers chantent mes refrains.



Tu es, rochers battus des brumes palatines,

Blanche et fière comme la fille unique de Thor,

Parmi l’azur baignant des grâces florentines,

Un reflet d’Italie aux ogives du Nord.



Tu es l’Inassouvi, tu es le doux pays

Que l’on rejoint toujours, que j’aime et qui m’attend,

Le miroir familier où je m’attarde tant

A boire obstinément le spectre de la vie.


1985



12/Moriturus


En sus de mauvaise littérature

Ces mots resteront lettre morte ;

Et la mort que rien n’exhorte

A faire attendre aux devantures



Viendra, très chère, frapper à ma porte.

Je ne la trouverai pas assez belle,

Et moi, pourtant, encore indigne d’Elle

En la suivant dans l’ennui qui cahote.


Le 2 octobre 1985






13/Brocéliande



Hortensias des vierges mortes au bleu des cigognes

Alignés en baisers où s’arrache le jour

Comme autrefois l’acanthe des ciseaux de Bourgogne,

Je trépasse à vos galbes d’infidèle pourtour.



J’ai rêvé maintes fois des heures de Brocéliande

Aux grands chênes témoins des frayeurs hercyniennes

Un secret dans la pierre que doit taire la lande,

Taisez-le, cachez-le, sorcières magiciennes !



Je récuse l’Informe qui se veut l’Art Nouveau,

Le carcan de l'absurde à l’amble de la courbe

Et les jours qu’il nous reste à l’heure de la tourbe,

Belle âme, emporte-les, loin de leurs caniveaux !


Le 17 octobre 1985







14/Ainsi se retire la mer



Ainsi se retire la mer,

Le diadème change de race,

Le Zagros est à Sumer

Et les Teutons à Samothrace.



Le 21 octobre 1985






15/L’amour est mort



                   I

Or tôt, grands satrapes de Suse,

Pavoisez les noces heureuses,

Que les tyrans de Syracuse

Chantent aussi ma belle Fameuse.



Car c’est Elle, la Fille que j’aime,

Princesse des faubourgs de Mayence,

Et mes nuits pour Elle se traînent,

Enfant gâté de son silence.




Pour ton Royaume, ô ma Sirène,

Tant de frégates ont chaviré,

Pour tes yeux bleus, grèves lointaines,

Et t’ont souri tant de noyés.



Moi qui savais de purs mystères

Et des jardins où nous irions,

Des fleurs d’avril au Parthénon,

Et des voyages pour Cythère !



Mon âme est triste, et que choisir

Entre les larmes de l’Enfant,

Et préférer encore dormir

Ou te hurler aux olifans ?



L’amour est mort, le ciel est vide,

Et je repense à cette femme

Pour qui j’ai cru brûler mon âme,

L’amour est mort au ciel livide.



                     II


J’ai rêvé d’un matin aux rives nouvelles

Où la brise effleure les péristyles,

Les nappes de soleil où ruissellent

Les fresques des paradis tranquilles.



Routes blanches, aventures pressenties

Jadis dans le vent, mémoire de l’Enfant

Des croisières en Italie, Ah l’Italie !

Et les flots vermeils soulevant.



Et le fouet claquant de la diligence,

S’accrochait haut dans l’azur

De ce beau ciel rêvé si pur,

Et la terre aux lignes qui dansent.



L’amour est mort avec décembre,

Il m’en a cui de cette flamme,

La ville pleure des pluies de cendre,

Décembre, où s’éloigne cette femme.


1986






16/La Sérénissime



Ô combien de temps j’ai erré, j’ai erré

Aux langueurs de ces morts lentes qui dérivent

A traquer, comme un pauvre halluciné

De faux bonheurs masqués qui vous éconduisent.





17/Walpurgis Nacht



C’était lui, Jonathan, au royaume des loups,

Longeant des froids immenses et des fleuves de nuit

Jusqu’au rêve de pierre où l’Etoile a gémi

Dans l’écho de la herse et le rouge à son cou.






18/Le soleil luit


Le soleil luit comme un louis d’or

Net et précis dans le bel azur vert,

Flammes et destin de ce Dieu téméraire

Aux ténèbres de l’orgueil qui dort.



Ciel déployé d’un plan de Vitruve

Comme l’aube de ce matin d’été

Où plein d’offrandes à de vastes Beautés

Je vis l’astre d’Amon couronner le Vésuve.



Les formes millénaires étaient des ruisseaux

D’ombres et de lumière, et la lumière

Une orgie de couleurs et de poussière,

Et l’ombre, des vagues de nuit en rinceaux.



Et les chants clairs mêlés aux aboiements

Des pierres et de l’air où le jour oscille

D’azur au vermeil ; le berceau des charmilles

Recouvre le temps, lent d’atermoiements.



L’amante d’Assur, la fille de Corinthe

Reposait sur le trône des peuples rois,

En Elle, douce cruelle, l’Olympe et la Croix

Embrasaient les veines du feu de la Sainte.


Midi, l’ombre décapitée des colonnes

S’engloutit à pic dans le marbre dur

Des terrasses blanches où la brise fredonne

Le rire des sirènes aux vagues chevelures.


Le 27 février 1986





19/Rue des Anges




I


Au secret confinés

De la « plantée des comtes »,

Deux spectres se racontent

Des châteaux en Dauphiné.



Gentilshommes sans terre

De l’Histoire abandonnés,

Ils caressent leur misère

Comme de fins lévrier.


Et ce vin dans leurs verres,

En sanguinolentes stances,

C’est le sang de la vieille France

Que leurs cœurs vénèrent.



II


La nuit nous accueillait, rue des Anges perdus

Et nous congratulait ses fidèles veilleurs

Qui mordions le silence derrière l’ombre des rues,

Les pauvres familiers de l’antique meilleur.



Nous parlions en fervents de la Mort et de Dieu,

Et puis des Vellédas de Bade et de Coblence

Tant de brumes grondant dans l’abîme des yeux,

Des départs, au hasard, au vent des diligences.



Assoiffé de matins aux lueurs exquises

Ce fut lors la grand’voile pour les Reines Marquises,

Pour un nouveau climat qui t’aime et te comprenne

De ses lentes clartés et sa douce gangrène.



Tu revins, dénudé, le Grand Duc banni

De ton duché de vagues et d’Océanie,

Tandis que j’écoutais de mon âme attentive

Les roulis ondoyants de tes femmes lascives.

1986


III


( A l’ami Claude)


En sus de la grande infortune

De la saison longtemps morose,

Je trouve encore, Ah l’importune !

Ami, votre poterne close.



Je sus par le hasard du vent

Vos ennuis d’hypogastre mol,

Et je mendie sous les auvents

Ce que devient le cher Coucol.


Par le vent aussi, je connus

Que Saint Amant se refit moine,

Brûlant le jour dans la cornue

Où germe une aube plus idoine.



Morbleu ! Bientôt le nouvel an,

Et l’éternelle ritournelle ;

Je trouverais très consolant

D’avoir un peu de vos nouvelles.


Le 30 décembre 1986





20/Complainte pour Cydalise



Combien de neiges sont écloses

Loin des beaux yeux de Cydalise,

Mille saisons où chaque chose

Renferme un peu de sa hantise.



Son souvenir immobilise

Les anges aux arches de Coblence,

L’ondine pleure, le Rhin s’y brise,

Mon doux refrain de vieille France.



Depuis qu’est morte votre voix

Broyée d’ahan de souvenirs

Dans les jardins du défunt roi,

Depuis qu’est mort notre avenir,



Le monde dort où votre pas

Passa, léger, comme un oiseau,

Le monde dort au fond des eaux

Rêvant d’avril entre vos bras.


Le 5 février 1987




21/Marine



Des aubes de plomb, coulée d’anges abattus

Enflamment l’océan de miroirs inaudibles,

Amplitudes happées aux longs rostres battus

Dans l’écume éblouie de courbes inflexibles.



La morsure du silence et les soleils radiés

En couleurs écrasées d’infâmes récurrences,

Exhalent éperdument, en trombes irradiées,

Des remous énervés bavant des îles rances.



Les clameurs incendiées sous de longs voiles nus

Et la vie qui a soif du sang de l'inutile,

Qu’un éclair a criée sur l’enfer trop connu

Des néants grimaçant des bonheurs immobiles.



Cet écho qui se mire étendu sous l’orage

Immense où cingle l’élan froid des marées,

La fièvre des longs cours au granit amarrées

Saigne l’azur blême et le vent du naufrage.


Novembre 1988







22/Comme un châtelain



Comme un châtelain

Qui retrouve

D’anciens perrons nus

Où tant de nuits ont plu

Et des yeux morts au fond des douves.


Dans la nuit et le jour

Gourds de givre lourd

Se noient des bleus de Prusse.

Des soupirs slaves et russes

Avides de légendes

Lentement qui vont l’amble

Le long des longues plaines

Où je perds haleine.



Et mes pas qui s’abîment

Aux abîmes et aux cimes,

Et les lacs mouillés

Pleurent des femmes oubliées.



Ce sont elles, filles d’Emèse,

Les vestales de Nüremberg

Qui me regardent et se taisent

Dans leur robe d’adultères.



Ce sont elles, les vierges boréales,

Les amantes et les guerrières,

Pour qui j’ai tant souffert

Les torrents et le cristal.


1989




23/Sous un ciel fatigué



Sous un ciel fatigué comme plaine en Velin,

Le vent grince au beffroi d’insondables batailles

Et le fleuve de plomb creuse et ronge la taille

De l’épouse inhumée dans l’oubli des vélins.



Loin de moi, Sainte Image, doux avril en pluviôse,

Reste vierge dans l’aube du faux avenir

Que nos corps et nos yeux ne se voient pas vieillir

Se mourant face à face de l’envie d’autre chose !



Eternelle repose en l’auguste tristesse

Comme un soir qui descend sur les eaux du Starnberg,

Où ce roi malheureux aux fenêtres de Berg

Endormit lentement sa mouvante détresse.


1989




24/Lohengrin


( à mon ami Marc)



Dans la ville sans hommes et sans rêve de Dieu

Ton ombre a coulé dans l’ennui du décor,

Poursuivant d’une voix l’écho triste et radieux,

Le hasard fasciné qui accoste la Mort.



Un serment t’a lié à la Vierge Mystique,

Son regard étranger survolait d’autres cimes,

Et Fourvière s’est juché au sommet de ta rime,

Dans l’étreinte inouïe de l’infâme déclic.


Ta sainte couronne a été ce martyre

De connaître la nuit sans espoir de demain,

Comment nommer ce Mal qui fut ton seul Bien,

Dans ce cœur lacéré des abois du partir ?



Humilié chaque jour par l’Idole inhumaine

Des naufrages urbains, des aurores sans joie,

Ton destin est celui des déroutes humaines,

Ton histoire a redit la légende d’un Roi.



Berchtesgaden, la nuit, parcourant l’autobahn,

Les lueurs défilant au rideau de l’hiver

Jusqu’aux brumes transies appelant le mystère

D’un amour qui se fuit, se débat et se damne.



Des fleuves recréeront un jour ta naissance,

De terribles orages marqueront dans le fer

Cette immense agonie qui appelle vengeance,

Ton renom sera grand, Victorieux de l’enfer !!


Novembre 1989






25/Vieille France


Le rideau se soulève en lourds plis de ramures,

Sur un fond de Watteau de tranquille apparence,

Un décor de province aux douceurs de Régence

Où les anges sourient en d’aimables parures.



Les ombrages drapés aux airs de Gobelins

Promènent la clarté d’un rêve d’élégance

Aux atours surannés des fantômes de lin

Effeuillant les saisons d’une anciennes existence.



Et le temps mordoré de nervures baroques

Repose, solitaire, aux lambris des châteaux,

Les silences lointains aux langueurs de cours d’eau

Balancent lentement l’azur parmi les ocres.



Acajou craquelé, vieil or de l’âge d’or,

Natures mortes posant sur des airs pastoraux

Des senteurs de hautbois prolongent leur écho

Dans la douce piété où le monde s’endort.



Balustres de Touraine, chasses à courre des tentures

La campagne a le goût du pain du vieil Evandre,

Et les lits damassés, et le vin au cœur tendre,

Pays de vieille France encadré de dorures.



Le 10 février 1991





26/Des buées d’aubes



Des buées d’aubes et de soirs invaincus

Lacèrent l’étendue de l’insondable prose.

Ô enfin, invoquer la salutaire abstention,

Vouloir, pouvoir enfin l’arrêt parmi les choses,

Nécessaire et vaine pause

De la contemplation.



Je me fonds dans cette allure profonde, vivante,

Et glacée

Parmi l’ineffable volupté d’où monte la tendresse

Sauvage du soir.

Courir, s’essouffler, s’enivrer de l’éphémère cadence

De l’eau et du silence.

Embrasser, respirer l’oubli souverain

Des terreurs exécrables du temps.


Le pas du seigneur sur les brisées d’un réveil,

Ô immaculée profondeur des chênes !

Parmi le chœur des lumières

Et les tourments de pénombre,

Revenir et s’étendre,

Ecouter et dormir.


Le 6 décembre 1991






27/La sirène du Nord



J’ai senti le vent d’anciennes trombes

Se lever dans le lointain des cimes,

Brûlant dans l’ombre où le soir gronde

Des torrents d’aube dans l’abîme.



L’hiver revient sur ces forêts

Où j’ai hurlé le brasier noir

Du mal maudit que tu m’as fait

Jusqu’au silence sans mémoire.



Je revois le pas de mes errances

Heurter ces rues de moyen-âge

Mirant d’aimables colombages

Au cri navrant des diligences.



Les nuits de pierre dans le ciel rouge

Transies de fièvre aux meurtrières

Et la voix bleue des belles gouges

Mi-chant de loup et de sorcière.


Et cette image de longue traîne

S’empare encore du soleil mort

Etreint mon cœur, aux mers du Nord,

Du baiser froid de la sirène.



Novembre 1992




28/Ton visage a paru



( à Jocelyne)


Ton visage a paru comme une pluie de mai

D’où naissent les offrandes aux belles saisons d’or,

Et ton souffle a frémi ; oserai-je jamais

Le cueillir à ta bouche sans peur du mauvais sort ?



Tu es ce matin bleu qui calme la tempête,

Ces heures où je grandis à l’ombre de ton cœur,

Le jardin des ormeaux où rêve le poète

Sur la table de pierre où nous vînmes en chœur.



Et tes jambes dorées que couvre la voilette

Des tapis de fleurs neuves en tes robes d’été,

Et tes seins devinés, ces beaux fruits d’oranger,

Ont des parfums éclos qui me bercent la tête.



Puis, au creux de ta vague a jailli l’océan

Où des soleils blancs s’en vont boire la nuit,

Et nos cendres ont mêlé dans l’ardeur et le sang

La rosée de tes lèvres et l’embrun de ma pluie.



Je t’aimerai comme le vent aime la terre

Caressant tes silences et brûlant mes fureurs ;

Je me reposerai ivre d’aube et d’hiver

Dans tes yeux et ton flanc où dort une lueur.


19 octobre 1994




29/Nous nous réveillerons



Nous émergerons de l’Equinoxe d’airain

Comme d’un bain profond dans le sombre Styx,

Nous nous réveillerons sur des plages d’onyx

Sous des fraîcheurs de lys, un berceau de matin :



Roses neuves, nappes blanches, palais de printemps…





30/Les calmes jardins



M’arrachant à l’effroi de ce monde sans liesse

Je reviens en rêvant refouler le perron

Et les calmes jardins d’une ancienne jeunesse

Où vacille le jour sur les vieux bassins ronds





31/Ma Flibuste



Ô ma flibuste, ô mes voiles déchirées,

Et mes douces envies de violence

Dérivant, mortes, en déshérence,

Loin de ces grèves tant désirées !



La mer aux mèches d’ouragan se libère,

Passe, livide et noyé, un autre jour,

La mort du jour se voulant nécessaire,

Sur mon front délavé d’improbables amours !





32/Eparses



1

Ces orages guettés au cœur de mille hivers

Guerroyant vers la nuit en sombres carrousels…


2

Nous étions de ceux-là amoureux du Sublime

Nous étions de ceux-là à l’égal des Rois.


3

Et les saisons passaient, effleurant les courtines.



4

Formes minérales de ce qui doit être,

Albâtre blême d’où l’on voit naître,

Arrachées, souffertes, les lignes idéales…



5

Ô fille des Dieux et gardienne des pierres,

(De ce sol païen subjugué par la croix),

La toge blanche de ton adolescence

Seyait si bien à la noble innocence

Qui te glorifia du nom de la Lumière.


6

Le silence revient à ceux-là qui soupirent

Aux lèvres de la nuit, l’impuissance des mots !



7

Les morts, couchés dans la terre humide et noire,

Le linceul rabattu,

Suaient et s’agitaient d’un pénible Néant...


8

Les vestiges du jour



Le temps s’arrêtera devant l’ultime porte : Lumineuse comme la Vérité, elle s’ouvre sur un sanctuaire doré sans mémoire et sans attente, sur des jardins radieux comme un paysage de Campanie ou de Toscane, où les vestiges du jour ressuscitent au cœur d’un été infini.

Là, tous les anciens fantômes, les yeux emplis d’offrandes et de pardon, souriront comme des anges…




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