LE RÊVE DE PIERRE
( Vers de jeunesse)
1/Les fidèles
Barons désarçonnés, le front dans la poussière,
Meurtris pour une Fable, il vous faut rendre haleine,
Votre honneur à l’Histoire, embrasser la misère
Des bonheurs consentis et de l’ultime haine.
Vous êtes de ceux-là qui partirent jadis
Sur les routes d’Orient d’où nous revint le lys,
Rassembler des empires au pied nu de la croix,
Les anciens valeureux, la colère des rois !
Vous que des peuples saluèrent en vainqueurs
Ralliant l’air et le feu au vent des oriflammes,
Vos ombres se terrent dans l’oubli et la peur
Sur l’asphalte maudit des nouvelles Pergame.
Vous, dont l’âme saigne de l’ignoble fléau,
Je désigne en vos cœurs ces vestiges de gloire,
Que ma voix résonne du tocsin des victoires,
Que les mots éclatés entrouvrent vos tombeaux !
Compagnons de toujours à la Cause fidèles,
Redressez le cimier et le fanion ralliez
Dans les grands champs d’azur, parmi l’or déployé,
Guerriers morts relevés à la flamme immortelle.
2/La lumière était d’or
La lumière était d’or
Qu’en est-il advenu ?
Sur les eaux au Bucintor
Le cristal luisait nu.
Clair Olympe aseptique,
Grâce d’un mouvement,
Pâleur académique
Des Vénus au Levant.
Aux arches des flambeaux
S’effilent, vagues images,
Illusion des châteaux
Où reine mourut d’un page.
Le fond noir du tombeau
Pur comme un soleil
Que la main vermeille
Ouvrira de nouveau
Aux grands champs de clarté
De la divine Nature,
Aux antiques parures
Des blancheurs d’Astarté.
3/Au-dessus du monde
Existe-t-il au-dessus du monde un seul endroit
Exilé dans la paix de l’ombre et du silence
D’où mon âme éblouie d’insondables effrois
Puisse contempler l’éternelle cadence
De l’ample et du grisant tourbillon des astres,
L’ennui de l’Infini et l’angoisse du Temps ?
Et sous les ciels roulant leurs traînes de désastre,
Fleuves d’ombres brisées dans le cœur flamboyant
Des jours et des nuits au deuil sempiternel,
Je veux percher mon éternité en ce lieu,
Loin des tumultes (hideux) et des ritournelles,
A méditer longtemps le néant de Dieu
4/Rêve d’hiver
Je cours et je m’étends, haletant, sur l’herbe gercée
De matin âpre, m’abreuvant au sang de nacre
Des jeunes sources.
Combien je suis las de vouloir assouplir l’inflexible !
Une fumée grise jaillit de ma bouche et s’évapore
Sur les rosaces de cathédrales désertées
Et sur les corniches de colonnes corinthiennes
Qui ont la teinte des mers qui se réveillent…
Le reflet s’éparpille sur l’eau à la douce crinière
Et se craquèle de perpétuité.
Je n’en finis pas d’attendre.
Un brouillard étrange, tout pailleté de lumière,
Voile mes yeux dont les paupières lentement s’engivrent.
Le 13 juillet 1983
5/Le grand parc
Des Tritons, des Bacchus et des Silènes,
Couronnés de pampres,
Figés dans l’expression intense de l’ancienne vie,
Ruissellent d’une pluie ardente
De diamant et de cristal frais :
Les jets d’eau du grand parc
Aux agencements impeccables,
Les longues et vastes allées d’arbres,
Les bois aux anciennes chasses…
Le 1er octobre 1983
6/La flibuste
Que Dieu veille et assiste mon errance,
Mon sommeil agité, ma torpeur et mes transes !
S’il n’était Lui-même que tout cela à la fois :
L’illusion du grand art, l’amour et puis l’effroi ?
Dois-je me convaincre que le ciel, en fait, est blanc,
Que je puis le meurtrir de l’humeur et du sang
D’espoirs vainqueurs, de haines et de démences,
Que la vie ne tient plus qu’à l’ultime exigence :
Partir ! Mais la civilisation est partout !
Qui sait ? J’aurai peut-être ma flibuste,
Mes nuits sur les frégates au plancher fruste,
Mon ivresse au rhum en vue de Kota-Bharou.
Ah l’indicible souffle de l’aventure,
L’éternel désir de l’homme toujours enfant,
Les rêves de conquête au vent des encâblures,
Puisant à pleine haleine aux pluies des firmaments !
Je m’enfouirai peut-être sans retour, là-bas,
Dans ces pays de terres et de chairs ardentes,
Vibrant de clameurs et d’insolites abois,
Où le Bien et le Mal se confondent et s’éventent
En mille masques mêlés : Charbon et bitume
Cinabre et craie ; m’inassouvir toujours plus loin
Dans la cendre et l’opium d’un quelconque destin,
Mais sentir, derrière moi, le sillage et l’écume…
Juin 1984
7/ 32e R.G
L’aube répand sa lueur terne
Et mon fusil s’appesantit,
Contre les murs de la caserne,
L’aube du jour endolorie
Ô fleuve de l’ivresse rhénane
Au grand couloir des invasions
Comme une fleur qui se fane
Aurait perdu ses illusions :
La Lorelei aux longs cheveux,
La sirène des chevaliers,
Et le trésor des nains boiteux
Qui dort peut-être sous mes pieds !
Et le Rhin, noyé dans les « Alcools »
Hérissé de Vésuves de ciment,
S’empêtrent de mornes chalands
Bien oublieux des barcarolles.
Dieu, que l’aube est déprimante
Sur ces coteaux légendaires,
Et j’entends sur le pavé désert
Les pas de la garde montante.
Kehl-am-Rhein janvier 1985
8/Les sentiers vierges
Nobles anges bleus, que votre gloire me redonne
Ce que les années et les chagrins m’ont pris,
Le ciel clair et neuf d’où la peur s’est enfuie,
Et la tour altière du gentilhomme
Désignez-moi les sentiers vierges
Où tout est cristal et diamant
Et la nacelle du chaste amant,
Dérivant, mol calice de neige.
9/L’année est longue
L’année est longue où le jours comptent huit heures
L’exode en été : les Hébreux dans le désert
Le voyant n’eut pas tort, qui prédit la misère
De leur joie sacrifiée aux modernes stupeurs.
Et Mahaut, la belle châtelaine
Que je sais captive d’un sort vainqueur,
Se consume aux tours des H.L.M.
Entre la gare du Nord et l’échangeur.
Le 11 juillet 1985
10/Les anges noirs
Le chaos bouillonnant comme un feu souterrain
Vomira au grand jour les mots éclaboussés ;
La nuit jaillira, déflagrant les lieux communs,
Les villes incendiées sous nos pas harassée
Anges Noirs, Vous qui savez l’essentiel
Que nos heures si fébriles dissimulent,
Venez, étendez l’aube d’arc-en-ciel
Enfin, sur nos paupières qui vous adulent.
Tout sera dit : l’Absolu dans le silence,
Le Parfait au devenir des matins,
Et l’amour reconnaîtra ses catins
Où les blancheurs effeuillent leur innocence.
Septembre 1985
11/La fille de l’Est
A la croisée des chansons de geste,
Dans la langueur des miroirs d’outre Rhin,
C’est encore pour toi, fille de l’Est
Que les bateliers chantent mes refrains.
Tu es, rochers battus des brumes palatines,
Blanche et fière comme la fille unique de Thor,
Parmi l’azur baignant des grâces florentines,
Un reflet d’Italie aux ogives du Nord.
Tu es l’Inassouvi, tu es le doux pays
Que l’on rejoint toujours, que j’aime et qui m’attend,
Le miroir familier où je m’attarde tant
A boire obstinément le spectre de la vie.
1985
12/Moriturus
En sus de mauvaise littérature
Ces mots resteront lettre morte ;
Et la mort que rien n’exhorte
A faire attendre aux devantures
Viendra, très chère, frapper à ma porte.
Je ne la trouverai pas assez belle,
Et moi, pourtant, encore indigne d’Elle
En la suivant dans l’ennui qui cahote.
Le 2 octobre 1985
13/Brocéliande
Hortensias des vierges mortes au bleu des cigognes
Alignés en baisers où s’arrache le jour
Comme autrefois l’acanthe des ciseaux de Bourgogne,
Je trépasse à vos galbes d’infidèle pourtour.
J’ai rêvé maintes fois des heures de Brocéliande
Aux grands chênes témoins des frayeurs hercyniennes
Un secret dans la pierre que doit taire la lande,
Taisez-le, cachez-le, sorcières magiciennes !
Je récuse l’Informe qui se veut l’Art Nouveau,
Le carcan de l'absurde à l’amble de la courbe
Et les jours qu’il nous reste à l’heure de la tourbe,
Belle âme, emporte-les, loin de leurs caniveaux !
Le 17 octobre 1985
14/Ainsi se retire la mer
Ainsi se retire la mer,
Le diadème change de race,
Le Zagros est à Sumer
Et les Teutons à Samothrace.
Le 21 octobre 1985
15/L’amour est mort
I
Or tôt, grands satrapes de Suse,
Pavoisez les noces heureuses,
Que les tyrans de Syracuse
Chantent aussi ma belle Fameuse.
Car c’est Elle, la Fille que j’aime,
Princesse des faubourgs de Mayence,
Et mes nuits pour Elle se traînent,
Enfant gâté de son silence.
Pour ton Royaume, ô ma Sirène,
Tant de frégates ont chaviré,
Pour tes yeux bleus, grèves lointaines,
Et t’ont souri tant de noyés.
Moi qui savais de purs mystères
Et des jardins où nous irions,
Des fleurs d’avril au Parthénon,
Et des voyages pour Cythère !
Mon âme est triste, et que choisir
Entre les larmes de l’Enfant,
Et préférer encore dormir
Ou te hurler aux olifans ?
L’amour est mort, le ciel est vide,
Et je repense à cette femme
Pour qui j’ai cru brûler mon âme,
L’amour est mort au ciel livide.
II
J’ai rêvé d’un matin aux rives nouvelles
Où la brise effleure les péristyles,
Les nappes de soleil où ruissellent
Les fresques des paradis tranquilles.
Routes blanches, aventures pressenties
Jadis dans le vent, mémoire de l’Enfant
Des croisières en Italie, Ah l’Italie !
Et les flots vermeils soulevant.
Et le fouet claquant de la diligence,
S’accrochait haut dans l’azur
De ce beau ciel rêvé si pur,
Et la terre aux lignes qui dansent.
L’amour est mort avec décembre,
Il m’en a cui de cette flamme,
La ville pleure des pluies de cendre,
Décembre, où s’éloigne cette femme.
1986
16/La Sérénissime
Ô combien de temps j’ai erré, j’ai erré
Aux langueurs de ces morts lentes qui dérivent
A traquer, comme un pauvre halluciné
De faux bonheurs masqués qui vous éconduisent.
17/Walpurgis Nacht
C’était lui, Jonathan, au royaume des loups,
Longeant des froids immenses et des fleuves de nuit
Jusqu’au rêve de pierre où l’Etoile a gémi
Dans l’écho de la herse et le rouge à son cou.
18/Le soleil luit
Le soleil luit comme un louis d’or
Net et précis dans le bel azur vert,
Flammes et destin de ce Dieu téméraire
Aux ténèbres de l’orgueil qui dort.
Ciel déployé d’un plan de Vitruve
Comme l’aube de ce matin d’été
Où plein d’offrandes à de vastes Beautés
Je vis l’astre d’Amon couronner le Vésuve.
Les formes millénaires étaient des ruisseaux
D’ombres et de lumière, et la lumière
Une orgie de couleurs et de poussière,
Et l’ombre, des vagues de nuit en rinceaux.
Et les chants clairs mêlés aux aboiements
Des pierres et de l’air où le jour oscille
D’azur au vermeil ; le berceau des charmilles
Recouvre le temps, lent d’atermoiements.
L’amante d’Assur, la fille de Corinthe
Reposait sur le trône des peuples rois,
En Elle, douce cruelle, l’Olympe et la Croix
Embrasaient les veines du feu de la Sainte.
Midi, l’ombre décapitée des colonnes
S’engloutit à pic dans le marbre dur
Des terrasses blanches où la brise fredonne
Le rire des sirènes aux vagues chevelures.
Le 27 février 1986
19/Rue des Anges
I
Au secret confinés
De la « plantée des comtes »,
Deux spectres se racontent
Des châteaux en Dauphiné.
Gentilshommes sans terre
De l’Histoire abandonnés,
Ils caressent leur misère
Comme de fins lévrier.
Et ce vin dans leurs verres,
En sanguinolentes stances,
C’est le sang de la vieille France
Que leurs cœurs vénèrent.
II
La nuit nous accueillait, rue des Anges perdus
Et nous congratulait ses fidèles veilleurs
Qui mordions le silence derrière l’ombre des rues,
Les pauvres familiers de l’antique meilleur.
Nous parlions en fervents de la Mort et de Dieu,
Et puis des Vellédas de Bade et de Coblence
Tant de brumes grondant dans l’abîme des yeux,
Des départs, au hasard, au vent des diligences.
Assoiffé de matins aux lueurs exquises
Ce fut lors la grand’voile pour les Reines Marquises,
Pour un nouveau climat qui t’aime et te comprenne
De ses lentes clartés et sa douce gangrène.
Tu revins, dénudé, le Grand Duc banni
De ton duché de vagues et d’Océanie,
Tandis que j’écoutais de mon âme attentive
Les roulis ondoyants de tes femmes lascives.
1986
III
( A l’ami Claude)
En sus de la grande infortune
De la saison longtemps morose,
Je trouve encore, Ah l’importune !
Ami, votre poterne close.
Je sus par le hasard du vent
Vos ennuis d’hypogastre mol,
Et je mendie sous les auvents
Ce que devient le cher Coucol.
Par le vent aussi, je connus
Que Saint Amant se refit moine,
Brûlant le jour dans la cornue
Où germe une aube plus idoine.
Morbleu ! Bientôt le nouvel an,
Et l’éternelle ritournelle ;
Je trouverais très consolant
D’avoir un peu de vos nouvelles.
Le 30 décembre 1986
20/Complainte pour Cydalise
Combien de neiges sont écloses
Loin des beaux yeux de Cydalise,
Mille saisons où chaque chose
Renferme un peu de sa hantise.
Son souvenir immobilise
Les anges aux arches de Coblence,
L’ondine pleure, le Rhin s’y brise,
Mon doux refrain de vieille France.
Depuis qu’est morte votre voix
Broyée d’ahan de souvenirs
Dans les jardins du défunt roi,
Depuis qu’est mort notre avenir,
Le monde dort où votre pas
Passa, léger, comme un oiseau,
Le monde dort au fond des eaux
Rêvant d’avril entre vos bras.
Le 5 février 1987
21/Marine
Des aubes de plomb, coulée d’anges abattus
Enflamment l’océan de miroirs inaudibles,
Amplitudes happées aux longs rostres battus
Dans l’écume éblouie de courbes inflexibles.
La morsure du silence et les soleils radiés
En couleurs écrasées d’infâmes récurrences,
Exhalent éperdument, en trombes irradiées,
Des remous énervés bavant des îles rances.
Les clameurs incendiées sous de longs voiles nus
Et la vie qui a soif du sang de l'inutile,
Qu’un éclair a criée sur l’enfer trop connu
Des néants grimaçant des bonheurs immobiles.
Cet écho qui se mire étendu sous l’orage
Immense où cingle l’élan froid des marées,
La fièvre des longs cours au granit amarrées
Saigne l’azur blême et le vent du naufrage.
Novembre 1988
22/Comme un châtelain
Comme un châtelain
Qui retrouve
D’anciens perrons nus
Où tant de nuits ont plu
Et des yeux morts au fond des douves.
Dans la nuit et le jour
Gourds de givre lourd
Se noient des bleus de Prusse.
Des soupirs slaves et russes
Avides de légendes
Lentement qui vont l’amble
Le long des longues plaines
Où je perds haleine.
Et mes pas qui s’abîment
Aux abîmes et aux cimes,
Et les lacs mouillés
Pleurent des femmes oubliées.
Ce sont elles, filles d’Emèse,
Les vestales de Nüremberg
Qui me regardent et se taisent
Dans leur robe d’adultères.
Ce sont elles, les vierges boréales,
Les amantes et les guerrières,
Pour qui j’ai tant souffert
Les torrents et le cristal.
1989
23/Sous un ciel fatigué
Sous un ciel fatigué comme plaine en Velin,
Le vent grince au beffroi d’insondables batailles
Et le fleuve de plomb creuse et ronge la taille
De l’épouse inhumée dans l’oubli des vélins.
Loin de moi, Sainte Image, doux avril en pluviôse,
Reste vierge dans l’aube du faux avenir
Que nos corps et nos yeux ne se voient pas vieillir
Se mourant face à face de l’envie d’autre chose !
Eternelle repose en l’auguste tristesse
Comme un soir qui descend sur les eaux du Starnberg,
Où ce roi malheureux aux fenêtres de Berg
Endormit lentement sa mouvante détresse.
1989
24/Lohengrin
( à mon ami Marc)
Dans la ville sans hommes et sans rêve de Dieu
Ton ombre a coulé dans l’ennui du décor,
Poursuivant d’une voix l’écho triste et radieux,
Le hasard fasciné qui accoste la Mort.
Un serment t’a lié à la Vierge Mystique,
Son regard étranger survolait d’autres cimes,
Et Fourvière s’est juché au sommet de ta rime,
Dans l’étreinte inouïe de l’infâme déclic.
Ta sainte couronne a été ce martyre
De connaître la nuit sans espoir de demain,
Comment nommer ce Mal qui fut ton seul Bien,
Dans ce cœur lacéré des abois du partir ?
Humilié chaque jour par l’Idole inhumaine
Des naufrages urbains, des aurores sans joie,
Ton destin est celui des déroutes humaines,
Ton histoire a redit la légende d’un Roi.
Berchtesgaden, la nuit, parcourant l’autobahn,
Les lueurs défilant au rideau de l’hiver
Jusqu’aux brumes transies appelant le mystère
D’un amour qui se fuit, se débat et se damne.
Des fleuves recréeront un jour ta naissance,
De terribles orages marqueront dans le fer
Cette immense agonie qui appelle vengeance,
Ton renom sera grand, Victorieux de l’enfer !!
Novembre 1989
25/Vieille France
Le rideau se soulève en lourds plis de ramures,
Sur un fond de Watteau de tranquille apparence,
Un décor de province aux douceurs de Régence
Où les anges sourient en d’aimables parures.
Les ombrages drapés aux airs de Gobelins
Promènent la clarté d’un rêve d’élégance
Aux atours surannés des fantômes de lin
Effeuillant les saisons d’une anciennes existence.
Et le temps mordoré de nervures baroques
Repose, solitaire, aux lambris des châteaux,
Les silences lointains aux langueurs de cours d’eau
Balancent lentement l’azur parmi les ocres.
Acajou craquelé, vieil or de l’âge d’or,
Natures mortes posant sur des airs pastoraux
Des senteurs de hautbois prolongent leur écho
Dans la douce piété où le monde s’endort.
Balustres de Touraine, chasses à courre des tentures
La campagne a le goût du pain du vieil Evandre,
Et les lits damassés, et le vin au cœur tendre,
Pays de vieille France encadré de dorures.
Le 10 février 1991
26/Des buées d’aubes
Des buées d’aubes et de soirs invaincus
Lacèrent l’étendue de l’insondable prose.
Ô enfin, invoquer la salutaire abstention,
Vouloir, pouvoir enfin l’arrêt parmi les choses,
Nécessaire et vaine pause
De la contemplation.
Je me fonds dans cette allure profonde, vivante,
Et glacée
Parmi l’ineffable volupté d’où monte la tendresse
Sauvage du soir.
Courir, s’essouffler, s’enivrer de l’éphémère cadence
De l’eau et du silence.
Embrasser, respirer l’oubli souverain
Des terreurs exécrables du temps.
Le pas du seigneur sur les brisées d’un réveil,
Ô immaculée profondeur des chênes !
Parmi le chœur des lumières
Et les tourments de pénombre,
Revenir et s’étendre,
Ecouter et dormir.
Le 6 décembre 1991
27/La sirène du Nord
J’ai senti le vent d’anciennes trombes
Se lever dans le lointain des cimes,
Brûlant dans l’ombre où le soir gronde
Des torrents d’aube dans l’abîme.
L’hiver revient sur ces forêts
Où j’ai hurlé le brasier noir
Du mal maudit que tu m’as fait
Jusqu’au silence sans mémoire.
Je revois le pas de mes errances
Heurter ces rues de moyen-âge
Mirant d’aimables colombages
Au cri navrant des diligences.
Les nuits de pierre dans le ciel rouge
Transies de fièvre aux meurtrières
Et la voix bleue des belles gouges
Mi-chant de loup et de sorcière.
Et cette image de longue traîne
S’empare encore du soleil mort
Etreint mon cœur, aux mers du Nord,
Du baiser froid de la sirène.
Novembre 1992
28/Ton visage a paru
( à Jocelyne)
Ton visage a paru comme une pluie de mai
D’où naissent les offrandes aux belles saisons d’or,
Et ton souffle a frémi ; oserai-je jamais
Le cueillir à ta bouche sans peur du mauvais sort ?
Tu es ce matin bleu qui calme la tempête,
Ces heures où je grandis à l’ombre de ton cœur,
Le jardin des ormeaux où rêve le poète
Sur la table de pierre où nous vînmes en chœur.
Et tes jambes dorées que couvre la voilette
Des tapis de fleurs neuves en tes robes d’été,
Et tes seins devinés, ces beaux fruits d’oranger,
Ont des parfums éclos qui me bercent la tête.
Puis, au creux de ta vague a jailli l’océan
Où des soleils blancs s’en vont boire la nuit,
Et nos cendres ont mêlé dans l’ardeur et le sang
La rosée de tes lèvres et l’embrun de ma pluie.
Je t’aimerai comme le vent aime la terre
Caressant tes silences et brûlant mes fureurs ;
Je me reposerai ivre d’aube et d’hiver
Dans tes yeux et ton flanc où dort une lueur.
19 octobre 1994
29/Nous nous réveillerons
Nous émergerons de l’Equinoxe d’airain
Comme d’un bain profond dans le sombre Styx,
Nous nous réveillerons sur des plages d’onyx
Sous des fraîcheurs de lys, un berceau de matin :
Roses neuves, nappes blanches, palais de printemps…
30/Les calmes jardins
M’arrachant à l’effroi de ce monde sans liesse
Je reviens en rêvant refouler le perron
Et les calmes jardins d’une ancienne jeunesse
Où vacille le jour sur les vieux bassins ronds
31/Ma Flibuste
Ô ma flibuste, ô mes voiles déchirées,
Et mes douces envies de violence
Dérivant, mortes, en déshérence,
Loin de ces grèves tant désirées !
La mer aux mèches d’ouragan se libère,
Passe, livide et noyé, un autre jour,
La mort du jour se voulant nécessaire,
Sur mon front délavé d’improbables amours !
32/Eparses
1
Ces orages guettés au cœur de mille hivers
Guerroyant vers la nuit en sombres carrousels…
2
Nous étions de ceux-là amoureux du Sublime
Nous étions de ceux-là à l’égal des Rois.
3
Et les saisons passaient, effleurant les courtines.
4
Formes minérales de ce qui doit être,
Albâtre blême d’où l’on voit naître,
Arrachées, souffertes, les lignes idéales…
5
Ô fille des Dieux et gardienne des pierres,
(De ce sol païen subjugué par la croix),
La toge blanche de ton adolescence
Seyait si bien à la noble innocence
Qui te glorifia du nom de la Lumière.
6
Le silence revient à ceux-là qui soupirent
Aux lèvres de la nuit, l’impuissance des mots !
7
Les morts, couchés dans la terre humide et noire,
Le linceul rabattu,
Suaient et s’agitaient d’un pénible Néant...
8
Les vestiges du jour
Le temps s’arrêtera devant l’ultime porte : Lumineuse comme la Vérité, elle s’ouvre sur un sanctuaire doré sans mémoire et sans attente, sur des jardins radieux comme un paysage de Campanie ou de Toscane, où les vestiges du jour ressuscitent au cœur d’un été infini.
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