Le jardin du cousin Vincenzo Carfora embaumait délicieusement le citron et l’orange, dont les globes semblaient accrochés dans les feuillages comme des parures d’arbres de Noël.
Ce jardin, c’était un petit paradis de senteurs exotiques, diapré de couleurs méridiennes, ployant sous une chaleur torride à peine atténuée par le fouillis chargé des frondaisons, criblé du crissement ardent des cigales, ces éternelles aimées des dieux et des poètes.
Une paisible pergola tapissée de charmilles et pavée de marbre, où les gerbes d’ombre et de lumière se mêlent en treillis de sensations lourdes de maturité.
Farniente suave à l’ombre des figuiers aux fruits pareils à des mamelles de miel, auréole des palmiers dans l’azur méditerranéen.
Cet endroit me semblait ressusciter les jardins de Pompéi tout proche et la grâce gréco-romaine d’un art de vivre où l’instinct du naturel s’allie avec bonheur au goût du raffinement. J’y respirais, ressurgi des millénaires, comme un havre de la civilisation classique teintée des douceurs capiteuses et baroques de l’Orient. Un lieu propice à deviser d’amour et de philosophie cyrénaïque parmi les parfums de floraison et le susurrement de l’eau claire des vasques.
Anacréon chantant l’ivresse et Théocrite les idylles des dieux et des hommes, Arion et Alcée, les princes de la lyre, Homère et Catulle, poètes de l’eau et de la terre, toute la légion sacrée des immortels, passent un instant devant mes yeux, dans leurs toges blanches, le front couronné de fleurs et de laurier, fantômes de lumière flottant dans l’azur éternel des bienheureux.
Combien étaient loin, en ce moment merveilleux, loin de cette oasis de paix et d’harmonie, toutes les stupeurs effarantes de la triste modernité, ses cortèges stridents et ses affligeantes difformités.
Je repense à la prière d’Horace (O rus, quando ego te aspiciam !) pour qui l’amour de sa maison des champs est un bien plus précieux et respectable que toutes les pitoyables vanités terrestres de la gloire, du pouvoir et de l’ambition sociale.
Elle est la retraite heureuse de l’honnête homme, l’asile protecteur du poète et du philosophe, à l’écart de toutes les accablantes agitations du siècle, entourée de ces jardins pleins de délices et de réminiscences dorées, semblables à celui où je me trouvais cet après-midi d’été.
En ce lumineux séjour des choses simples et bonnes, le sentiment atteint ce que la sagesse naturelle regarde comme l’expérience même de la sérénité, cette ineffable et calme félicité des résonances intérieures, cet accord mélodieux entre le rêve et le monde…
Au reste, est-il dans le cœur de l’homme un plaisir plus noble et une pratique de l’existence plus vertueuse que la liberté de la vie champêtre ? Qu’il est bon en vérité de partager le temps infime qui nous est donné ici-bas, entre les saines activités d’une occupation rustique et les agréments de l’aimable oisiveté, celle que déjà l’auteur des Satires consacrait à « la lecture des livres des Anciens et aux doux entretiens de l’amitié ».
Honorius/ Les Portes de Janus/ 1992