vendredi 4 février 2000

L'inconséquence du roseau pensant (1)

Marée Noire

L’histoire du commun des mortels est la longue histoire de son asservissement à la terre, depuis dix-mille ans. Pourtant, amère bévue du sort, l’évolution de la civilisation matérialiste, en libérant, si peu que ce soit, l’homme de son antique servage, menace désormais les équilibres naturels qui conditionnent la sûreté de son existence, sa santé, et sans doute, à terme, sa survie.
L’homme est un organisme vivant qui ne peut se couper de son environnement biologique, du terreau de ses origines. Face aux menaces que tous ses crimes d'indifférence et d'avidité font peser sur l’avenir de son espèce, il se trouve aujourd’hui devant cette urgente et absolue nécessité de restaurer ses rapports primitifs avec le monde, les dialogues intimes avec la terre nourricière.
Mais le peut-il seulement encore ? Entraîné dans cette course insensée de la croissance et du développement sans fin qui épuise les ressources de la vie en même temps que toute dignité morale, il assiste, témoin piteux et impuissant, acteur irresponsable, aux conséquences de son aveuglement.
Le messianisme matérialiste, fourvoyé dans tout ce que sa conception enragée du monde comporte de désastres et de déracinements, conduira bientôt l'humanité à l'heure où il faudra régler les comptes.
Hélas, il n’y a pas de limite à la superbe du primate hominidé, dont l’arrogance métaphysique prétend voir en sa propre personne la clef, la signification même du secret de la Nature. Sa destinée sur cette terre pourrait se résumer en deux mots, claquant comme une devise: Asservir et exploiter, ou bien: Souiller et détruire, son ignominie nous laissant le choix égal de la formule.
"La présumtion est nostre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c'est l'homme, et quand et quand la plus orgueilleuse", disait Montaigne (Essais Livre II chapitre XII)
Car même s’il est un « roseau pensant », une sorte de prodige de facultés et d’intellect qui l'ont mené à la fois aussi haut et aussi bas, il n’en demeure pas moins, comme la tortue ou la musaraigne, le fruit d’un hasard généreux de l’évolution et voué comme tel aux vicissitudes de la vie et de la mort, de l’être et de l’anéantissement. Sa domination sur terre fait suite à celle des reptiles dinosauriens et des invertébrés marins de l’ère du Permien ; elle précédera peut-être celle des fourmis ou des rats.
Car quel est le destin de l’homme face à la durée, au temps géologique qui voit la dérive des continents et l’exhaussement des montagnes, pour qui vingt millions d’années ne valent qu'une seconde de son existence ?
Sûrement viendra-t-il un temps où il oubliera la casserole sur le feu, où il appuiera par mégarde ou par malice sur un bouton rouge, où il laissera le couvercle ouvert d'une de ces boîtes de Pandore dont les pouvoirs le dépassent, pour tout déchaîner et tout anéantir. Ou bien la Nature elle-même, déchaînant à nouveau ses forces aveugles, d’un tremblement d’épaule, d’une chiquenaude, d’un souffle de son haleine, anéantira l’espèce humaine comme une de ces vermines chatouillant la vieille croûte terrestre. Pour le plus grand soulagement du monde!

Février 2000

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