mardi 30 juin 2009

Contre l'ennui du quotidien

Contre l’ennui du quotidien et les vaines agitations du monde, dont se gardait déjà la philosophie d'Horace et de Lucrèce, nos premiers modernes, j’ai trouvé dans l’exercice, dans la tentative de l’écriture une consolation qui me vaut tous les divertissements. Je m’y suis livré avec toute la fantaisie digressive de mon tempérament. J’aime musarder où me conduit mon humeur, dans les tours et les détours d’un promeneur pensif et sentimental. Mon naturel se plaît dans les divagations et les causeries, dans les méditations buissonnières et les rêveries, à travers la poésie illimitée du langage. De quoi s’agit-il ? D’un désir que chaque homme sensé doit avoir au fond du cœur ; d’une tentative, ô combien dérisoire, de restituer une parcelle d’éternité à cet écoulement permanent des choses, de sauver de la nuit définitive ce que Verlaine appelait « l’inflexion des voix chères qui se sont tues ».J’ai placé dans ces témoignages de « l’intériorité » toutes les facultés de sens et de sincérité dont je me crois capable, dans l’espoir de hisser au-dessus du sort commun du silence et de l’oubli, un reflet, une idée de ce beau rêve d’être. Car je m’associe de toute mon âme à cette désespérance profondément humaine face à l’angoisse de la fuite du temps, à l’effroi de la déchéance et de la mort. Je souhaite enfin dédier ces lignes à ma fille Clémence, lumière de ma vie, qui a dû regretter de me voir passer bien du temps, à l’écart de la sollicitude que mon affection lui devait, « au milieu de tous mes papiers »

A Saint-Romain-de-Popey

Le 30 juin 2009

mercredi 10 juin 2009

Le journal de Dario (9): Au sommet de la Colline




Au sommet de la Colline 

Dario se laissait emporter par son cheval de vent. Il chevauchait, buvant au galop l’azur infini des champs de bleuets qui étaient comme un reflet éblouissant de l’azur du ciel. Mais Dario ne s’enivrait plus de la beauté du monde. 
Il chevauchait toujours plus vite sur son coursier bai à la noble crinière noire, qui portait avec lui, tout le poids de sa mélancolie. 
Les vieilles croix de pierre au bord des chemins, le vol des aigles au-dessus des nuées, jadis adorées et vénérés de ses pères, n’arrêtaient pas même ses regards. 
Dario ne frémissait plus aux voix mystérieuses du sacré. 
Longeant des houles de blé d’or, fendant l’océan des prairies ondoyantes, il s’engouffra bientôt dans la pénombre d’une forêt, comme un réprouvé qui voudrait y enfouir sa honte. Le dos courbé sur sa monture, il sentait les frondaisons fouetter son corps et son visage. La forêt autour de lui resplendissait de longues épées de lumière se brisant sur un lit d’ombrages apaisants. 
Mais Dario ne sentait plus la grande paix de la forêt. Il croyait fuir la vérité, mais la vérité lui faisait face sans relâche et sa course n’avait pas de fin. 
La fatigue, un moment, eut raison de son élan, l’obligeant à faire halte près de l’onde d’un ruisseau où son cheval essoufflé se désaltéra. 
L’eau chantait son refrain argentin entre les rochers, sous l’ombre des frênes. Le scintillement de la vie vibrait et florissait autour de lui, mais Dario, perdu dans des pensers amers, ne le sentait pas. Combien il eût souhaité de toute son âme que l’oubli de la vérité coulât aussi comme l’eau de ce ruisseau ! 
Mais la vérité, cruelle et tenace comme une malédiction, ne lui laissait pas de répit. 
Puis le vent se leva, les nuages sombres de l’orage se rassemblèrent, faisant soudain planer une ombre menaçante, et le ciel sur sa tête se déchira. Mais Dario ne sentait pas l’eau du déluge s’abattre sur son front las et brûlant. 
Puis il talonna de nouveau au galop jusqu’au sommet d’une haute colline où son regard embrassa le vaste horizon incendié de brumes. 
Mais Dario ne percevait plus la splendeur du monde. 
Son regard se perdait au loin vers un point vague et incertain qui semblait mystérieusement attirer son attention. Là, il savait des amours fidèles et heureuses avant qu’elles ne se meurtrissent, se mentent ou se méprisent à leur tour. 
Il se rappela l’espoir insensé, il se rappela le doute, il se rappela le temps où ses sens en éveil le portaient naguère comme dans un rêve improbable. 
Mais la vérité et sa sœur jumelle, la certitude, avaient resplendi de leur clarté définitive sur l’ombre de cet espoir et de ce doute, et lui brûlaient avidement le cœur. Il y avait au loin des femmes et des hommes qui s’aimaient, ou feignaient de s’aimer, d’autres qui se haïssaient et se maudissaient et Dario enviait leurs pauvres amours juvéniles ou corrompues, il enviait les ardeurs de leur haine. 
Une solitude sans fin régnait au sommet de la colline. 


10 juin 2009 

Pour rechercher un article

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *

Archives du blog