vendredi 1 décembre 2017

A mon oncle Vittorio

Passé le coup de tonnerre de la stupéfaction, qui horrifie, meurtrit et scandalise, s’installe, plus vite qu’on n'eût pensé ou souhaité, l’ennui hébété de l’irrémédiable, un vide d’absence et de résignation à la banale idée de l’éternité. Banale, comme la vie tremblante qui continue de couler dans nos rangs clairsemés, parmi le chaos du quotidien qui nous arrache au silence glacé de la douleur et de la peur, banale et merveilleuse comme à chaque réveil dans les lueurs du matin.

Ce masque d’ange épuisé à la douceur tragique vient figer les dernières implorations de l’être vivant, celles que ton souffle exhalait il y a une heure encore dans l’intimité de cette immense solitude. Comment croire que tant de sensibilité et d’intelligence cultivées patiemment à la lumière du monde, comment croire que tant de trésors de conscience se soient subitement évanouis dans l’antre du néant ?  Et cette vie si longtemps courtisée où les désirs obstinés de ravissement bruissent et chatoient comme une onde miraculeuse, faut-il qu’elle passe comme passent les nuages dans l’orée frémissante du soir ? Ce chemin que j’ai suivi mille fois en ruminant le silence des idoles, en livrant mes stupeurs aux vertiges de l’illumination, faut-il qu’il se termine dans cette ornière aux portes de l’agonie ? Cher frère en mon coeur, mon désarroi sera le tien, le jour funeste où viendra m’enlacer l’étreinte du désespoir et de la douleur. Je repenserai alors à mes élans de liberté et de gloire sur le dos majestueux de la Licorne, à ces prairies flamboyant comme une traîne de louange à la couronne des montagnes, à ces ciels battus par les épopées sauvages, du temps où j’étais encore vivant. Je repenserai, comme au dernier jour du condamné, aux visages et aux voix anciennes, au long voyage des saisons, aux humbles révélations dont la vie tire aussi sa splendeur, sans doute aussi aux défaillances dont je me soupçonne.

Mais à quoi bon épuiser sa conscience dans la traque des ultimes remords ? N’y a-t-il pas assez d’affliction à devoir quitter à jamais les rivages resplendissants du monde ?

Et puis, après tout, qui sait, je suis sûrement dans un rêve, et je m’éveillerai bientôt à l’évidence du jour !

 

Décembre 2017


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