dimanche 21 janvier 2024

La traversée de Paris

 

Le gargotier

Montesquieu se demandait fort malicieusement comment on peut être Persan. Il faut dire que les Lettres persanes était un exercice fort subtil de critique sociale tel qu'il n'est plus possible d'en voir aujourd'hui. L'esprit de finesse, depuis, a changé d'orientation et de style, comme s'il n'était plus de ce temps qui a résigné toute espérance d'un avenir meilleur. La critique sociale ne passe plus guére par l'esprit et par la plume, mais par une succession de colères et de dépressions. La réalité qu'on nous fabrique nous a si bien amolli le cerveau qu'il faut beaucoup d'énergie aujourd'hui pour se demander comment il est encore possible de vivre dans ce monde si haineux de la vie, de la beauté, de la paix, de la justice et du bonheur.
Rien que chez nous, ici, en doulce France, comment est-il possible par exemple de continuer à penser l'être et la vie comme le pense un crâne d'oeuf macronien, ce spécimen de baudruche aussi prétentieux qu'il est gonflé de creux et de vide? Même la politique, qui devrait être l'aspiration à la cité idéale, en est réduite, au point où on ne l'avait encore vue, à une de ces petites choses incongrues, où l'ennui le dispute avec dégoût au dépit et au désespoir.
Et si l'on regarde plus loin, on peut se demander avec grande consternation comment il est possible d'être sur cette Terre tout simplement un Russe, oui un Russe, de ce peuple éternellement si misérable qu'on n'a su en tirer que des ivrognes et des crétins, des exterminateurs de masse, et dont le prétendu romantisme historique de l'àme slave n'est qu'un ridicule costume de singe? Certes, il y eut Dostoievski, Tourgueniev, Gogol, Tolstoï, mais comme l'espérance des Lumières, tout cela s'en est allé finir en eaux troubles. La liste d'infamie est longue. Par exemple, comment peut-on être, sans dommage pour la sauvegarde de notre planète, un Américain, un gros Américain buté et étroit à la Trump, comment peut-on être un Chinois, un Nord-Coréen, un Iranien, dans tout ce qu'il y a de pire dans leurs accoutrements doctrinaires et fanatiques, et qu'un mot de trop pourrait faire tout basculer dans l'abîme? Comment peut-on en être réduit à cette fatalité de violence et d'abrutissement, acteur tout autant que victime de la grande connerie universelle, si grande et si universselle qu'elle en atteint même une dimension métaphysique? Oui, comment est-il encore possible d'être ce que nous sommes tous collectivement devenus? Des orques, des humains décomposés, qui ne savent plus voir ni sentir ce qu'il reste de la rareté du monde. Rassurez-vous le Français n'est pas en reste, cet individu mesquin et suffisant, ne sachant plus que pérorer sur des causes dont il a lui-même affadi le sens et fourrant bêtement son nez partout. Cet orphelin du vieil idéal humaniste, ce dégénéré de l'ancienne élégance, qui s'empêtre lamentablement dans sa syntaxe maternelle comme on traîne avec soi un lourd handicap, ne représente plus aujourd'hui qu'un petit renfrogné mal-éduqué et teigneux comme un kobold, passablement malpropre, car fort peu soucieux de rapports décents avec son environnement.


J'ai revu dernièrement le film de Claude Autant-Lara (1956), "La traversée de Paris", qui fait un portrait sans concession de ce couple d'odieux gargotiers, sorte de Thénardier délateurs exploitant une jeune servante juive, et dont les visages portent à eux seuls la noirceur de la France vaincue et humiliée de 1942. Grandgil (Gabin) n'a pas de mot assez vache contre l'homoncule: "Une face d'alcoolique, de la viande grise avec du mou partout, du mou, du mou, rien que du mou" toute une vie de bêtise et de bassesse morale qui devrait, "Nom de Dieu", lui faire "honte d'exister". Ce réquisitoire, d'un noir-et-blanc tragique (non sans humour) dans un contexte oppressant (celui de l'occupation) ne renvoie pas seulement à nos lâchetés d'hier mais, selon moi, à l'errance ontologique qui fait le lit du désastre en cours. Car partout où le regard se tourne, ou si peu s'en faut, il s'agit bien de nommer désastre, tant au physique qu'au moral, ce que l'inconséquence humaine à fait de ce monde en lambeaux. Devant tant de calamités, peut-on encore espérer en l'avènement de la vraie et juste victoire, celle qui féconde toutes les  autres, je veux dire la victoire de la conscience morale contre l'aveuglement et l'obscurantisme?  A vrai dire, fascinés par nos instincts de destruction, nous sommes collectivement incapables d'être autre chose que des vaincus, des produits d'une déconfiture universelle, des naufragés de l'esprit et de l'intelligence, affichant, encore plus laide, encore plus pitoyable, la sale gueule du gargotier, sa viande grise avec du mou partout!

Honorius/Les Portes de Janus/ le 21 janvier 2024


lundi 15 janvier 2024

Coucol, mon frérot, mon poto.



Mon chat Coucol est mort le mercredi 10 janvier 2024 vers 9h40. Las, je l'ai conduit au sacrifice des innocents comme on porte un enfant sur les fonts baptismaux. Il faut dire qu'il était bien plus qu'un chat barrant la route de la cave aux rongeurs. Coucol, c'était mon ami du premier jour, mon frérot, mon poto. C'était la présence silencieuse, calme et bienveillante et la beauté philosophique dans les yeux. Je suis décidément trop empathique avec les animaux, je m'attache à leur chaleur comme à la chaleur maternelle et quand ils s'en vont, je pleure comme un orphelin. Je crois que ce qui me fascine le plus chez eux et nourrit cette empathie, c'est l'expression, souvent même la sincérité tragique de leur regard, qui renvoie à tous les mouvements profonds de l'âme. Je ne saurais toutefois rien ajouter à ce qu'ont dit du Bellay, Baudelaire, Sand, Dumas, Zola, Colette, Heminngway et tant d'autres, à propos du mystère et de la beauté des chats. Comme disait d'ailleurs Colette: "Il n'y a pas de chat ordinaire". Je dirais méme en ce qui me concerne que chaque être vivant a son caractère proprement extraordinaire et je voue à ce titre un respect infini à tout ce qui, sur cette terre, de poil, de plume ou d'écaille, exprime sa part d'intelligence et de sensibilité. L'amour que nous partageons chaque jour avec un animal est aussi fort que tout ce qui nous lie aux êtres humains qui nous sont chers. C'est sans doute rappeler là une évidence. Mais le deuil que nous éprouvons devant la perte d'un être aimé, fût-ce celle d'un chat auquel nous avons prodigué tant d'affection et de soin, est toujours l'occasion de nous interroger non seulement sur notre destinée individuelle mais sur la destinée de cet amour qui donnait force et sens à notre existence. Cette énergie, cette communion des âmes, qui est toute notre raison d'être, subsiste-t-elle d'une maniére ou d'une autre après la disparition des corps? Nous voudrions bien nous en persuader afin de nous consoler de l'angoisse horrifiée du néant. Certains trouvent la source de cette consolation dans les livres des Révélations et comprennent que la vie doit être vécue avec cette sainteté des sentiments pour accéder à la vraie lumière. D'autres, pérégrins des sentiers sauvages, quêtent le visage de la divinité dans l'infini du firmament. Mais tous suivent ces mêmes chemins de peine, de joie et d'espérance jusqu'au sommet de leur montagne. Tous savent désormais que notre part d'éternité est dans l'amour que nous vivons en partage, et qui, comme l'esprit, s'accroît continuellement de sa propre substance. Coucol a emporté le mien, dans sa nuit, comme un viatique. Celui qu'il m'a donné de toute son âme, j'en porte la chaleur en moi pour la transmettre à mon tour dans le flux universel. À vous qui avez rejoint l'ombre et le froid de la terre, à vous qui n'êtes plus que silence et que cendres ou qui le serez bientôt, je le proclame comme une évangile ou une invocation chamanique, car tout devient alors évident: l'amour qui brille en nous, plus que le souvenir périssable, est notre source d'éternité, l'indéfectible beauté de l'être et du monde.

Coucol, mon frérot, mon poto, chaque jour je crois encore entendre tes appels qui se sont tus et mon coeur, j'en fais l'humble confession, est lourd de mélancolie. Tu as quitté à ton tour, dans l'épreuve de la pitié et du courage, ce séjour d'illusion que nous avons partagé comme le seul vrai bonheur, mais, vois-tu, rien ne disparaît complètement. Car il nous reste à jamais ce que l'ancienne croyance nomme la fraternité cosmique, ce chemin de lumière qui relie les vivants et les morts et les réunit dans la vie éternelle. Dis donc, si cela n'est pas une belle consolation! 

Honorius/Les Portes de Janus/ le 15 janvier 2024


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