jeudi 15 février 2024

Au commencement était Zani

Zani


Tout ce qui est, est la réalisation, la formulation d'une intention. Ne me demandez pas qu'elle est cette intention puisque c'est précisément le coeur du mystère. On peut cependant imaginer, c'est-à-dire penser avec des images et toutes sortes d'inventions ou projections mentales, et pour ainsi dire avec toute l'intuition du possible, que chaque forme est le résultat, la conséquence, la continuation d'une autre forme. Voici posé un des principes d'une philosophie dynamique de l'être, où viennent nous titiller tôt ou tard la question brûlante de l'impulsion première et l'appel diffus et sauvage de l'esprit, comme volonté universelle. C'est là que nous croyons entrevoir la ligne fuyante de la Finalité, celle aprés laquelle courent toutes les coterie métaphysiques, jaillissant comme une comète à travers la terrifique soupe cosmique pour aller se perdre, in partibus incognitis, dans des confins insondables d'obscurité et de brouillard. Car je m'avise que malgré toutes les bonnes dispositions de notre entendement, nous ne pouvons tirer en fin de compte aucune vérité eschatologique de l'état des choses et des événements car rien ne se vérifie exactement, de près ou de loin, comme on l'espère, comme on le croit, comme on le craint ou l'imagine. Malgré tous les télescopes et microscopes dont nous fouillons en nous et hors de nous, les abîmes d'infini, malgré tous nos voyages mystiques dans le cours éthéré de l'ineffable et de l'invisible, que connaissons-nous réellement du monde? Les plus clairvoyants ont même inventé une science, l'épistémologie, définissant notre incapacité à connaître le fond et le sens du réel. Du reste, une fois qu'on a passé le Styx, le visage masqué et les pieds devant, les invocations à la communion cosmique, si chère à l'esprit métaphysique, se dissipent dans un désert de silence, de même que nos lamentations, de même que nos cris ne sont que les échos mélancoliques de ce silence. Hélas, ajouter de la stupéfaction au vide, de la douleur à l'absence, du désespoir au néant, c'est le sort piteusement réservé aux vivants dont ils ne sauraient rien tirer qui vaille pour leur gouverne ni surtout pour leur salut. A moins bien entendu d'être soi même acoquiné avec le tout puissant Zani, le prestidigitateur cosmique, d'aucuns disent le frère ou encore le vrai nom d'Aton, qui, de ce vide, de cette absence et de ce néant débite ad libitum et en un tour de main des orgies d'univers. (Car au commencement était Zani, comme le prophétisait mon cher ami Saint Amant, ce qui, soit dit en passant, ne permet nullement de confondre iceluy Zani avec l'histrion Zanini, disgracié d'une tête d'Hilarion Lefuneste, et qui incarna plutôt la fin que le commencement).
Las, il faut bien reconnaître que la fameuse espérance des âmes ne semble avoir aucun effet mobilisateur sur les morts, les pauvres morts, c'est le moins qu'on puisse dire. Car il n'y a que les vivants pour invoquer cette chose aussi naïve qu'un au-delà de la mort où nous pourrions renouer, comme le sentier des loups se fond dans la voie lactée, avec une trame d'absolu et d'éternité. Je m'en tiens rigoureusement à cette seule vérité, cette seule évidence, dirons-nous, selon laquelle il n'y a pas d'autre absolu ni d'autre vie éternelle que celle qui nous est donnée dans la présente réalité. N'est-ce pas déjà un miracle absolu de vivre? une chose extraordinaire qui ne peut nous arriver qu'une seule fois? Pour autant, que l'on ne vienne pas me faire un procès en renoncement matérialiste, car je n'ai pas faute, malgré mes accès de dépression, de sentir chaque jour opérer en moi l'esprit de l'être et du monde. Il remue en moi comme un fluide brûlant qui ne me laisse guère en repos. Et même si je désespère de recevoir la grâce des belles assurances, je ressens ce désespoir comme une épreuve de purification, d'édification. La foi nous grandit, certes, mais le désespoir de l'avoir jamais perdue, le combat pour la recouvrer, sont d'autant plus héroïques. Mais celui qui a la foi n'est pas pour autant tiré d'affaire car il doit lutter sans cesse pour la conserver, tant les épreuves du temps et de l'existence nous aiguillonnent, nous déchirent parfois, de leurs doutes et de leurs incertitudes. Mon tort est sans doute de trop cogiter si bien que je perds le fil et m'épuise sans cesse à me chercher moi-même, à me pousser dans mes propres retranchements. Je devrais, comme les morts, prendre quelque recul et observer une pause. Ah! me reposer le cerveau, n'entendre que le murmure des ramures et de l'eau vive, contempler seulement la vie passer devant mon regard en me laissant vivre à mon tour, n'être plus que ce nuage miroitant emporté doucement par le vent, cette feuille d'aulne ou de hêtre dérivant mollement au fil du ruisseau. Nom de Dieu, ce serait vraiment trop me demander à moi-même? Je voudrais tant me pénétrer, ne serait-ce qu'une journée et une nuit, de la sérénité de celui qui a reçu cette lumière intérieure que l'on nomme la confiance, cette lumière qui rayonne jusque dans notre sourire et nous assure, pendant 9 ou 10 heures d'affilée, la quiétude d'un doux sommeil.
Te reverrai-je un jour, Toi l'être absent, au-delà des rivages de la mort? Te reverrai-je un jour, au-delà de l'immensité stérile, dans une réalité dont je rêve sans toi, dont je rêve sans trop y croire et qui, sauf avis contraire ou coup de théâtre, n'existe que dans les pieuses fabulations? J'ignore si, d'où tu te trouves, dans quelque nébuleuse et autre poussière de firmament, dans quelque molécule des entrailles de la terre ou de l'océan, tu observes le visage soucieux de ton fils traînant ici bas le poids des regrets et des imperfections. Vois-tu encore à travers mon regard les dernières beautés de cette vie, les couleurs du temps qui passe et de l'aube qui se fane? On dit en effet que les morts, sur le chemin de l'Erèbe, se retournent encore pour contempler le monde avant de disparaître...
Croyez-vous que ce soit dans les livres qu'il faille espérer trouver quelque vérité sur la réalité fondamentale de l'être? Chez moi, les livres, que je prends certes la peine de lire, font ployer des étagères et encombrent même le passage. De leur fréquentation, à part de la poussière allergogène et quelques éternuements, j'en retiens quelques belles idées, de profonds sujets de réflexion mais n'y ai rien vu pour autant qui me rassure ou m'éclaire seulement sur le sens de ma destinée. Même les livres des prétendues Révélations ne m'apportent rien de décisif, pas une seule parole libératrice sur ce sujet. Serais-je un peu dur d'oreille ou d'entendement, de n'avoir rien trouvé à ma main et à mon pied dans ce vaste marché didactique, dans cette gigantesque brocante de la pensée humaine? Il est vrai que je tiens les écoles en horreur, je veux dire les pensées à système où tout semble tellement laborieux et contraint lorqu'il ne m'apparaît pas, dans le pire des cas, affreusement vain ou suspect. N'étant pas précisément en quête de conversion au tout et au n'importe quoi, je m' éloigne de ces monstruosités avec prudence.
D'ailleurs est-ce seulement dans les livres, dans les enseignements qu'ils contiennent que nous apprendrons, tiens, vlan, par exemple, dans ce bouquin-là, dès la dixième page, après la préface et le prologue, qu'il est réellement une vie aprés la mort? Nous avons été tellement enfumés jusqu'ici par ces soutrates de mystères et de paraboles, lesquelles ne firent que renforcer l'incompréhension, l'angoisse et le doute, que nous réclamons désormais du concret: une évangile qui tienne enfin ses promesses, ici et maintenant, sonnante et trébuchante, exacte et ponctuelle comme une colonne de comptes, enfin, de la véritable rédemption en barre, quoi! A quoi bon alors les millions d'autres ouvrages me direz-vous? A quoi bon en effet se cogner Platon et Aristote, Saint Thomas d'Aquin et Spinoza, Schelling et Kierkegard, Hegel et Schopenhauer, tous les bavards hallucinés ou renfrognés de la terre, avec leurs crécelles et leurs lanternes, s'il suffisait de trouver dans ce livre-là la seule vérité qui vaille, la démonstration irréfutable de la vie éternelle? Face à une telle garantie, nombreux pourraient illico et sans aucune crainte se faire passer de vie à trépas, en cas qu'ils souhaiteraient vérifier les délices de "l'après" sans attendre.
Au reste, eût-elle épargné à l'humanité bien des souffrances et du malheur, cette folle certitude de la vie éternelle pour tous l'eût peu à peu jetée, qui sait, dans une telle frénésie d'insouciance, de désordres et de licences, qu'elle pourrait, le cours de l'existence rendu impossible, lui faire regretter l'ancienne certitude de la mort.
Alors quoi, puisqu'il s'agit de revenir au prosaïsme de notre condition commune, je m'avise que ce n'est pas la vérité, la grossière vérité dévoilée de notre vie et notre mort, qu'il s'agit de déceler dans le monceau des livres, comme on trouve, c'est selon, une pépite dans un tamis ou un caillou dans une chaussure, mais bien plutôt l'invitation à imaginer avec infiniment de calme et de patience et un grand désir de sagesse, la voie de notre propre accomplissement. Ce n'est ni Hegel ni Schopenhauer ni tous les fatigués de la bande, qui ne connurent du monde rien de mieux ni de plus que les autres, tout au plus ce qu'ils en rapportèrent du bout de leur lorgnette de myope ou d'astigmate, qui m'instruiront particulièrement sur le devenir de la conscience après la mort. Pour cela, je devrai plutôt compter, si j'en ai seulement le pouvoir, le talent et la force, sur le regard que je plongerai au fond de moi-même. Car c'est dans l'être poétique et la poésie de l'être que roucoule, comme la Colombe du Cantique, la fontaine d'éternité..

Au commencement était Zani qui créa les cieux et la terre...

Honorius/Les Portes de Janus/le 13 février 2024


"Le ciel est pur toutefois, tendre et bleu comme un vitrail de Vence, et n'est-ce-pas un sujet suffisant pour s'éjouir d'être en vie"! (Claude Drapier alias M. de Saint Amant. Correspondance 25.02.1990)


Hilarion Lefuneste
                                                                                                   
                                                                                                    


Zanini



                             

dimanche 4 février 2024

La befana

Mater matuta

Je t'ai accompagnée dans les rues inondées de soleil, jusque dans les jardins d'été qui tressent des coulées bleues sur la colline vermeille. C'étaient, vois-tu, des clartés de Toscane et de Campanie, telles que tu les aimes, de celles qui ornèrent les douceurs de ton enfance. Je t'ai accompagnée dans le tumulte joyeux du monde, au fil de cette après-midi radieuse qui effleurait si doucement tes habits de lin. Et ton sourire donnait comme des frissons de violence aux couleurs. Mais j'avais déjà au fond du coeur le chagrin des bonheurs qui fuient. Oh vivre pleinement, près de toi, ces derniers instants de chaleur, vivre avec toi ce dernier été, le plus longtemps possible, Oh rêver avec toi et puis lentement fermer les yeux.

Tu m'as laissé de toi cette grande maison vide dont je ressens si tristement la désolation. Alors je rêve, je rêve que cette solitude s'emplit d'un jour éclatant qui ne s'éteint pas, d'un rivage sans fin que berce le murmure familier du vent et des flots, les flots tout frémissants d'écume. Des souvenirs intimes de toi me reviennent, de ton pays de labours et de fleurs d'orangers, de ton enfance trempée de soleil. Et puis, cette femme sacrée qui, dit-on, s'est penchée sur ton berceau posé comme une acanthe sur les lisières de l'azur. Je crois que ta nature secrète en a toujours conservé le signe.  En avais-tu reçu ces pouvoirs de l'être ingénieux qui sait des sortilèges et des présages, "des paroles magiques que les voix mortelles ne doivent pas répéter"? En avais-tu seulement reçu ces dons bienfaisants de la fée que l'on te prête? Oh oui certainement la bonté foncière, un peu fantasque de la Befana, la sorcière sabellienne, et puis la volonté et l'endurance des filles de bergers et de rois aux pieds nus, ceux que l'on nommait dans ta patrie, les enfants de Cérès, avec des voiles blanches au fond des yeux. Ces voiles, ce sont les rêves venus de l'aube à travers l'immensité salée, ce sont les rêves venus du septentrion, un jour de printemps sacré, dans une convergence prodigieuse de désir et de volonté. Ils se posèrent là où les augures les portèrent, jusqu'à ces promontoires inconnus, d'où les ruisseaux s'écoulent dans la "corne féconde". L'esprit est une force promise à un long voyage, une lueur grandie de flambeau en flambeau, de cycle en cycle, de vie en vie. Vois-tu, ton histoire est comme un fruit mûr, lourd de souvenir et d'espérance, dont se nourrit le destin des individus et des peuples. 
Mais tu es avant tout de la race des humbles, de ceux qui "trouvent leur récompense sur la terre cultivée", des héritiers du royaume d'éternité, qui n'ont rien à perdre car ils ne possèdent rien de la fausse richesse des hommes, et qui s'endorment chaque soir sous les ciels du Paradis.

Chaque fois que je ferme les yeux, tu m'apparais toujours dans le souvenir de ces jardins lumineux et je ressens à quel point la vie n'est plus qu'une illusion mélancolique. Pourtant, devrais-je encore longtemps me languir alors que, dans cette réalité de finitude, chaque jour qui se lève devrait m'apparaître d'une valeur inestimable, un jour de victoire et de fête?

Ovide chante dans ses Fastes les fresques de la vie et de la mort, le cycle des âges et des saisons, à travers la longue pratique des croyances et les rites. Ces chants, malgré la fatalité de la mort, n'ont rien qui désespère. Au contraire, Ils semblent comme une exultation de l'être, un hymne à la vie éternelle. Ovide nous propose de porter en nous-mêmes une vision d'infini.

J'ai vu plusieurs fois ce qu'est pour un être vivant, humain ou animal, le moment du "sombre passage". Je l'ai vu dans son regard perdu, jusqu'à l'instant où se mêlent, dans un frisson tragique, les implorations de la confiance et de la peur. Oh mourir, rendre l'âme, ce n'est l'affaire que d'une minute tout au plus. Enfin, les yeux se ferment, la tête s'affaisse et le corps s'abandonne dans nos bras, et c'est tout. Qui peut savoir, s'il s'agit d'un sommeil, d'une plongée dans un nouveau rêve, d'un réveil inversé? Qu'éprouve-t-on à cet instant précis? Un vertige, un haut-le-cœur, une sorte d'illumination intérieure? À force de m'épuiser à toutes ces dramaturgies mélancoliques, à toutes ces angoisses crépusculaires, je finirai comme le "curé de campagne" de Bernanos, à "n'avoir en tête que des images d'enfance et à penser à moi comme à un mort."

Alors, j'invoque l'intercession de ma grand-mère latine, la Befana, la vieille femme sombre aux cheveux de neige et aux yeux de braise, qui choie les enfants et commande aux loups. Elle me montrera les arbres aux fruits de miel, l'eau fraîche des fontaines... Et sa voix de sage paysanne me dira: chaque jour qui se lève est un jour de victoire et de fête...

Honorius/ Les Portes de Janus/Le 3 février 2024





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