samedi 25 janvier 2025

La langue française, par l'effet d'un malheureux oubli de soi, est devenue aujourd'hui une sorte de handicap lorsqu'il s'agit de s'exprimer de manière honnête et intelligible. Hélas, il ne faut guère compter sur ceux qui portent la voix publique pour valoriser ce patrimoine vivant de nos humanités dont, après en avoir piteusement résigné le génie, ils ne reconnaissent même plus la saveur.

A titre de consolation, on lira avec profit le "Discours sur l'universalité de la langue française" prononcé en 1784 par Antoine de Rivarol devant l'Académie de Berlin. Une grande leçon de pensée et de style.


Voir aussi Joachim du Bellay: Défense et illustration de la langue française.(Edition de 1905 comprenant une notice biographique et un commentaire historique et critique de Léon Séché)


Nota:
Léon Séché, né le 3 avril 1848 à Ancenis et mort le 5 mai 1914 à Nice, est un homme de lettres français, spécialiste de la Pléiade et du romantisme, à l'origine de la Revue illustrée de Bretagne et d'Anjou.

dimanche 19 janvier 2025

Chasse dans le brouillard



Ce matin, les bruits de chasse sont venus troubler la quiétude givrée et embrumée du Mont Popey. Pourtant, le Mont Popey, comme la campagne si malmenée qui l'environne, n'abrite presque plus de biodiversité animale et je suis toujours étonné de voir autant d'obstination et de rage à traquer la moindre manifestation de vie timidement sauvage dans cette espèce de désert.
J'entends les cris furieux des veneurs, crachés comme des imprécations. J'entends les hurlements des chiens qui ressemblent à ceux des bêtes qu'on égorge et cela me rend triste. Et puis je m'interroge: comment prétendre chasser au milieu d'une telle purée de poix, épaisse comme le fog sur la Tamise. Si ce n'est pas une question pertinente, il faudra alors m' expliquer pourquoi. Déjà que par temps clair l'être pacifique que je suis nourrit de fortes raisons de s'inquiéter au bruit des défouraillements tous azimuts mais en plein brouillard mes craintes redoublent. Je m'interroge légitimement sur le risque d'un tir au jugé dans de telles conditions. A cette idée je sens une certaine crispation me saisir. Albert as-tu bien planqué les chevaux, qu'on ne les confonde pas avec des berniques ou des libellules?
Bon, les rumeurs s'atténuent et s'espacent. On dirait que les défouirailleurs, dépités et penauds, rentreront bredouilles avec leurs chiens dévotement excités à mordre et à tuer. La haine de la vie n'aura pas eu le dernier mot aujourd'hui sur le Mont Popey. Et rien que cette idée, oui rien que cette belle idée m'emplit d'une immense allégresse!


Le 19 janvier 2025

mercredi 1 janvier 2025

Est-il possible?


Je suis parvenu au dernier tiers de mon existence... 

Est-il possible d'avoir connu le grand amour sans l'avoir vécu, c'est-à-dire sans l'avoir trahi? Telle est ici la question. Ce grand amour, comme le sentiment glorieux et le sublime de la vie, ce qui est tout un, sans doute les a-t-on saisis, presque effleurés, bien plus souvent que l'on ne croit, sans l'un et l'autre les avoir pourtant possédés, ce qui, d'un point de vue métaphysique, est peut-être mieux ainsi. Vivre, voyez-vous, c'est chaque jour tuer un peu plus la vie.
Il suffirait de fouiller sa mémoire, d'en remonter le réseau enchevêtré jusqu'à retrouver, de la figure incertaine de ce grand amour, ces menues fibres précieuses, ces paillettes de poussière, qui rejaillissent peu à peu dans toute leur lumière. Oh, ce fut juste un regard échangé, un chemin croisé, une seconde en suspens, un geste inachevé, un hasard inexploité, une lueur vacillante ou fulgurante, que sais-je? On ignore souvent à quel point l'essentiel de la poésie, comme l'essentiel de la vie, est dans le non dit, le sentiment et l'intuition de l'être, plutôt que dans l'imperfection de l'acte ou du verbe accomplis. "Les vrais poèmes fuient" disait Emily Dikinson, de même, la vraie vie ne serait-elle pas celle que l'on rêve et qui sans cesse nous échappe? A moins que tout cela, comme beaucoup d'autres âneries, ne repose que sur un ridicule malentendu récusant l'audace même de toute espérance. Cependant je respecte les poètes car ils sauvent notre honneur par leur sincérité et finalement par le sens de l'absolu qu'ils emportent dans la mort.

Je me demande en disant cela si je n'ai pas résigné malgré moi le goût passionné de la vie, celui qui vous porte sans crainte comme maître du temps, de votre temps gonflé d'avenir, sans doute par l'effet naturel de quelque essoufflement d'enthousiasme ou d'énergie, enfin, quelque chose de ce genre. C'est comme si, par un effet résigné de capilarité, une humeur crépusculaire prenait peu à peu possession de mon corps et de mon àme, dans une sorte de processus d'hibernation, telle la branche que transit l'haleine cuisante de l'hiver. D'ailleurs, cela ne trompe pas, je suis parvenu au dernier tiers de mon existence presque sans m'en apercevoir, ce dernier tiers qui ne sera pas nécessairement le plus florissant mais plutôt le plus pitoyable et le plus chargé de disgrâces, c'est à craindre. Car je sens déjà en moi poindre, plus qu'une prétendue vieillesse heureuse, le remugle de la remise, du rebut, du détrancané et du vétuste.

On dit que la vie est belle. Elle l'est assurément, mais elle le serait davantage sans cette espèce d'indignité humaine qui déshonore continuellement le monde. Si j'eus jadis assez d'imagination pour rendre la vie désirable, je veux dire la vie parmi les hommes, je n'en ai plus guère aujourd'hui pour en supporter les malfaisances et les lourdeurs. Un sentiment de déjà vu, de déjà dit, de déjà rabâché, de déjà mille fois subi et souffert, me pèse affreusement chaque jour comme un étau entre les tempes. Hélas, comment invoquer sans s'y méprendre le pouvoir de la rédemption?

Je confesse m'être piqué d'une espèce de gribouillage, que, chez d'autres auteurs mieux assurés que je ne le suis, l'on nomme écriture et dans le meilleur des cas, littérature. Je n'ai d'ailleurs jamais prétendu m'y ménager ne serait ce qu'un début de romance, car ce que j'ai écrit depuis que je barbouille le papier, comme pour témoigner timidement de ma présence au monde (le sel aprés le passage de la marée, comme je me plaisais à dire) se réduit à une médiocre mélopée nombrilisante, que je n'aurai bientôt plus, si le coeur m'en dit, que la force de relire avec beaucoup de mauvaise humeur et d'insatisfaction. Cela est bien dommage, car j'aurais préféré laisser de moi, en fait d'écriture, le souvenir d'un conteur d'histoires drôles, c'est là un genre oû j'aurais pu me sentir le plus à mon aise. Que retirerai-je de l'expérience de la vie, cette lueur qui brille entre deux néants, comme disait Jean d'Ormesson? (Encore un, du reste, qui n'avait guère mieux à en dire bien qu'il y employàt beaucoup d'élégance). Voilà bien réuni dans cette babiole dialectique, (cette "kleinigkeit", comme disent les Allemands), tout le sujet de la philosophie! Je me dirai que je n'ai eu ni l'audace ni la bravoure d'exister, ce qui est bien regrettable lorsqu'on dispose de si peu de temps pour être et agir, ce qui est tout un. La question du temps perdu, de l'occasion manquée, est une constante dans la réflexion existentielle, qui, passé 50 ans, ne nous lâche plus. Non, on ne se lasse pas de la beauté du monde, comment le pourrait-on? c'est ce que cette humanité indigente en fait, jour aprés jour, qui répand dans nos coeurs la tristesse et le désespoir. On désespère toujours de trouver aucun sens à la vie, à part celui des gaîtés et des plaisirs que nous pouvons en recevoir,  mais cela n'est après tout que vaine coquetterie. La vie n'a pas de sens en soi puisque l'on en meurt. Je préfère savoir qu'elle n'a de sens que celui qu'on lui donne, par son engagement, par son amour du juste et du beau, par son empathie, enfin, par la nature et l'inspiration bénéfiques de ses actions. Ainsi, aura donné un vrai sens à sa vie celui qui aura conçu et répandu le bien, car le bien porte en lui les plus belles promesses de félicité.

J'ai appris tout au long de mon existence très ordinaire (je n'en réclame d'ailleurs pas d'autre!) que l'être humain est décidément une chose intraitable car il retient fort peu les leçons de la natute et de l'histoire. L'imperium de l'intelligence dont il se prévaut sans cesse, en animal suffisant et orgueilleux, ne jette finalement que peu de lumière sur l'accomplissement de sa destinée. Au point qu'il est apparu la chose la plus nuisible non seulement à lui-même mais à toutes les oeuvres de la Création.

La scène humaine est devenue un drame affligeant. Contrairement aux temps qui nous ont précédés, souvent durs et cruels, nous n'entrevoyons plus, même chimériquement, les horizons du bonheur et de l'espérance, qui donnaient miraculeusement la force d'exister. Pourtant, me direz-vous d'innombrables consciences s'éveillent partout dans le monde pour l'amour, la paix, la solidarité, le respect de la nature et du vivant, pour tout ce qu'il y a de meilleur en notre humanité et dans notre rapport au monde. Las, cela semble encore bien dérisoire pour contrer l'immense lame de fond qui nous pousse collectivement vers le pire car la brute stupide qui veille au coeur de notre espèce, y étouffe les lumières héroïquement acquises de l'intelligence. L'homme est sa propre aberration et surtout sa propre fatalité.

Las, j'ai beau marcher prestement vers mon occident et voir s'approcher le terme de toutes choses, je ne décolère pas contre l'absurdité du monde des humains, sans foi ni miséricorde, contre l'aveuglement, l'orgueil présomptueux, l'hypocrisie et les passions suicidaires. Je pourrais reprendre le calamus dans l'état où Horace en usa dans ses satires pour dépeindre une mentalité humaine qui n'a guère changé depuis Augustus.* Je n'ai peut-être pas été assez heureux ni assez enjoué pour pouvoir rire tout mon saoûl de toutes ces fadaises qui m'horripilent tout autant qu'elles me lassent. Malgré la bile qui me chauffe le tempérament je finirai moi aussi par lâcher prise, par glisser dans l'indolore apesanteur, pour rejoindre cette autre "cabane au Canada", bien différente de celle que je me rêvais naguère, lors que la vie s'offrait encore vaste devant moi. Je ne peux feindre d'ignorer la stricte évidence. Elle se dessine sous mes yeux, dans l'effroi d'une violente stupeur; je la vois qui s'approche, comme la vieille sorcière chaperonnée des terreurs de mon enfance, sombre et sournoise, trottant à pas menus.

Oh demain, à l'aube, le dernier verre du condamné...Dis-moi, cher Ange, comment cela fait quand on meurt? Est-ce rapide, instantané comme un couperet qui tombe, un clignement de paupière qui vous fait passer du blanc au noir, sans bavure, à travers une trape? Est-ce une sorte de songe où l'on embarque avec insouciance pour un voyage d'agrément, vers les doux rivages de Cythère ou d'autres encore bien plus lointains que nul escafignon jamais ne foula? Est-ce un de ces engourdissements qui vous entraîne dans le cours languissant d'un rêve où tout ce que vous fûtes se dérobe à votre souvenir? Est ce le long naufrage infligé à notre patience d'une chanson de Guy Béart, Dieu ait pitié de son àme?

Celui qui estime avoir accompli son oeuvre pour avoir tout extrait de soi, peut paisiblement finir ses jours, sans désir et sans tourment. C'est cela être sage, à en croire l'école des anciens maîtres.

Ah, bordel de Dieu! Mourir dans la sérénité c'est encore le meilleur destin de l'homme. Se souvenir que la vision poétique du monde nous conduit avec amour dans le mystère de la vie et de la mort. La mort, cette pensée qui se fond dans la pensée...

Honorius le 19 janvier 2025

* Je retrouve dans mes notes sur Horace la double épigramme suivante, qui sonne d'un écho étonnant d'actualité. Je ne retrouve plus aujourd'hui si on en doit la paternité à Horace lui-même ou à un autre moraliste latin, mais elle me convient ainsi parfaitement dans sa pertinence.

"Je vois partout de ces présomptueux édiles, pas plus malins que le populaire dont ils briguent les suffrages, qui, ayant pris tel goût véhément pour les délices des affaires, et de peur d'en perdre, s'indignent et vitupèrent qu'en dehors de leur prétendue précellence, tout n'est que graine de chaos, de ténèbres et de ruine.

Et que dire encore de ceux-là, toujours plus nombreux de par ce pauvre monde, ces tyrans orgueilleux qui répriment, d'une poigne féroce, la liberté de déjouer leur fausseté et leurs mensonges."



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