dimanche 25 octobre 2020

La vie des bêtes


Ce qui différencie, semble-t-il, l'homme des autres animaux c'est la conscience qu'il a de soi-même en tant qu'individu se pensant lui-même dans son environnement, la conscience du passé et de l'avenir et surtout de sa propre fin. L'homme pose le problème de sa présence au monde mais ne saurait en concevoir la finalité; au mieux il s'en console, par les espérances de la religion, les fumées de l'ivresse ou les artifices de la philosophie. Le plus souvent, il s'en détourne dans les vaines agitations du monde, le travail besogneux, les inepties, le divertissement, les espoirs du lendemain et toute la oiseuse politique. Dans ses quelques moments de lucidité, il en conclut au bout du compte que la seule réalité concevable est la richesse du jour présent. De ce point de vue, il en est rendu au même point que les animaux qui, eux, vivent d'instinct le temps présent sans qu'un maître en métaphysique vienne leur enseigner la voie et leur fasse perdre le précieux cours de leur vie en élucubrations. Le temps présent! l'homme en profite-t-il seulement dans la plénitude qui devrait être la sienne? Chaque être vivant accomplit sur cette terre un cycle inéluctable, toute son énergie, toute sa conscience est investie pour sa survie dans l'instant. Est-ce là le destin de la brute? Celui de l'homme est-il plus enviable à aliéner ses journées à d'ennuyeuses affaires pour assurer chichement, souvent misérablement ses fins de mois? Qu'il se regarde: la routine des jours s'empare de son corps et de son esprit, le soleil brille dans l'infini du firmament sans qu'il s'aperçoive de ce prodige et tout le conduit aveuglément au terme du chemin car tout finit par échoir. Et le voilà qu'il pousse des cris, qu'il s'agite piteusement devant le spectre de la mort qui s'approche. Le voilà qu'il conçoit des repentances et des regrets de n'avoir pas vécu comme il faudrait, qu'il implore une rallonge, mais il est déjà trop tard. Rien ne sert de pleurnicher. Vingt ans, soixante ans ou cent ans de vie, cela ne fait aucune différence pour celui qui n'a empli son existence que de torpeur, de présomption et de vent.
Car celui qui l'a consacré à l'émerveillement de chaque journée, qui a remercié la Providence de lui accorder ce temps de grâce inestimable qu'est la vie, alors il pourra quitter ce monde avec reconnaissance. Cultiver un jardin, respecter et aimer les "bêtes", enrichir la connaissance de soi-même et de nos rapports avec la nature, ne pas nuire à son prochain et à la beauté de la Création, c'est déjà marcher sur la voie de la rédemption, c'est déjà un peu "sauver les moments du temps".
Alors, faisons-nous poètes, pélerins et jardiniers et vivons pleinement chaque jour la félicité du temps présent, car nous partirons demain, dans la dernière douceur de l'automne.

Honorius/ Les Portes de Janus/ Dimanche 25 octobre 2020



mardi 20 octobre 2020

Qu'est-ce-qu'on attend?




"Le réchauffement climatique entraîne le dérèglement climatique. Le dérèglement climatique entraîne une amplification des phénomènes météorologiques.
Il est plus que temps de changer de modèle économique." (Le Klan du Loup)





samedi 3 octobre 2020

Je reviens te chercher

Les nuées d'automne sont une nouvelle fois accourues dans la vaste plaine asséchée du ciel. On les voit rouler leur tumulte d'ombres livides, se dresser comme des falaises de brumes, puis s'effondrer et se redresser encore en houles moutonnantes. Un voile terne et froid, recouvre maintenant la terre ruisselante qui était près de mourir de soif. C'est le deuxième automne, qui vient semer sur ta sépulture les frissons du souvenir. La nature, comme à l'accoutumée, s'était auparavant enivrée de la symphonie pastorale. La terre meuble avait gonflé toutes ses espérances d'avril d'irrépressibles renaissances, de foisonnement de perles et de trilles jaillissantes qui éclaboussèrent l'été jusqu'au zénith insouciant. Tout ce qui n'aspirait qu'à frémir, désirer, s'exalter, comme prévu, s'était confié aux sources riantes de l'avenir et du renouvellement, s'était gorgé du miel de jouvence, vivifiant l'âme du monde dans l'élan de la jubilation. Cette course effrénée vers la lumière insensiblement dut se ralentir sous les torpeurs de l'assouvissement, lassée des ardeurs et du bonheur d'enfanter. Depuis, les vents humides reviennent peu à peu de l'ouest et du nord, susurrer leur mélopée d'équinoxe, récolter les plénitudes et les fragrances, dans un dernier consentement de la terre. Le temps approche où ses oeuvres repues iriseront en reflets d'ambre et de bel or bruni sa révérence du soir. 
Au moment où tout me rappelle le sentiment de notre existence périssable, je ne peux oublier ton regard qui buvait en moi, presque incrédule, les derniers instants de ta présence terrestre, ta frêle vie frissonnante qui s'imprégnait de ma chaleur comme un dernier viatique, dans l'inquiétude grondante de cette fin d'été. 
Nous sommes tous ce voyageur qui, parvenu au sommet de la montagne, contemple une dernière fois les lueurs lointaines de la vallée avant de disparaître dans les ténèbres. Oui, mourir est comme un voyage, il faut se préparer au départ, prendre garde de n'avoir rien oublié, se résigner à franchir le dernier pas.
Oui, je connais ta peur et l'émotion de ton silence, ils habitent et interrogent chacun de mes jours, inspirent et enrichissent comme un don de vérité et de grave résonance le cours inquiet de ma vie intérieure. Tu m'a confié ton âme avant de disparaître à ton tour. Je l'ai recueillie comme un bien précieux, je vis son amour et sa souffrance, comme on vit l'empathie, la solitude et l'espérance, avec humilité et ferveur. Tout coule sur ma vie et le temps ruisselle sur les saisons. Victor Hugo nous invite à voir dans le spectacle de la Nature "un éblouissement de Dieu". Oui, chaque brin d'herbe est habité de Dieu, du sentiment de la Grâce, de cette volonté sublime qui féconde toutes les intuitions. Que te dire de ce qui reste ici-bas? Le monde des hommes est toujours plus absurde et frappé de stupeur. L'homme est décidément l'animal le plus insensé de la Création, qui s'aveugle lui-même, qui se condamne avec allégresse à l'enfer qu'il se donne.
Attendre encore, cheminer, oublier, traîner l'ennui, je ne le puis guère encore longtemps. Je sais ton paradis au-delà de cette antique porte, ce seuil du mystère où il fallut nous séparer, juste avant les premières pluies d'automne. Le lierre et le pampre sauvage en festonnent l'entrée, entre les cyprès immobiles, comme un lourd treillis d'arabesques qui frémit dans l'air paisible. Ressens-tu ma présence, la douce tendresse qu'elle te voue depuis toujours, toi l'être profond de vie et de fidélité, toi l'Amour et l'Esprit! Oh, il me tarde tant de m'éveiller à ta lumière, il me tarde tant d'embrasser la pureté de ta gloire et de ton innocence.
Un jour, pas encore, lorsque tout se sera accompli en moi, je reviendrai à l'orée de cet univers où le songe est la vie, où la mort est le songe, où rien n'a plus aucune importance, là où je t'ai laissée partir, pour enfin clamer la bonne nouvelle: "Je reviens te chercher!"
Ici, ailleurs, à des milliards d'années-lumière, qu'importe, le seul paradis qui vaille est encore celui où, parmi toutes les âmes chères, nous serons pour toujours ensemble.

Honorius/ Les Portes de Janus/ 28 septembre 2020





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