Ce qui différencie, semble-t-il, l'homme des autres animaux c'est la conscience qu'il a de soi-même en tant qu'individu se pensant lui-même dans son environnement, la conscience du passé et de l'avenir et surtout de sa propre fin. L'homme pose le problème de sa présence au monde mais ne saurait en concevoir la finalité; au mieux il s'en console, par les espérances de la religion, les fumées de l'ivresse ou les artifices de la philosophie. Le plus souvent, il s'en détourne dans les vaines agitations du monde, le travail besogneux, les inepties, le divertissement, les espoirs du lendemain et toute la oiseuse politique. Dans ses quelques moments de lucidité, il en conclut au bout du compte que la seule réalité concevable est la richesse du jour présent. De ce point de vue, il en est rendu au même point que les animaux qui, eux, vivent d'instinct le temps présent sans qu'un maître en métaphysique vienne leur enseigner la voie et leur fasse perdre le précieux cours de leur vie en élucubrations. Le temps présent! l'homme en profite-t-il seulement dans la plénitude qui devrait être la sienne? Chaque être vivant accomplit sur cette terre un cycle inéluctable, toute son énergie, toute sa conscience est investie pour sa survie dans l'instant. Est-ce là le destin de la brute? Celui de l'homme est-il plus enviable à aliéner ses journées à d'ennuyeuses affaires pour assurer chichement, souvent misérablement ses fins de mois? Qu'il se regarde: la routine des jours s'empare de son corps et de son esprit, le soleil brille dans l'infini du firmament sans qu'il s'aperçoive de ce prodige et tout le conduit aveuglément au terme du chemin car tout finit par échoir. Et le voilà qu'il pousse des cris, qu'il s'agite piteusement devant le spectre de la mort qui s'approche. Le voilà qu'il conçoit des repentances et des regrets de n'avoir pas vécu comme il faudrait, qu'il implore une rallonge, mais il est déjà trop tard. Rien ne sert de pleurnicher. Vingt ans, soixante ans ou cent ans de vie, cela ne fait aucune différence pour celui qui n'a empli son existence que de torpeur, de présomption et de vent.
Car celui qui l'a consacré à l'émerveillement de chaque journée, qui a remercié la Providence de lui accorder ce temps de grâce inestimable qu'est la vie, alors il pourra quitter ce monde avec reconnaissance. Cultiver un jardin, respecter et aimer les "bêtes", enrichir la connaissance de soi-même et de nos rapports avec la nature, ne pas nuire à son prochain et à la beauté de la Création, c'est déjà marcher sur la voie de la rédemption, c'est déjà un peu "sauver les moments du temps".
Alors, faisons-nous poètes, pélerins et jardiniers et vivons pleinement chaque jour la félicité du temps présent, car nous partirons demain, dans la dernière douceur de l'automne.
Honorius/ Les Portes de Janus/ Dimanche 25 octobre 2020
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