dimanche 28 mars 2021

Métaphilosophie

Maintenant que j'en suis rendu à l'évidence ressassée de l'inanité de toute philosophie, de toute religion, de toute croyance en la Raison comme compromis improbable au problème ontologique, je me demande quelle énergie peut encore soutenir et justifier la nécessité de cette vie. Il peut encore y avoir quelque raison qui tienne à nos relations d'affection avec les quelques êtres, les quelques paysages aimés qui nous entourent, les souvenirs dont nous voudrions nous bercer jusqu'à notre dernier souffle. Il peut y avoir le choix de s'oublier soi-même dans l'élan de l'altruisme, l'amour de son prochain, l'envie, la passion de faire le bien autour de soi, et y trouver le vrai trésor d'humanité.  Mais où aller quêter désormais, dans l'expérience hébétée de l'être, cette foi, cette ferveur, pour ce que nous appelions jadis le Salut de notre âme, la victoire contre la mort, notre rêve d'éternité? 
Rien n'a décidément le moindre sens dans cette absurdité universelle, nous le savons au fond de nous-mêmes. La Providence, l'Idéal, la Destinée, la Rédemption, le Royaume des Cieux, la Vie Eternelle, et Dieu lui-même, ne sont que des mots et du vent, des fabulations invoquées dans la vanité de leurs majuscules. Alors, quel prodige d'innovation, surgi miraculeusement de cette ruine et de ce néant, pourrait encore nous conduire jusqu'aux portes du Grand Mystère, nous tendre la clef de l'Illumination? Quelle force surhumaine pourrait nous détourner de ce chemin crépusculaire où les dernières ombres du jour s'étirent? Oh je sais et je ressens intensément qu'il n'y a que la solitude du présent, l'inertie et le flux obstinés des choses, les pulsations hallucinées du silence. Je ne voudrais prétendre à aucune autre métaphysique, aucun autre idéal que celui d'un monde purifié des forfaitures: l'eau, la pierre, les feuillages, le vent, les sommets, la brume dans les vallées, la fraternité avec tout ce qui vit en paix.
Ah pouvoir se résigner au cours tragique du renoncement, s'abandonner à la langueur de toutes les abdications mystiques! Et puis, avancer sur ce qu'il reste à consumer de sommeil dans cette permanence sublime d'indifférence, la bure de l'humilité, la cendre de la déchéance sur les mains et sur le front pour ultime dignité. Rentrer définitivement en soi, méditer le hasard de la vie et le sursis dérisoire qui nous sépare si près de la mort, se sentir enfin dépouillé des superstitions de l'attente et des piétés prophétiques de l'Espérance!
L'intellect asséché de sophismes et de l'artifice désabusé des mots, l'âme épuisée des dernières indécences de la sanctification, il est temps de revenir à l'amertume radicale, à la soif grossière et organique, de se pénétrer du sens âpre et rêche des effusions sourdes de la terre, de la mélancolie taciturne de la brute. Et, paraphrasant l'Oberman de Senancour, il est doux de pouvoir enfin se dire: "Je ne suis propre qu'à finir en paix, à rentrer dans ma chartreuse avec la certitude de n'en jamais sortir. Car, je n'ai plus la volonté de rien faire pour moi. De quelle autre chose irais-je m'inquiéter? Encore quelques étés et quelques hivers, et il ne restera plus rien de cette exception hasardeuse qui fut la vie".

"Et la vie a passé le temps d'un éclair au ciel sillonné
J'écoute au fin fond de moi le bruit de mes propres pas s'éteindre..." (Louis Aragon)

Honorius/Les Portes de Janus/ le 21 mars 2021




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