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Il y avait un sinistre Goebbels qui prétendait dégainer son révolver quand il entendait le mot culture.
Quant à moi, qui suis pourtant d'une humeur des plus pacifiques, dès que j'entends cette atrocité syntaxique: " sur comment", une envie de meurtre me submerge, oui, une pulsion de massacre et de défouraillement, qui me ferait moi aussi dégainer dans un accès de rage mon révolver, ma mitrailleuse, la grosse Bertha de ma fureur. L'emploi d'une préposition avec un adverbe, voilà bien le mimétisme morbide de la syntaxe anglo-saxonne, une infection virale introduite par les réseaux de la pub et des médias, et qui condamne une langue aussi limpide que le français au sort d'une ankylose psychosomatique. Tout le monde s'y met: les journalistes, les politiques, les fonctionnaires, les enseignants, les artistes et les intellectuels, tous dans le même moule, comme s'ils étaient devenus incapables de concevoir le sens de leur propre élocution. Cette inconséquence langagière parviendrait à me faire déconsidérer les personnes les plus recommandables qui viendraient à se rendre aussi complices d'une telle ignominie. Le français est à bien des égards une langue analytique quand l'anglo-saxon est un idiome synthétique, qui, en deux mots, exprime mécaniquement ce que nous exprimons dans un enchaînement de trois ou quatre termes, par souci de finesse, de logique et de précision.
Vraiment, comment ne pas tomber à terre, frappé d'apoplexie, en écoutant ou lisant chaque jour de telles monstruosités, qui sonnent à l'oreille tout autant qu'à la raison comme une embolie du système cognitif, un symptôme de calcification mentale.
"Il faut réfléchir sur comment sortir de la crise, penser à comment booster (sic) nos entreprises", nous répètent les économistes.
Et surtout, "Il faut réfléchir à pourquoi on en est arrivé là", se désole le commentateur avisé. Oui, c'est le cas de le dire, pourquoi et comment en est-on est arrivé là? Comment de telles fistules sémantiques ont pu venir meurtrir et dévier à ce point le cours naturel de la langue?
Et ce n'est pas tout, nous trouvons avec effarement d'autres formes d'intoxications syntaxiques, effrontément injurieuses au principe de clarté et de simplicité: "En termes de goût, cette tarte aux pommes est excellente" s'extasie le gourmet, "En termes d'intensité, cet athlète a tout donné", nous apprend le journaliste sportif. Et encore mieux: "En termes de hauteur, cet immeuble est très élevé", nous révèle cet architecte inspiré. Et les incontournables barbarismes à consonnance d'Outre-Atlantique: "C'est juste incroyable". "C'est juste pas possible!" dont s'exclament tous les spécimens d'ahuris. Devrais-je passer sous silence le jovial: "A très vite sur notre antenne" dégoisé par le présentateur enthousiaste? Et l'immanquable "Profite!" de cet ami qui nous veut du bien? Autant de cadeaux des plateaux américains.
On pourrait se dire que le bon usage du français sait reconnaître les siens, que mon indignation se porte sur une défaillance somme toute anecdotique et ne mérite pas un tel coup de sang. Ce serait hélas éluder le constat stupéfiant que ces déviances structurelles affectent aujourd'hui plus des deux tiers des locuteurs ordinaires, à l'oral comme à l'écrit, du doctorant à la ménagère. A tel point que nous ne voyons plus guère qu'auprès des étrangers, qui cultivent notre langue avec une sollicitude admirable, cette application sensée de bien concevoir et de bien dire. Grâce leur soit rendue.
La dénaturation du langage, c'est-à-dire le travail de sape continuel de sa logique, de sa constitution et de ses règles propres, en dit certainement long sur l'avachissement moral ou intellectuel d'une société. Une langue que ses locuteurs naturels, surtout ceux qui devraient publiquement montrer l'exemple, par leur incurie et leur inconséquence, entravent et déconstruisent à coups d'illogismes et de charabia importé, s'observe à bien des égards comme on observe un cas de dégénérescence pathologique. C'est, comme disait Montaigne, "une constipation de l'esprit" qui déshonore le caractère et le mérite même de la pensée, une sorte de pandémie neurologique à croissance exponentielle que rien n'est en mesure de prévenir, malgré les missions somptuaires de l'enseignement et de l'éducation.
Je ne parle encore même pas du dénigrement de la grammaire où les conjugaisons et les accords de participes sont livrés à l'infamie. Je ne parle même pas non plus de la stupidité et du foutoir de l'écriture inclusive, cet attentat au génie de la littérature, ce barjaflement qui se déchiffre laborieusement sans même se parler et des servitudes insupportables dont elles encombrent le texte. La langue française, pour être moralement acceptable, doit-elle devenir illisible?
Pour n'oublier personne sous le rapport du genre, nous disions déjà dans le style oral: Les Françaises et les Français, ce qui est souhaitable dans un discours ou un appel au peuple. Mais, pour que l'intention soit strictement équitable, il faudrait désormais s'abstenir d'employer tout générique à désinence masculine, en y substituant un terme qui n'éveille aucune suspicion de genre, un pluriel d'apparence neutre ou unisexe (les gens, les personnes, les individus), un pronom indéfini (on) ou en dédoublant les termes de chaque désinence "Les clients et les clientes de ce magasin", ou en appelant à la rescousse le politiquement correct "celles et ceux" employé à tout bout de propos, et ainsi de suite avec les adjectifs, les participes passés, jusqu'à se perdre dans des circonlocutions aussi creuses qu'interminables. Sera-t-il demain prohibé d'évoquer génériquement les chevaux sans y adjoindre les juments, et les singes sans les guenons, les moutons sans les brebis, les Martiens sans les Martiennes? Faudra-t-il aussi prendre garde, dans l'accord de l'adjectif ou du participe, à ne pas chatouiller la susceptibilité des torchons et des serviettes? Devra-t-on désormais, selon le sexe dont nous a doué ou accablé la nature, être "un" victime ou "une" victime de tant de chaos et de confusion?
Introduire les injonctions de la morale dans l'innocence de la grammaire et de la syntaxe, voilà bien l'innovation idéologique de ce début de siècle, celle qui nous expose à des procès en indignité pour le soin que nous avons de notre héritage.
Il serait tellement plus commode de n'avoir pour idiome unique et universel qu'un fourre-tout véhiculaire, un sabir à la manière anglo-saxonne dont les accords et les désinences sont uniformément neutres, hors d'atteinte de l'instinct de domination du mâle. Apprise au berceau, toute langue n'est-elle pourtant pas de nature et d'incubation maternelles, le principe féminin, la Mère, étant l'origine de toute chose, selon les cosmogonies universelles?
La vindicte des coteries ne saurait, par les décrets de leur censure, dénaturer le caractère d'une langue, inhiber le génie de sa littérature, la grâce, le naturel ou le sublime de sa poésie. C'est encore moins à l'esprit de relâchement et à la veulerie de l'ignorance que devrait être confiée la vertu de notre bien commun. Car une langue a ses racines et son identité organique, un usage assuré. Elle doit certes pouvoir s'adapter avec souplesse mais avec discernement aux sollicitations et aux revendications du temps, en se gardant des appels au sabordage, des faux pas de l'incohérence et du ridicule.
Honorius/Les Portes de Janus/ Le 24 avril 2021
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