En voilà bien assez conté maintenant. Je m'avise à mes dépens que l'esprit de clairvoyance nous enferme insidieusement entre des murs de mélancolie et d'impuissance. On ne peut rien et rien ne change. Alors...
Alors je dirige ma curiosité sur des récits de science naturelle, qui ont au moins ce mérite de distraire des sujets qui m'assombrissent l'esprit. Il y a tant de poésie dans les mystères et les beautés de la nature et tant de découvertes inattendues.
Tenez par exemple, il semble que l'eau que contient la Terre, dans les profondeurs de ses mers et de ses océans, dans ses fleuves et ses rivières, celle dont nous faisons chaque jour nos libations et ablutions, provienne des profondeurs intergalactiques. C'est ainsi que des astéroïdes renfermant quantités de glace, se sont abattus sans interruption, pendant des millions d'années, sur la surface rocheuse de notre planète, alors qu'elle était au temps de l'enfance. Quelle spectacle dantesque cela dut être, un cauchemar géologique où rien ne différencie, dans la monstruosité des phénomènes, la naissance de la destruction d'un monde. Il semble même que les éléments chimiques indispensables à la formation de la vie proviennent eux aussi de l'espace, ce qui ferait de nous les enfants des étoiles. A bien y réfléchir, et à considérer les choses à l'échelle d'une totalité infinie, il semble curieux de penser la notion d'interne et d'externe tant il est reconnu et établi qu'il ne saurait y avoir dans l'espace ni haut ni bas, ni dehors ni dedans et que toute particule de matière est issue, à travers l'éparpillement des nébuleuses, d'une même soupe originelle. Si l'eau et la vie sont d'origine "extraterrestre", la Terre elle-même les a précédées dans cette même origine.
Les prouesses technologiques mises en œuvre au cours des dernières décennies nous dévoilent des réalités qui pourraient nous paraître aussi merveilleuses que terrifiantes. C'est ainsi que nous pouvons déambuler à notre guise sur la planète Mars grâce aux images fournies par deux générations de robots envoyés tout là-haut. Un désert rocailleux rouge, morne et inerte, battus de temps à autre de tempêtes phénoménales. Les scientifiques auraient trouvé les indices de l'ancienne présence de mers, de lacs et de rivières sous un ciel qui eût pu ressembler à celui qui , ici-bas, nous chaperonne tant bien que mal.. et qui fait comme une goutte de saphir dans la nuit cosmique. Mais un beau jour, ces mers, ces lacs et ces rivières se volatilisèrent dans l'espace par suite de la disparition de l'atmosphère martienne, on ne sait encore par quelle cause et quel processus. Rien n'empêche de conjecturer, selon les lois de la probabilité et de la physique, que notre chère planète Terre pût être un jour touchée par la même disgrâce, à moins que la stupidité humaine, avec son arsenal de calamités, ne se charge elle-même de la besogne avant terme.
De même, les télescopes Hubble et James Webb envoyés en éclaireurs aux marges de l'infinité cosmique nous en apprennent de belles jour après jour sur l'état de l'univers. Nous voici à l'avant scène d'un spectacle stupéfiant: des centaines de galaxies illuminant les ténèbres, dans une scénographie vertigineuse de ballets et de tourniquets chatoyants tenant à la fois de l'effet pyrotechnique et de l'hallucination onirique. On croirait admirer une de ces grandes toiles acryliques d'art abstrait où se mêlent de longues traînes vaporeuses et des réseaux de filaments acérés, d'une netteté telle que l'on songerait à l'une de ces imageries électroniques explorant les connexions phosphorescentes d'un virus ou d'un recoin de cerveau. En quoi le trompe l'œil de la technologie, ici un télescope, là un microscope, aux pouvoirs semblablement sophistiqués, sublime dans une même apparence la perception de l'infiniment grand et celle de l'infiniment petit.
Ce qui ajoute encore au prodige de cette observation de l'univers, c'est que la représentation que nous en avons correspond à un l'état différé de plusieurs milliards d'années, le temps que les ondes lumineuses émises par ces poussières d'astres et ces nébuleuses parviennent jusqu'à nous. Autrement dit, nous percevons aujourd'hui les manifestations de phénomènes qui ont pour la plupart cessé d'exister, qui commencèrent dans un temps où notre terre n'était pas encore née de son futur magma. Tant de ces mondes lointains qui éblouissent cette toile ont disparu depuis un temps inconcevable, tant d'autres depuis sont apparus, rendant compte de cette magie que tout a déjà passé avant que de commencer d'être.
Grâce à l'évolution des moyens d'observation et d'exploration, la communauté scientifique à pu compléter ses connaissances d'une multitude d'informations nouvelles sur la composition des corps et la structure des systèmes qui composent l'univers. Il ne se passe pas un jour sans découvrir de nouvelles planètes auxquelles on affuble un numéro de référence , une fiche d'identification technique, avec cet espoir effréné d'y déceler les traces de quelque balbutiement de vie, ne serait-ce qu'à l'état enzymaire ou moléculaire. Un des grands rêves obsessionnels de l'exploration spaciale reste cependant la découverte d'autres formes de vie et d'intelligences technologiquement avancées avec lesquelles entrer un jour en contact. On a même déployé sur nos plus hauts sommets de grandes oreilles pour tenter de capter quelque part, parmi le brouhaha cosmique, des signaux que nous souhaiterions provenir de gens civilisés, quelque borborygme ou quinte de toux extraterrestres, auxquels répondre, lancés dans le vide, par un extrait d'une symphonie de Beethoven ou des images spectrales de l'état enviable de nos sociétés. L'homme post moderne est ainsi fait qu'il se trouve davantage de motivation et d'intérêt à communiquer avec des aliens, des créatures improbables, qu'avec ses semblables.
Certains idéalistes, qui me font froid dans le dos, rêveraient même de découvrir une de ces planètes de même hospitalité que la Terre, de cette hospitalité vierge des origines que nous avons si bien corrompue ici-bas jusqu'à la rendre bientôt invivable, afin d'y transporter et y prolonger l'existence accapareuse de l'humanité. La suffisance de notre espèce n'aura donc jamais de borne à prétendre exporter jusqu'au fond de l'univers son affreux évangélisme matérialiste.
Un des phénomènes les plus extraordinaires qui peuplent les profondeurs de l'univers est sans conteste cette chose épouvantable que l'on nomme un trou noir, sorte d'abysse dans l'abysse, un ténia gigantesque qui aspire toute matière et les atomes de lumière à la dérive, jusqu'à des constellations entières, venant à passer un peu trop près de sa gueule monstrueuse. On ne sait à vrai dire rien de la réalité de cette chose inconcevable. Serait-elle un univers parallèle, auquel on accèderait par un de ces syphons gigantesques, mille fois plus terrifiant que ne le fut pour l'homme ancien l'entrée de l'Erèbe et bien plus effroyable encore que le point ultime du pôle sud dans le cauchemar de Gordon Pym?
Les télescopes ont permis de capter le contour luminescent de la gueule d'un trou noir où l'on voit des amas immenses de matière sur le point d'y être engloutis. On est allé même jusqu'à reconstituer, dans une fréquence audible par l'oreille humaine, le son produit par cette monstruosité innommable, une sorte de souffle lugubre et menaçant comme un râle d'outre-tombe, à faire dresser les cheveux sur la tête.
Les sciences de la paléontologie et plus généralement de la nature et de la Terre ne sont pas en reste dans dans cet appétit d'investigation. En matière d'archéo-anthropologie, par exemple, la découverte sur le continent africain des restes identifiés d'un proto-humain baptisé Tumaï, repousse encore plus loin les origines des hominidés à laquelle appartient notre espèce homo sapiens, en leur faisant franchir un remarquable bond de 7 millions d'années, sans qu'il soit pour autant encore possible de déterminer s'il s'agit de ce chaînon manquant tant convoité entre le tronc commun des primates primitifs (qui a donné les grands singes actuels), et le premier individu du genre humain. Au reste, je ne sais pas s'il est raisonnablement possible de s'enticher, en matière d'évolution des espèces, d'un prétendu chaînon manquant dont on fait étrangement tant de cas. Le buissonnement dynamique de la vie est un incessant tâtonnement d'adaptation aux contraintes environnementales sur une durée de temps très étendue, qu'il serait illusoire d'espérer y dénicher le fameux petit caillou blanc bien visible au milieu du chemin, cette relique fossilisée qui marquerait la limite intermédiaire entre ce qui n'est pas encore l'être humain et ce qui le deviendrait immédiatement au pas suivant. A-t-on jamais voulu déterminer, dans l'analyse du conte de Cendrillon, l'instant précis où la citrouille n'est déjà plus une citrouille et n'est ni tout-à-fait encore un carrosse? A bien y regarder, il y aura toujours une phase intermédiaire dans chaque autre phase intermédiaire, avec des avancées et peut-être même des reculs, puis de nouvelles avancées en passant par des bifurcations et ainsi de suite. Quelle tête d'épingle tenons-nous donc tant à dénicher dans un tel embrouiĺlamini?
Que signifie cet intérêt presque obstiné pour le chaînon manquant? La science tente également de le découvrir chez d'autres espèces, comme le chien, qui est le descendant avéré du loup. A quel moment précis un loup apprivoisé par l'homme, il y a environ vingt ou trente mille ans, on ne sait, est-il devenu ontologiquement un chien? Quand on voit aujourd'hui le nombre de chiens ressemblant encore à des loups et, partant, le nombre d'êtres humains à des spécimens de brutes primitives c'est à se demander s'il faut, à ce jeu, se rompre indéfiniment la tête. Mais je sais pour autant que la science est précise et rigoureuse et ne peut s'en tenir exclusivement aux apparences. Tout cela est louable et tant mieux en fin de compte. Je n'ignore pas cependant cette manie intellectuelle de l'être humain de vouloir tout classer et classifier, de la supernova au moindre pistil, de considérer la réalité du monde comme établie selon les capacités de sa propre raison. Certes, la science doit faire preuve d'une grande capacité d'ordre et de méthode pour pouvoir progresser, et pour rendre l'ensemble des connaissances aussi accessible et intelligible que possible, mais la raison qu'elle croit lire dans le livre de la nature n'appartient qu'aux particularités de l'entendement humain, à ces quelques poussières de neurones perdue dans l'infini du vide et de la matière.
Une belle trouvaille à été faite, il y a quelques semaines au Texas. Le lit asséché d'une rivière a révélé les traces d'un dinosaure, plus précisément d'un acrocanthosaure, sorte de proto-tyrannosaure de 5 mètres de haut, vieilles de 113 millions d'années. Le règne des dinosaures a duré plus de 180 millions d'années pour s'éteindre dans un cataclysme. Celui de l'homme actuel, qui se croit maître de tout, ne dure que depuis quelques milliers d'années. C'est à peu près le temps qu'il lui a fallu pour asservir la terre, dérégler le climat et dévaster la nature. De ce fait, son règne à lui est sur le point de s'autodétruire. Ce ne sont pas quelques dizaines d'années qu'il pourra encore gagner sur sa durée d'existence, par le bricolage de sa technologie, qui le feront rivaliser avec la longévité des dinosaures. La terre ne s'est jamais aussi bien portée sans l'homme, elle se portera d'autant mieux après qu'il aura débarrassé le plancher. Il ne restera tout au plus de sa présence néfaste que quelques blocs de béton et d'acier qui pourriront lentement sous la végétation luxuriante.
Il y a quelques années, grâce à l'examen de roches cristallines issues d'éruptions volcaniques, les scientifiques ont cru déceler à quelques centaines de kilomètres sous terre, la présence d'immenses océans. Cette hypothèse incroyable, digne de l'imagination de Jules Verne, est encore loin d'être confirmée et reste encore bien enveloppée de mystère. Mais si elle devait s'avérer, elle apparaîtrait comme une aubaine extraordinaire (à condition que ce fût de l'eau douce), à l'heure où la sécheresse causée par le changement climatique étend ses calamités sur de vastes régions du globe. De quoi rassasier nos appétits matérialistes d'abondance et de gaspillage et relancer la machine consumériste. Et puis, voilà bien l'être humain, expert en astrophysique quand il ignore encore ce que recouvre le sol sous ses pieds.
Ce qui différencie fondamentalement cet être humain du reste de l'intelligence animale, c'est, d'une manière générale, qu'il semble être le seul à penser la structure de sa pensée et à créer à l'infini des objets dialectiques. De ce fait, il est le seul, enfin on le suppose, à transformer sa perception du réel en abstractions mentales et à concevoir, par exemple ici, des théories sur les origines et les finalités de l'univers. Cette science est comme la suprême métaphysique de toutes les sciences, on y établit des lois, des principes, de grandes visions transcendantales et de vertigineuses constructions spéculatives de l'être et du temps. J'imagine que ni ma chienne, ni mon chat, ni ma jument, investissent le clair de leurs journées à élucubrer sur leur position ontologique, ce qui ne les empêchent cependant pas d'être de fins philosophes à leur manière, ce que j'observe chaque jour.
Mais toute métaphysique est une sorte de labyrinthe de verre et de miroirs où l'esprit se douloit et s'illusionne à l'excès à trop vouloir chercher des chimères et en ressort tout pétri et contorsionné. De fait la seule question pertinente à se poser serait la suivante: Quelle connaissance (outre celle qui m'est utile à la pratique de l'existence) suis-je capable d'atteindre qui n'ait de valeur que celle qui puisse m'enrichir intérieurement et m'aider à m'accomplir? Il est d'anciens sages indiens ou chinois qui ne faisaient aucun cas de la connaissance du réel, car ils y voyaient un instrument d'orgueil et de domination qui détourne de la voie intérieure et, partant, de la seule connaissance qui vaille, celle qui, par la pratique de la vertu et de la méditation, nous délivre des aliénations et des souffrances du monde. C'est ici à peu de chose près l'enseignement du Bouddha ou des ecclésiastes taoïstes.
Il est une sagesse, plus conforme à nos humanités classiques, qui n'attache d'intérêt qu'à la connaissance qui éclaire l'esprit, police les moeurs et nous rend meilleurs, et comme disait Montaigne: "nous enseigne à bien vivre et à bien mourir" en quelque sorte. Toute connaissance est donc bonne à acquérir si elle nous permet de viser ce but. Pour autant, comme l'a dit encore récemment Mohamed Mbougghar Sarr "Plus on découvre un fragment du monde, mieux nous apparaît l'immensité de l'inconnu et de notre ignorance". J'en infère que si la connaissance a pour effet d'éveiller à l'humilité de notre propre ignorance, alors il faut rendre grâce à cette connaissance qui élève la conscience et permet d'être en paix avec soi-même et avec le monde. Ce qui démontre que, tant par la voie du Bouddha que par celle de notre ancien humanisme, l'homme cherche à atteindre, en fin de compte, les régions d'une même félicité et d'une même harmonie.
Pour autant, toutes ces aventures cognitives que nous offre la science, toutes ces odyssées du temps, de la matière et de l'espace, m'apparaissent comme des récits fabuleux de mon propre chemin intérieur, qui se fondent en moi comme une mémoire secrète de l'être. Leur réalité est une sorte de rêve immanent qui, tout en nourrissant l'intellect, ne modifie en rien l'état de mon innocence. Car on peut interroger l'univers et les étoiles, et comprendre à la fin que tout cela est merveilleux, que tout cela est effrayant, que tout cela est insensé, mais que tout cela doit rester à jamais inviolé. Au fond, tout existe et rien n'existe, tout ce qu'on est n'est déjà plus.
Si l'animal peut être en proie à la plus grande détresse face à la souffrance et à la peur de la mort, le seul destin tragique est bien celui de l'homme car il est le grand témoin de sa solitude, le coryphée masqué dialoguant avec son propre néant. Mais le dérisoire se mêle misérablement au tragique lorsque ce Prométhée de la dialectique s'incline et succombe à son tour devant la petitesse des passions humaines.
Cinq-Mars, être vain et frivole, au moment de poser la tête sur le billot, regarda une dernière fois le ciel et la foule, avant de soupirer, dans un accès inattendu de lucidité: "Mon Dieu! Qu'est-ce-que ce monde!".
Honorius/ Les Portes de Janus/ Le 8 septembre 2022
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.