Aux origines des familles "Nuzzo" et "de Lucia", mes grands parents maternels
1/Contexte historique et géographique
La région de Campanie (Campania), située dans l'Italie méridionale, est aujourd'hui une circonscription administrative regroupant les provinces d'Avellino, Bénévent, Naples, Caserte et Salerne, entre la chaîne des Apennins et la mer tyrrhénienne.
La Campanie, nommée ainsi par les Romains dès le 5ème siècle avant Jésus Christ, correspondait primitivement au territoire des Capuani, les habitants de la cité de Capoue (Capua), la Capuana, qui est à l'origine, dit-on, de l'appellation de Campania. Son aire historique et géographique s'étendit à l'époque romaine aux plaines des régions de Naples et de Salerne au sud, au nord jusqu'au Mont Massico, aux confins du Latium méridional.
Réputée pour la fertilité de sa terre vésuvienne et sa douceur de vivre elle devint la "Campania Felix" la Campanie heureuse des Romains qui y établirent de nombreuses villégiatures. Avec ses vignobles, ses champs de céréales, ses oliveraies, ses cultures d'orangers et de citronniers, elle fut un des premiers greniers et pourvoyeurs de Rome. La "cornucopia", la corne d'abondance mythologique héritée des Grecs, qui fut associée dès l'époque antique aux fresques et à la statuaire régionales, devint le symbole de la Campanie dans les représentations artistiques et héraldiques. La "cornucopia doppia" la double corne d'abondance d'or sur champ d'azur, posée en sautoir et liée par une couronne est devenue dès la fin du moyen âge l'emblème du territoire. S'il fut dit que l'on pût être heureux comme "Dieu en France", la Campanie ploie comme un fruit mûr sous les souvenirs de l'âge d'or.
Cette terre fut peuplée il y a trois mille ans par les Osques, population sabellienne venue d'Italie Centrale. Pline l'Ancien nomme d'ailleurs la Campanie le pays des Osques (en latin Osci ou Opsci). Leur nom dériverait de Ops, la déesse primitive de la fertilité et de la terre nourricière chez les peuples italliques. Les Osques entrèrent en contact avec les Grecs, introducteurs de la vigne originaire du moyen orient, et dont les colonies s'établirent dès le 8ème siècle av jc en Italie méridionale laquelle fut désignée par le monde héllénique sous le nom de Grande Grèce (Graecia Magna). La région fut disputée par la suite par les Etrusques, les Samnites, les Latins et plus tard dès le Haut Moyen Âge, par les Ostrogoths, les Bysantins, les Lombards qui érigèrent la principauté de Capoue, les Sarrazins et les Normands qui dès le 11ème siècle fondèrent en Italie méridionale ces multiples territorialités féodales qui furent réunies dans le royaume normand de Naples et de Sicile. Ce grand royaume suivit les vicissitudes des dynasties européennes, sans cesse construit et déconstruit par le jeu des alliances et des conquêtes sous le nom de Royaume de Naples et Royaume des Deux Siciles (Sicile continentale avec le Royaume de Naples et Sicile insulaire). Ce furent successivement, du 13ème au 18ème siècle, les Hohenstauffen, les Angevins, les Aragonais, les Habsbourg d'Espagne et d'Autriche, auxquels succédèrent les Bourbons d'Espagne. L'époque moderne ne fut pas en reste avec les Français de la République et de l'Empire, de 1797 à 1815, puis de nouveau avec une branche cadette des Bourbons d'Espagne, roi des Deux-Siciles, jusqu'à l'avènement de l'unité italienne sous la couronne de la Maison de Savoie en 1861.
Ce territoire constitua dés l'origine un enjeu stratégique de premier plan dans la politique d'expansion de Rome. Entre 343 et 290 avant JC trois guerres contre les Samnites, ces guerriers redoutables des montagnes, lui furent nécessaires pour y asseoir définitivement sa domination. C'est à cette époque que Rome entreprit le prolongement de la voie Appienne pour relier Capoue puis, à travers la Basilicate, joindre les Pouilles jusqu'à Brindisi. Cette voie, eut principalement pour Rome une fonction militaire dans l'acheminement des troupes vers le sud de la péninsule et plus tard, une fois maîtresse de toute l'Italie, pour renforcer ses visées expansionnistes vers la Grèce et la Méditerranée Orientale.
Dés le 12ème siècle la Campanie fut désignée sous le nom de Terra Leborini (en italien Terra di Lavoro, traduit en français par Terre de Labour). L'origine de cette appellation est discutée. Elle pourrait faire simplement référence aux champs fertiles labourés, ou bien correspondre à un ancien peuple osque du nom de Lebori ou Leborini. Cette vaste "Terra di Lavoro" dont les contours furent continuellement modifiés au cours des siècles, fut progressivement démembrée dès 1861, puis supprimée en 1927 et son territoire réparti entre les nouvelles provinces limitrophes, celles de Naples, Latina, Frosinone et Avellino. La province actuelle de Caserte, issue de cette refondation, correspond sensiblement à la Campanie primitive, la Capuana.
Cette terre est si ancienne dans le cœur des hommes, que même leurs tombeaux y prolongent le rêve d'un désir sans fin. Pendant des millénaires, ils y façonnèrent, avec la patience des grandes oeuvres, le visage d'une civilisation florissante, où délestée du temps, l'histoire se fond dans les splendeurs du mythe. Cette civilisation fut durablement marquée par la culture hellénique, qui, pendant les siècles de l'âge d'or, y répandit les lumières de l'esprit et les raffinements de l'art, dans un environnement d'une beauté spectaculaire. La baie de Naples, refuge des Sirènes de l'Odyssée et escale initiatique d'Enée après la guerre de Troie, a fait l'objet des plus anciennes relations historiques. C'est la colombe d'Apollon qui y guida les premières colonies grecques. C'est là que Scipion l'Africain a choisi de reposer pour l'éternité. Bacchus y célébra les ivresses de la vigne et la voix de Circé, entre le murmure de l'écume et le souffle des collines, hante encore ses parages. Le poète latin Stace en chante les louanges: "Ici s'épanouit un doux hiver, un été tempéré, qu'une mer tranquille baigne de son flot serein. Une paix absolue et le loisir d'une vie oisive y règnent. Jamais le repos n'y est perturbé ni les songes troublés". Mais le Vésuve, qui couronne la gloire de ce site enchanteur, rappelle à cette vieille humanité, qui s'est épanouie sur son sol, que si elle lui est redevable, par l'effet de ses grâces naturelles, du bonheur et des moissons de l'existence, elle doit aussi en redouter à chaque instant les forces d'anéantissement. La plus célèbre des éruptions est celle du mois d'octobre de l'an 79, avec la destruction des villes de Pompei et Herculanum, et dont Pline le Jeune fit une relation saisissante. Des éruptions ont été signalées du 5ème au 13ème siècle, puis après une longue période d'accalmie, le volcan reprit une nouvelle période d'activité à partir de la catastrophe du 16 décembre 1631, qui détruisit plusieurs villes du littoral. L'activité du volcan n'a jamais cessé depuis ce jour funeste, sa dernière grande colère s'étant déchaînée en mars 1944, en pleine guerre. Mais le Cyclope momentanément assoupi garde l'oeil ouvert. Les scientifiques prédisent que la prochaine éruption sera cataclysmique et que la ville de Naples pourrait être rayée de la planisphère.
Il en va ainsi des choses de ce monde et du destin de cette terre en sursis, des douceurs de l'"otium" et de la poésie de la vie. Le temps et les événements passent comme un rêve, tout n'est qu'ombre et poussière, disait Horace, et, à en croire Ovide et Virgile, il n'y a pas loin des "délices de Capoue" à l'entrée des Enfers.
De Capoue, la via Appia s'étire dans les plaines septentrionales de la Campanie en direction de Benevento et de Brindisi à travers les montagnes du Samnium. La circulation intense de convois de soldats, de commerçants et d'une multitude de voyageurs, favorisèrent, sur l'emplacement de l'actuelle commune de Santa Maria a Vico, située à mi-chemin entre Capoue et Bénévent, la création d'une "statio" composée d'un relais de chevaux appelé "mutatio" ou "novatio", et de services pour la restauration et l'hébergement des voyageurs, en particulier des cauponae (hôtellerie), et des tabernae (auberges). Une petite agglomération (vicus) fut alors créée à cet emplacement du nom de "Vicus Novanensis" ou "Vicus ad novas", c'est à dire, selon les auteurs, le village près du relais de chevaux (la novatio) ou des nouvelles auberges (tabernae novae).
Plus à l'est en direction des montagnes de Bénévent se trouve le fameux site des Fourches Caudines (Forculae Caudinae, défilés rocheux en forme de fourches), situé près de l'ancienne localité de Caudium. C'est à cette endroit (que les historiens d'ailleurs ne sont pas parvenus à déterminer précisément) qu'une armée romaine de 40 000 légionnaires fut défaite en 321 av JC par les guerriers Samnites, qui les avaient attirés et pris au piège comme dans une nasse au fond d'un défilé. Désarmée et capturée, l'armée romaine fut contrainte, en signe de soumission, de passer sous le joug, composé de deux lances plantées parallèllement au sol et une troisième posée transversalement sur les deux premières. Cette défaite retentissante qui marqua un coup d'arrêt temporaire à l'expansion romaine, est à l'origine de l'expression française, introduite par les orateurs de la Révolution: "Passer sous les fourches caudines", c'est-à-dire subir une défaite ou des conditions humiliantes. (A noter que cette expression confond, par glissement métonymique, les Fourches, qui est une désignation géographique, avec le joug, qui est un instrument et un symbole de soumission. Il serait plus juste de dire dans ce cas "Passer par les Fourches Caudines" et non pas "sous").
Le Vicus ad Novas, qui vécut pendant plusieurs siècles le destin paisible d'une bourgade agricole, fut ruiné au 5ème siècle par les invasions barbares, notamment par l'incursion brutale des Ostrogoths. Ses habitants se dispersèrent dans les collines des alentours et ce n'est qu'au 15ème siècle que l'agglomération se reconstitua autour d'une chapelle dédiée à la Vierge qui prit le nom de Santa Maria a Vico, "Sainte Marie près du village" qui devint le nom de la nouvelle localité.
2/Les familles Nuzzo et de Lucia de Santa Maria a Vico
La quête mystique
Ma mère, Angelina Nuzzo, étant native de Santa Maria a Vico, j'ai longtemps souhaité entreprendre une quête de ses origines, de mes origines. Je ne connaissais jusqu'à lors que le nom de ses arrières grands-parents. J'eusse pu m'en tenir à cet état de connaissance, car qu'a-t-on besoin, après tout, de remuer tant de Mânes pour assumer pleinement sa propre existence?
Ma mère avait cependant commencé un récit. C'étaient ses souvenirs d'enfance dans une contrée qui me semblait si lointaine et si exotique, le drame de la guerre et de l'émigration qui avaient rompu le cours d'un rêve d'éternité dont je voulais interroger sans relâche la scène et le mystère. Elle mit dans ce récit tant de passion et d'insistance qu'il me sembla à la longue que ses souvenirs étaient devenus mes propres souvenirs, son histoire ma propre histoire, son inassouvi mon propre inassouvi. Même la langue qu'elle parlait, qui ne fut cependant pas ma langue maternelle, hélas pourrais-je dire, semblait chargée des dévotions d'une vieille humanité, un de ces parlers terriens et rugueux des origines, la langue d'Evandre et de Janus dont les femmes ont posé en moi le signe indélébile. Cette langue qui berça une grande part de mon existence, semblait me relier à des puissances primitives, comme par une invocation liturgique. Son vieux fonds de vertu et de volonté, enraciné dans le limon de temps héroïques, a imprégné la conscience de ma propre nature, comme si elle eût été augmentée de nouveaux pouvoirs de résonance et de nouvelles facultés visionnaires. Il fallait donc que je poursuivisse un peu plus loin le chemin et le récit, que je découvrisse la nature de ces pouvoirs. Je crois aux prêtresses chamanes, aux sorcières domestiques et tutélaires. La longue lignée de mes mères, les "Matres Matutae" qui m'ont ouvert les portes du jour, a perpétué jusqu'à moi le lien cosmique, les passions de la terre et les appels de l'esprit. Certes, je fis jadis mon pélerinage, je connus l'ancien séjour et les derniers survivants de la mémoire; j'en rapportai des brassées de bontés et de bénédictions. Mais aujourd'hui, lassé du monde qui fuit, je scrute le sentier immobile de l'histoire, dussé-je n' y entrevoir que des rives mortes et le reflet sans avenir d'improbables fantômes... Cette quête apparemment insensée ne saura pourtant être totalement vaine. C'est en tout cas mon secret espoir. N'est-ce pas dans les cruches vides que l'on entend bruire encore l'eau des anciennes fontaines?
La quête dans les registres
Depuis le Concile de Trente en 1563, le clergé italien était tenu d'enregistrer les baptèmes, les décès et les mariages. Ces actes ont toujours été écrits en latin, contrairement en France où la langue française, depuis les édits royaux des 16ème et 17ème siècles, se substitua au latin et autres formes vernaculaires.
A l'époque napoléonienne, l'état-civil des différents états et royaumes de la péninsule fut organisé sur le modèle de l'administration française, en langue italienne (en français dans le Piémont). Ces archives sont conservées sous le statut d'archives d'Etat, par province (L'équivalent de nos archives départementales). C'est ainsi que les archives d'Etat de Caserta conservent le fonds d'état civil pour la période 1808-1866. Cette période couvre la période de la présence française proprement dite, entre 1808 et 1815 ainsi que la période dite de la "Restauration" avec le retour des Bourbons d'Espagne, de 1815 à 1866, au cours de laquelle le modèle "napoléonien" resta en usage. Après la chute des Bourbons, l'Italie unifiée adopta ses propres formes et usages sous le statut d'état civil italien, tenu par chaque commune. A noter que le clergé n'a jamais cessé de tenir ses propres registres paroissiaux en latin, concurremment aux autorités civiles.
Si je dois trouver une utilité à cette diablerie d'internet, c'est bien le prodige d'accéder à une infinité d'informations de première main, dans leurs sources originales. Consulter des fonds d'archives situés à mille deux cents kilomètres m'eût valu, en d'autres temps, une expédition des plus embarrassantes et des plus hasardeuses, sans garantie de profit.
Je dispose donc sur mon écran, et à ma guise, de l'intégralité les archives de la commune de Santa Maria a Vico, d'abord l'état civil italien de l'époque récente, ensuite les archives napoléoniennes de l'époque moderne et enfin les archives paroissiales des temps obscurs. Partant des dates de naissance de mes grands et arrière-grands-parents, j'entreprends un étonnant périple dont la progression vertigineuse me conduit au coeur du 17ème siècle. Mais réveiller l'esprit des morts à travers la trace si ténue qu'ils ont laissé de leur vivant dans ces vieux registres n'est pas sans risque de frustration. Toute quête doit tendre à un enrichissement intérieur. Quand je découvre un lieu où des êtres humains jadis ont vécu, un vieux hameau abandonné, une ferme ruinée, je cherche à recueillir la moindre trace de leur ancienne présence, des témoignages qui me parlent avec attendrissement de leur intimité passée, je cherche passionnément à y ressentir comme un prolongement de ma propre humanité. Il faut faire preuve de beaucoup d'imagination pour découvrir la substance humaine à travers des archives d'état civil où ne défile, en vérité, qu'une collection aride de noms et de prénoms qui s'empilent et se superposent sans aucun pittoresque, et qui, au fond, ne nous parlent de rien ou de pas grand chose de l'âme et du coeur. Les seules maigres informations utiles que nous pouvons trouver dans les archives modernes jusqu'en 1809 se résument à ce que les documents, ordinairement préimprimés ou rédigés selon un modèle réglé, permettent d'y caser. Ce sont, bien sûr, les noms et prénoms, l'adresse, la profession, souvent l'âge et certains liens de parenté. Cela ne diffère en rien de ce que nous trouvons dans les archives françaises. Et comment pourrait-il en être autrement? Il ne s'agit pas, pour les autorités chargées de l'enregistrement, de composer un roman de la condition humaine. Les seules documents qui peuvent contribuer à ce "roman" ce sont les actes notariés. Je sais, par expérience, qu'un acte de mariage, un testament, un inventaire, un legs, une vente, un partage, un accord, peuvent receler des traits de pittoresque et parfois même quelque poésie. Cela tient sans doute, essentiellement pour les actes anciens, à l'effet du style et du langage de terroir, à une certaine familiarité à nommer les choses, les lieux, les situations de la vie courante. Aussi, un acte notarié, écrit sur la table d'une chaumière, est souvent un récit, un récit presque vivant, d'où peuvent émaner maintes bouffées d'atmosphère.
Au-delà de l'année 1809, environ, nous n'avons plus accès qu'aux actes paroissiaux. Ces derniers, rédigés dans un latin de presbytère, sont désespérément inconsistants, figés dans des formules stéréotypées, où ne nous trouvons plus qu'un pauvre squelette desséché du vivant. En France, les actes paroissiaux, rédigés jusqu'en 1792, avant leur transfert aux communes, sont écrits en français et contiennent très fréquemment des indications sur l'âge et l'occupation des personnes, leur lieu de résidence, que ce soit un village, un hameau et un lieu-dit. De plus, s'agissant des baptêmes, les noms et prénoms des parrains et des marraines, assortis fréquemment de leur lien de parenté (oncle, tante etc), leur lieu de résidence, permettent d'établir des recoupements de filiation et de reconstituer des parentèles. Ici, rien de tout cela, nous nous trouvons face à une succession de noms, aussi rigide, monotone et uniforme que les listes gravées sur un monument aux morts, avec cette particularité toutefois d'y voir mentionné le nom de la sage femme (obstetrix), comme une reconnaissance du pouvoir sacré de la femme dans le rite du "passage".
Je dois toutefois reconnaître que les actes paroissiaux de Santa Maria a Vico offre une qualité de lisibilité que nous ne trouvons pas toujours dans d'autres paroisses de la région. Une autre particularité bien utile aux généalogistes, que j'ai d'ailleurs déjà rencontrée dans de précédentes recherches en Savoie, réside dans l'habitude de nommer, dans les actes de baptême, en particulier, les prénoms des grands-parents, ce qui permet de différencier les branches homonymes et Dieu sait comme elles sont intriquées à Santa Maria. Curieusement ce secours providentiel cesse progressivement à partir du milieu du 18ème siècle et notre quête se termine au fond d'un cul de sac, à la lisière des limbes. Un acte de mariage sans filiation, un acte de baptême que l'homonymie rend impossible à distinguer d'un autre et, à moins de s'en remettre au hasard, c'en est fini du jeu de piste.
J'ai heureusement bénéficié d'un concours heureux de circonstances pour reconstituer, avec la plus grande fiabilité, les deux lignées principales de l'estoc maternel.
J'en veux pour preuve l'exemple d'un acte de mariage en date du 12 octobre 1750, entre Antonio Nuzzo et Anna De Lucia. Cet acte indique la filiation agnatique de Antonio, qui est dit fils de Nicola, fils d'Ignazio, ainsi que celle de Anna, qui est dite fille de Jocobi (Giacomo), fils de Philippi (Filippo), fils lui-même de Leonardo. Il s'agit ici d'une occurrence tout-à-fait exceptionnelle de filiation, d'un côté sur trois, et de l'autre sur quatre générations, les actes de mariage n'étant jamais à ce point loquaces et se limitant à désigner, quand ils le font, le père de chaque époux. A noter que le nom de la mère n'est jamais mentionné dans les actes de mariage des registres paroissiaux de Santa Maria (sauf rare exception à la fin du 18ème siècle), contrairement à la France où cette défaillance est beaucoup moins systématique.
Les actes antérieurs à l'unification portent en exergue la mention: "Commune (ou Università) di Santa Maria a Vico, Provincia di Terra di Lavoro". Cette mention disparaît dans les actes paroissiaux au profit de l'intitulé latin suivant: " Parocchia San Nicolai Magni ex Terra Argentii", c'est-à-dire "Paroisse de Saint Nicola le Grand, de la Terre d'Argentium", la paroisse de Saint Nicolas étant la paroisse centrale de Santa Maria a Vico).
Cette innovation ne laissa pas de m'intriguer, notamment le terme d'"Argentium". Cette désignation insolite et quelque peu mystérieuse faisait-elle référence à l'existence de mines d'argent dans la région? J'eus beau rechercher dans l'histoire économique de la Campanie, je ne trouvai nulle référence à l'existence d'exploitations minières et encore moins d'argent. Par quel sortilège l'antique Terra di Lavoro devenait-elle Terra Argentia, dans les vieux actes de Santa Maria a Vico et des paroisses alentour?
Le hasard, qui est un destin qui s'ignore, me réservait la clef du mystère. Je trouvai la révélation dans un dictionnaire italien géographique de 1856: "Argentium: Borgo nella Campania. Sorse nell'VIII secolo, dopo la distruzione di Suessola. Oggi chiamasi Arienzo, nella provincia di Terra di Lavoro, Reame di Napoli". (Argentium. Bourg en Campanie. Fondé au 8ème siècle, après la destruction de Suessola. Appelé aujourd'hui Arienzo, dans la province de Terre de Labour, Royaume de Naples).
La cité de Sessuola, située au sud de l'actuelle Santa Maria a Vico (et qui correspondrait aujourd'hui à la localité de Cancello), fut ravagée vers l'an 880 par les guerres entre les Sarrazins et les Lombards. Les habitants se réfugièrent dans les collines environnantes et notamment sur le mont Argentium (aujourd'hui Monte Castello) où était édifiée une forteresse lombarde défendant l'accès au duché de Benevento par la vallée des Fourches Caudines. Celle-ci rejoint la vallée de Suessola au sud, dont elle est séparée par une pointe avancée du massif montagneux et qu'il faut doubler comme un cap lorsque l'on vient de Santa Maria a Vico et d'Arienzo. Cette forteresse était située près d'un ancien temple (Ara) consacré à la déesse Cynhia (Cinzia), la Diane chasseresse, particulièrement honorée dans la région capouane et les montagnes caudines. De Ara-Cynthia (temple de Cynthia) proviendrait Argentia, puis Argentium. Durant les années 1130, le roi normand de Sicile, Roger II d'Attavilla, fondateur du Royaume de Naples, vint réprimer une rébellion des grands feudataires de Campanie, le comte Ranulf d'Avellino et le prince Robert de Capoue. En 1135, avant de retourner en Sicile, le roi Roger ordonna la destruction de la forteresse d'Argentium afin de la soustraire aux convoitises. Les habitants redescendirent alors progressivement dans l'ancienne vallée de Suessola et fondèrent en 1154 une nouvelle ville fortifiée, appelée "terra murata" où fut édifié un nouveau château, et qui, à la fin du Moyen-Âge, prit le nom d'Arienzo, forme italienne corrompue de l'antique Argentium.
Dès la fin du 12 ème siècle, à la fin de la période normande, Argentium devint le chef-lieu de la Terra Argentia, vaste territoire féodal désigné sous le nom de "Università" et constitué à l'origine de 23 localités, des casali, disséminées dans un triangle compris entre Maddaloni à l'ouest (l'ancienne Calatia étrusque), le mont Tifani au nord, la cité d'ArpaIa à l'ouest, (l'ancienne Caudium, près des Fourches Caudines), et Acerra et Nola au sud, en direction des plaines de Naples.
Arienzo, sous l'administration de seigneurs locaux dont le pouvoir rayonna sur l'ensemble du territoire, connut une ère de prospérité à partir du 16ème siècle, où de riches familles locales bâtirent de prestigieuses résidences. Aujourd'hui la vallée dite de Sessuola, en référence à l'ancienne cité des Osques, regroupe les communes actuelles de San Felice a Cancello, Santa Maria a Vico, Arienzo et Cervino. Arienzo se trouve aujourd'hui dans la continuité urbaine de Santa Maria a Vico.
Un historien italien du 18ème siècle, Nicolo Liettieri, bien connu des érudits, est l'auteur d'une "Histoire de Sessuola et de Arienzo" éditée à Naples en 1772 (in-quarto). On y trouve une compilation d'anciennes chroniques sur la terre d'Arienzo, évoquant ses plaines fertiles, l'abondance de ses cultures fruitières, ses vignes généreuses qui produisent des vins excellents et ses collines couvertes d'oliviers. Une mention particulière y est faite d'une variété de pêche, la percopa, "qui fait l'identité du territoire plus qu'aucun autre. Ce sont vraiment des fruits que l'on préférera à tous les autres pour leur délicatesse et leur saveur". Déjà, Columelle, agronome romain du 1er siècle, désigne la terre d'Arienzo comme "Les jardins des Fourches Caudines" (Caudinis Faucibus Horti).
Conclusion
L'étude généalogique des familles Nuzzo* et de Lucia*, qui sont les branches paternelle et maternelle de mon ascendance maternelle, nous apporte les informations suivantes:
Dans une région essentiellement agricole depuis des millénaires, ces familles étaient toutes de condition terrienne, comme la quasi totalité des habitants des villages et des "casali". Les personnes sont désignées, dans les actes du 19 ème siècle, comme coloni (fermiers ou métayers) et contadini (agriculteurs, paysans propriétaires). Même si les actes paroissiaux, avant 1809, sont absolument muets sur l'état social des personnes, nous supposons que cet état de "contadini" leur était attaché de toute origine. Ces deux lignées, dont l'arborescence révèle tout un réseau de confluences, étaient profondément enracinées dans le terroir des "Figliarini", qui est un des premiers lieux d'occupation de Santa Maria a Vico, anciennement nommés "corti". Les "Figliarini", (littéralement les petits fils) étageaient jadis leurs fermes et leurs cultures sur les premières pentes des "Monti Tifani" (dont la roche calcaire servit longtemps aux constructions) qui se dresse, au nord, en direction de Durazzano et de Santa Maria dei Gothi, dans les profondeurs de l'ancien Samnium.
Il y a bien longtemps, alors que j'accompagnais ma mère sur les lieux de son enfance, je suis entré dans la ferme de ses grands-parents de Lucia, aux Filiarini, où nous avions été accueillis par Maria de Lucia, une de ses tantes. Je me souviens d'une cour et d'un jardin, d'un pittoresque rustique des plus délicieux, je vois encore une échelle posée contre le mur d'une vieille grange par laquelle on accédait au grenier aux amandes.
On ne peut évoquer la poésie d'une terre sans être intimement relié à ses réalités physiques, humaines et morales. Si j'ai pu mener pleinement cette expérience avec la Haute Auvergne, le pays de mes ancêtres paternels, pour m'être entièrement pénétré de l'identité et de la force morale des lieux, mes facultés cognitives trouvent pour la Campanie les limites que je leur est assignées dans cette modeste notice. Je n'ignore pas non plus que des pans entiers de la culture campanienne me resteront obstinément étrangers sans la connaissance charnelle de la langue, bien qu'elle subsiste en moi en de profondes résonances. Car la langue campanienne (qui regroupe plusieurs variations de celle de Naples) est, à mon sens, substantiellement indissociable de la magie du temps et des lieux. Hélas, cette partie de moi-même, que je crois scruter dans sa profondeur, me renvoie à une réalité qui n'est plus depuis longtemps ce que ma fantaisie et mes désirs frustrés en imaginent. Certes on peut connaître intérieurement le monde sans sortir de sa chambre, comme disait Lao Tseu, mais cette âme campanienne est comme le mystère des origines, elle ne peut se révéler sans une volonté constante d'immersion, sans une longue étreinte mystique, par les passions inassouvies du verbe et de la chair.
Honorius/Les Portes de Janus/ Le 6 février 2023
* Nuzzo: patronyme issu du suffixe hypocoristique d'un prénom (-nuccio)
*de Lucia ou di Lucia: patronyme issu d'un prénom de femme (matronyme)
Le patronyme de Lucia est statistiquement le plus représenté à Santa Maria a Vico, dans des proportions tout-à-fait prépondérantes. Viennent ensuite les patronymes Nuzzo, Piscitelli, Savinelli, Manna, Carfora, Campagnuolo, Zimbardo etc.
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