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La troupe gardant le trône de l'Enfant Roi (Paris, Conseil Constitutionnel, le 14 avril 2023) |
Je ne suis ni sociologue, ni ingénieur agronome, ni juriste, ni philosophe en chaire, ni gradué en politologie, littérateur encore si peu, et même si je puis avoir du goût et de l'intérêt pour leurs sciences respectives, je ne puis sérieusement me recommander sans outrecuidance d'aucune de leurs compétences, tant leurs objets sont subtils et complexes. Toutefois l'humble observateur que je suis de ce théâtre d'ombres tantôt dérisoires, pitoyables et tragiques du monde, détient encore la faculté d'instruire à sa façon le train des affaires et la physionomie des temps et de convoquer les moyens de s'en faire une opinion.
Et mon opinion générale est que nous vivons décidément une époque en tout point "formidable". Une époque où le processus d'humanisation se détourne chaque jour de la perfectibilité morale de l'espèce. La coupe n'a jamais été aussi pleine, elle déborde même de toutes parts. La longue théorie des calamités anthropologiques, si elle n'a guère varié de nature depuis des siècles, s'est encore perfectionnée grâce à l'évolution des méthodes et des moyens de la technique. La guerre, l'oppression, la famine, l'esclavage économique, la misère sociale accablent plus de la moitié de la planète, tandis que l'autre moitié, au profit de ses oligarchies, en tire avec goinfrerie les choux gras de ses rentes. Cette sombre réalité de l'exploitation de l'homme par l'homme, me direz-vous, n'est certes pas une innovation sous le soleil et eût fait dire à ma grand-mère, non sans quelque cocasserie, qu'elle est "vieille comme mes robes".
L'humanité a été à ce point inconséquente que même les lumières du "Progrès", qui ont pu faire un temps son mérite et sa gloire, n'ont su contrebalancer ses monstrueuses capacités de nuisance. Son universalité positive, qui eût pu faire le bonheur des peuples, a pris le visage d'une hydre mondialisée qui étend sur la planisphère les cercles du purgatoire et de l'enfer. L'enfer est partout où la terreur, la tyrannie, la violence, la persécution, le pillage et la mort ont fait leur demeure.
Le purgatoire, quant à lui, est encore une sorte de privilège répugnant dans ce monde assassiné, une vitrine "Potemkine" de l'enfer, où la plupart d'entre nous peuvent encore filer civiquement leurs jours sans trop se soucier de la pourriture qui infecte le marigot. Ce purgatoire s'appelle l'ordre néolibéral, la loi inflexible du marché, si peu regardante en effet de ses outrances, de ses compromissions et même de ses crimes. D'ailleurs, soyons francs et honnêtes: a-t-on jamais vu nos louables pratiques de pays civilisés et fort présentables dans leurs atours démocratiques, sans peu ou prou de sournoiserie et de turpitude dans les encoignures? Comme disait ma grand-mère, qui n'était pas avare de tabarinades: "Telle a le chapelet en main qui a le diable sous ses jupes".
Nous croyons communément que l'histoire de l'humanité n'est que le long récit d'une évolution linéaire des ténèbres à la lumière. Mais tout cela, somme toute, n'est qu'affaire de préjugé et d'appréciation. Qu'un villageois du Moyen-Orient proto-islamique fût moins émancipé que sous la terreur de nos Mollahs contemporains pourrait laisser planer un doute sérieux. De même, qui nous assure qu'un Aurignacien du temps de la Grotte Chauvet fût moins éclairé qu'un Sapiens abstentionniste sous le Macron?
L'Etat moderne, malgré les vertus de la loi et du droit, peut compter, sous couleur d'assurer notre prospérité et notre bonheur, sur le moyen du mensonge et de la perfidie mais aussi sur le plus archaïque qui fût jamais, celui du gourdin ou de la matraque. Notre pays qu'est cette "Doulce France", qui s'enorgueillit d'être la flamme universelle de la Raison contre les ténèbres de l'obscurantisme, nous offre sous ce rapport un bel exemple en fait d'autoritarisme politique et de supercherie intellectuelle. Le Macron, ayant par trop exaspéré le peuple de ses caprices d'enfant-roi de la République, en est réduit désormais à faire garder ses palais par la troupe et s'accrocher à la stratégie du "bunker". Pourtant, toute chose étant relative, le peuple a au moins chez nous la liberté de choisir ses propres infamies et il ne tient même qu'à lui, dans les moments opportuns, tout en espérant le meilleur, de congédier le pis pour le moindre mal. Reconnaissons-nous seulement à sa juste valeur ce privilège de vivre au pays des "veaux" des "fumeurs de Gitane" et des "Gaulois réfractaires" alors que tant d'autres peuples malheureux vivent encore aux pays des goulags, des coupeurs de mains et de têtes? Oui, peuple bafoué que nous sommes, soyons encore heureux de vivre sous la direction de ces constitutions malmenées par des acteurs toujours plus présomptueux qu'ils sont plus médiocres, et de ne pas devoir trembler sous la férule de ces tyrannies abominables, dont, passé notre jardin d'apparente quiétude, nous trouvons partout grande désolation et grande pléthore. Nous devrions plutôt nous réjouir que, par un effet miraculeux de la Providence, nos vies soient encore épargnées du pire, je veux dire celui de l'esclavage physique et mental, si bien partagé dans ce monde. Même si, à y bien regarder, nous avons tous, sous des formes et à des degrés divers, nos propres servitudes avec leurs chaînes assorties et leurs prisons. Il y a celles que l'on subit ailleurs par la cogne et la poigne, et celles dont on s'accommode ici, pour autant que l'on ait suffisamment de mou pour s'en distraire.
Certes, l'humanité à déjà connu son lot de révolutions, ses accès de "tables rases du passé", ses enthousiasmes libérateurs censés créer l'avènement d'un avenir radieux, pour, après maintes contorsions et désillusions, rentrer sous l'ancienne tutelle dont elle prétendait s'émanciper.
Mais ce qui fait que cette époque est bel et bien "formidable", c'est qu'un événement des plus pressants est venu s'imposer dans le matérialisme dialectique de l'histoire, un événement si redoutable qu'il transcende toutes les luttes en cours et à venir et réduit l'orgueil des enfants rois à bien peu de chose; il s'agit du réchauffement climatique qui dégrade peu à peu les conditions du maintien même de la vie sur cette terre, causé par les ravages que lui inflige depuis ces dernières décennies l'irresponsabilité dévastatrice de l'activité humaine. L'immanence du désastre en marche nous plonge dans un conflit désormais des plus tragiques entre deux consciences résolument antagonistes. Celle d'un monde sans espérance où, contre vents et marées, doit prévaloir jusqu'à la fin des temps, la vision scélérate du profit et de la croissance, un monde gavé des dividendes de la souffrance et de la misère, pour qui la terre nourricière et vivante, l'air, l'eau n'ont jamais eu d'autre valeur que leur poids en marchandises. Et puis celle d'un monde réenchanté, si je puis dire, épris du respect de la dignité du vivant, d'alliances régénérées avec la terre, de solidarités réinventées entre les hommes, réconcilié, enfin, avec le bonheur et la beauté de l'être. Car tel est le paradoxe où nous nous sommes nous-mêmes enfermés, même ici, dans la patrie de la Raison et de l'esprit critique. Nous ne cessons, par la mécanique insidieuse de la morale suffragère, de mandater les mêmes idéologues réactionnaires et rétrogrades, qui, superbement persuadés de leur légitimité, s'obstinent dans leurs oeuvres d'iniquité et de destruction. Du reste l'exercice du pouvoir, et en particulier du pouvoir politique, s'éloigne trop souvent des voies de la sagesse tant il est constamment démontré que la pratique de la sagesse dédaigne comme une chose illusoire et de pure vanité les brigues et les présomptions du pouvoir. A croire qu'il ne reste plus que l'aveuglement et la bêtise pour conseiller les princes, et flatter en eux l'orgueil qui prétend avoir raison de tout.
Nous vivons décidément une époque "formidable", qui, conformément à l'étymologie de l'épithète, inspire la plus grande crainte, mais qui, par son caractère extraordinaire, appelle résolument à tous les soulèvements de l'esprit et de la terre.
Honorius/ le 15 avril 2023
"La perfection des moyens et la confusion des buts semblent caractériser notre époque" (Albert Einstein).
"Le macronisme, c'est l'art de gouverner sans le peuple et contre le peuple". (Presse étrangère)