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Alors que je déambulais dans une de ces rues ordinaires d'une petite ville ordinaire, qui vous font penser que la vie est bien ordinaire, mon regard se posa sur un graffiti écrit au gros feutre sur un mur en béton, le long du trottoir: "La vie est un mystère qu'il faut vivre et non un problème à résoudre." Je ralentis le pas un instant, intrigué et séduit par la pensée que cette maxime réveillait subtilement en moi. Il ne s'agissait pas d'une sorte d'énigme sybilline soumise inopinément à ma capacité de réflexion, bien au contraire, je sentais exprimé dans cette apparition sémantique comme un accord fulgurant d'évidence avec ma propre pensée. Au point que ces quelques mots qui pourraient résumer à eux seuls toute la doctrine existentielle, je regrettais à cet instant de ne pas avoir eu le bon sens de les trouver moi-même. Mais je laisse sur ce point la préséance au véritable auteur de la maxime, charitablement rapportée par une main anonyme et inspirée dans ce recoin crasseux de la Terre, et d'autant plus volontiers qu'il s'agit du vénérable mahamatma Gandhi.
Je tentais de m'imaginer, à ce moment de ma réflexion, à quoi la vie ressemblerait si elle devait tout à coup être résolue comme un problème, ou une équation. En fait on ne voit guère de signification à donner à cette hypothèse nécessairement absurde qui ne changerait en rien le cours des astres et l'ordre naturel des choses. Gandhi voulait sans doute, à juste titre, dénoncer la dialectique matérialiste oû l'être humain enferme le monde, au mépris de sa part irréductible de poésie et de mystère. René Char, que je croise chaque fois que je me rends dans le jardin du Popey, vient à ma rescousse et ne suggère rien d'autre lorsqu'il affirme que "le poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver". Voilà bien une pensée vraie! J'ai eu mille fois l'occasion de vérifier que ce n'est pas tant la connaissance complète et strictement exacte d'une chose qui comble mon attente, que les parts d'ombre qu'elle contient, car je peux, de ce fait, laisser libre cours à mon inépuisable imagination. De même, comment ne pas considérer que la seule vie qui vaille est celle qui se contente d'elle même comme de la plus grande richesse et qui, par la voie du ciel, nous élève sans cesse dans l'oubli accompli de l'être? Qu'aurais-je à faire d'un monde où, dès le premier jour, tout aurait été résolu pour mon bien et mon confort, un monde où je serais assuré de vivre des centaines d'années comme un imbécile heureux, où je n'aurais à m'enchanter de rien, ayant déjà la science de tout, où je serais infiniment plus fort et plus audacieux, plus en réussite que je ne le suis dans cette existence imparfaite, où tout serait conforme à mes désirs et à mon goût? Je ne tiens pas mieux à ce conte magique où les hôpitaux et les cimetières n'existent pas, oû l'amour et le bonheur ne vous jouent pas de vilains tour, où la laideur, l'injustice et la bêtise, définitivement proscrites, ne peuvent atteindre et faire de tort à personne, où tous ceux qui vécurent reviennnent vivre à jamais dans des tuniques de lin immaculées. Pourtant, je les ai invoqués les jardins de l'enfance où je t'eusse retrouvée, toi, la mère de tout ce qui vit, et qui m'eusses tendu les bras pour me consoler sur ton sein pour toujours. Pourtant je l'ai pleuré ce monde uni dans le visage de la Grande Ourse, où empli du flux infini de ta bonté et de ton amour, j'eusse filé, l'âme en paix, la trajectoire sans fin de l'histoire. Non, même ce miracle là, je ne pense même pas le désirer, malgré tout le regret que j'en ai. Comme dit l'auteur du Dokkodo, "il faut accepter les choses telles qu'elles sont". Lucrèce, Sénèque et Montaigne, n'auront pas dit mieux tant il est vrai que c'est par le chemin de l'humilité que l'ont rejoint depuis toujours la lumière de la paix intérieure. Ce n'est certes pas son pouvoir de domination qui fait la grandeur morale de l'homme mais bien sa capacité d'interroger les limites et la valeur de la connaissance et d'accepter que ce pouvoir qu'il croit irréfutable est au fond bien illusoire. C'est d'ailleurs le rôle de la philosophie d'admettre que la vie ne peut avoir de sens en soi, car toutes les possibilités de sens nous appartiennent à chaque instant. Qu'avons-nous à chercher dans les démonstrations de la raison et de la science, qui ne se trouve déjà en nous et autour de nous? La philosophie ne consiste donc pas à honorer une vérité sortie d'un chapeau dogmatique mais à adapter sa conduite à la réalité donnée, c'est-à-dire, selon les humeurs et les écoles, par les voies du retrait et du renoncement ou les vertus de l'engagement et de l'espérance.
Car si la vie est tout à la fois un mystère, un problème et une impossible solution, elle est avant tout le rêve permanent d'elle-même...
Honorius/ Les Portes de Janus/ Le 18 août 2023
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