mardi 16 juillet 2024

Oh Rus!




La campagne, la terre des champs, comme lieu de calme et de repos, n'est plus depuis longtemps ce qu'elle était du temps de nos pères: la paix bucolique, la beauté pittoresque, tout cela appartient désormais à l'imagerie du passé, celle qui prévalait d'Horace à Racan et à Rousseau, du temps où l'homme, humble devant ses œuvres, lui accordait encore quelque considération. Ce n'est plus aujourd'hui, à force d'impiété et de calomnie, qu'un de ces nouveaux purgatoires qu'il faudra bientôt aussi tenter de fuir en s'inventant une nouvelle nostalgie. Le chaos de la civilisation humaine s'y est répandu partout comme un catarrhe, vous faisant regretter vos naïvetés de bonheur et d'espérance.
D'ailleurs c'est bien simple, je ne peux aujourd'hui vaquer plus de cinq minutes sur ce qui fut jadis nos paisibles chemins de poésie sans être outrageusement incommodé. Cinq minutes en effet, c'est en moyenne le temps qui vous est imparti avant d'être rattrapé et fustigé par toutes sortes de diableries. Si je prends le ton du sociologue je dirai que les choses nuisibles et vides de sens qu'on ajoute chaque jour à toutes celles qui les ont précédées, ne sauraient continuellement prospérer dans un monde déjà accablé de tant de forfaitures. Si je prends le ton du philosophe je dirai, hélas, que si le long processus d'hominisation a parfois abouti à des formes supérieures de conscience, il n'a pu donner dans notre ordinaire qu'une sorte de borborygme fort éloigné du génie du langage, ce qui est bien assez cependant pour exprimer de vagues nuances de néant. Si vous mettez bout à bout toute la collection des bougreries qui donnent à nos terroirs cette espèce de couleur locale, vous aurez sous les yeux en une saison, l'admirable achalandage socio-ontologique de la guenillerie humaine. Et tout recommence, d'année en année, de jour en jour, encore et encore, dans une pénible routine que seule viendra clore la fin heureuse des temps. Un de nos classiques, cité par l'éminent professeur Haudry, disait en latin " Sunt qui odiosi sint". Avec le rapport de l'expérience je dirai plus sûrement: "Sors homini est odiosus orbi esse", ce qui justifierait pleinement la sentence fatidique : "Hic odiosus mundus delendus". Il faut dire qu'il n'y en a guère parmi cette grouillerie pour montrer l'exemple de la vertu. La pauvreté de notre rapport au monde est si imprégné du vide dominant que nous nous renvoyons de toute part l'image de notre propre inanité.
Car je vous le demande un peu: Pourquoi, vérole de moine, reconduisons-nous continuellement dans leur mandat tous ces entichés de l'oeuvre de violence et de destruction? Tous ces élus corneculs qui ne bichent que pour ces projets inutiles, qu'ils chérissent plus que leurs propres enfants, et qui nous rendent la vie tellement laide et insupportable? Manquons nous à ce point d'imagination que nous nous accommodions du mauvais comme du pire sans état d'âme? Notre cervelle s'adapte décidément fort peu aux nécessités de l'évolution dialectique, trouvant meilleur compte à se vautrer dans la bauge des inerties et des croyances primitives. A tel point que même les furieux retours de bâtons du réel, qui suffiraient à déciller n'importe quel obstination de bourricot, n'ont sur nous aucun pouvoir de raison. Toutefois, je bénis ceux, les plus humbles et les plus clairvoyants, qui ont encore le courage de se battre contre la mécanique de la bêtise et du mensonge, ils sont le dernier honneur de ce qui se proclame encore humain sur cette terre, de ce qui ne se résigne pas à devenir idiot ou fou et que la beauferie dominante désigne avec véhémence comme une horde de malfrats et de terroristes. J'ai quant à moi épuisé mes plus valeureux élans de colère et d'indignation, je n'ai plus assez de traits pour faire mouche et n'en puis mais. Le bruit du monde se fait en moi toujours plus sourd et c'est comme si je m'apprêtais lentement à en quitter les rivages. Amis, je vous laisse, comme Achille, la tristesse et le courroux en héritage, et comme Ulysse, de votre héroïque abnégation, ma plus profonde reconnaissance.

Honorius "Les Portes de Janus" juillet 2024

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Pour rechercher un article

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *

Archives du blog