mercredi 8 octobre 2025

l'auberge du cheval blanc

Je ne sais qui de Dario ou de moi écrit son propre journal ou bien celui de l’autre. En vérité mon ami Dario, qui a vécu il y a déjà bien longtemps sous les traits d'un ange éternel, ou qui peut-être n'a finalement jamais existé tel que je l'imagine, m'est apparu en réve, je ne sais comment, au détour d'un long chemin d'errance, d'une songerie sans considération pour les égards que je croyais encore être dus à l'oubli et à la mémoire. Dario à double tête inversée de Janus en quelque sorte, à cause des tiraillements contradictoires auxquels est soumise, en chaque créature qui a reçu le don de conscience, la nature de l'identité et de l'être.

Tu m'es apparu, disais-je, sous les traits de l'ange éternel, dans la lueur de l'esprit qui veille sur mon repos sans que je songe à lui rendre gràce à sa juste valeur. Certes, tu m'as exaspéré à force de toujours vouloir mon bien, à force de toujours mal exprimer tes intentions ou bien à cause de moi qui persistais à comprendre toujours tout de travers avec cette innocence entêtée de la mauvaise foi. Je te dois mille demandes de pardon pour les offenses que t'ont causées mon défaut de courage et de volonté, oui, surtout mon défaut d'énergie et de volonté. Tout est passé si vite que je me retrouve subitement à cours d'argument et d'excuse recevable. Et puis, toi aussi cher Dario, toi, ton avatar ou ton double, tu es passé trop vite pour prétendre vaincre ma stupide réticence ou bien est ce moi qui n'ai pas su saisir la chevelure du destin au moment opportun. Vois-tu ce n'est pas tant ce que l'on croit du prétendu miracle de l'illumination qui m'aurait aidé à combattre les ombres, que la simple inertie de ta présence dormante et c'est bien là le cœur de mon ingratitude et de ma lâcheté. Cher Dario, est-ce donc possible que tu n'ais jamais été, au-delà de tes fonctions de confident mystérieux, de sphinx dressé à la croisée des chemins, que le reflet de ma propre indifférence?
Écrire comme je le fais presque à perdre haleine, c'est tenter de combler ses absences et surtout, paradoxalement, s'oublier un peu soi méme, revenir à l'état d'une espèce d'indulgence plénière. L'écriture est une pensée qui tente de se structurer pour ne pas sombrer dans la folie, surtout elle est une voix intérieure qui ne vous laisse aucun répit et vous traîne en ràlant dans un jusant perpétuel.
Les neiges de janvier dans la cour de la caserne, le Rhin gelé, les fantômes de brique et de pierre noyés dans la brume, tout criblés des miaulements de l'ancienne guerre... A peine eus-je ôté la bandoulière que je n'imaginais pas être déjà si loin de mes maigres vingt ans. Qu'ai-je su répondre aux impolitesses de cette vie me balottant ainsi de devoir en devoir? À vrai dire je n'ai jamais été trés fier d'avoir préféré l'obscurité routinière au courage effronté devant les balles. Toutes ces années n'ont cependant pas été entiérement perdues, si j'en juge à l'état de mon fonds intérieur, car elles ont au moins servi au travail de conscience. Cela me vaut aujourd'hui ces espèces de mémoires, un peu de caractère et quelques aquarelles d'éternité fugace au fond des yeux.

Dario, tu ne m'auras fait connaître de la vie fort peu des exaltations promises ou que j'en imaginais . Mais, comment t'en vouloir, tout n'est pas de ta faute, aprés tout. Disons que tu fus là aux moments opportuns pour m'indiquer la voie, me suggérer l'orée des bonheurs possibles. Le reste ne fut jamais que de mon ressort.
Si l'on ne dispose pas des moyens de vivre selon ses sentiments, ce qui suppose pour cela des soutiens et de l'aisance, il faut alors vite apprendre a vivre chichement de tout, même de joie et d'amour propre, comme un dromadaire avec les quelques ressources de sa bosse. Cette vie, on voudrait la reprendre du départ avec l'expérience acquise lors de sa premiére mouture pour pouvoir mieux en déjouer les embûches et en prévenir les erreurs, pour la refaire en plus réussie, dirons-nous. Certes on pourrait croire que la vie d'un étre humain est tout de même assez longue pour y faire profitablement ses gammes et ses galops d'essai avant de se lancer dans la grande affaire.
Mais ce genre d'entraînement, hélas, ne permet pas toujours d'éviter les coups du sort et les épreuves malheureuses. Si je pus me piquer, comme Nerval et l'enfant de mon siécle, d'avoir été un peu moi-même "le ténébreux, le veuf et l'inconsolé" je fus surtout l'exécreur viscéral de tout ce qui renifle le relent de l'infamie. 
Dario, est-il possible de faire un dernier ballot des encombrants de la mémoire et de précipiter le tout bien ficelé et bâillonné au cœur du vide sidéral? Il serait temps, Dario, d'y songer avant que la mort ne s'en charge elle même avec tout le reste, si je veux enfin goûter, pour le peu de temps qu'il me reste, aux rogatons d'un doux repos et me dire enfin, comme mes frères d'Italie: "Pérò si vede il mare, non stiamo cosi male".

Dario, quand je ferme les yeux, je revois souvent l'enseigne "Im weissen Röss Gasthaus", cette universelle auberge et logis du cheval blanc, blanc à cause, croit-on, du bon augure de sa robe immaculée; je revois aussi la Zwingenbergstraße des faubourgs de Mayence, et, au son des grelots, les routes enneigées de la Forét Noire. L'air frais et humide des allées forestières, la coupe bleutée des montagnes, le cours verdoyant du Neckar offrent des tableaux si romantiques qu'ils sanctifient les rêves de diligence. Il ne saurait d'ailleurs y avoir de vrai voyage pittoresque autrement qu'en diligence. J'avais d'ailleurs pour seul viatique, si je puis dire, une pauvre pelisse, une chemise élimée et quelques liards en poche, gagnés besogneusement, mais cela suffisait à entretenir mes belles espérances. Ajoutez à cela que la pauvreté faisant parfois prendre d'heureuses initiatives, vous aurez avec un peu de chance de quoi vous ménager de belles expériences humaines et esthétiques. Quand l'inspiration me guide sur les vieilles routes de l'Odenwald, je suis à la fois Firiedrich et Rückert, s'il me conduit dans l'azzuro italien, je deviens Lamartine et Leopardi, plein de cette curiosité de l'étudiant et de l'élève artiste. Oui, la vie exaltante et rêvée est un  voyage en diligence où chaque étape vous conduit toujours plus profondément sur les traces du mystère. Vois-tu Dario, je dois être  un peu à ta ressemblance,  j'ai toujours eu le goût des images d'Épinal, des estampes bucoliques et des chaussures à guêtres, de celles que l'on chausse pour les pélerinages.
Quand je revois en imagination cette terrasse au bord la mer où une musique divine répand par la baie ouverte son doux ravissement, je désire ne connaître rien d'autre de ce lieu que ce que mes sens en perçoivent dans ce moment présent, rien d'autre, dans toute sa plénitude, que la magie harmonique du son et de la lumiére.  

Dario, cette vie aura été une lutte continuelle entre l'aspiration au meilleur et la crainte du pire. Entre ces deux horizons la course de mes jours, si elle ne fut pas occupée à de grandes aventures, au moins ne se sera pas consumée en de vaines ambitions. L'ambition est une forme d'aliénation à laquelle j'aurai toujours été réfractaire. Qui a dit, est-ce toi Dario, que mieux vaut le cours d'une paisible médiocrité, inquiète de quelque bon sens et sagesse, qu'une vie rongée par le fiel des passions. Le spectacle de l'agitation des hommes n'en donne souvent pas une fière idée. Incapables de se contenter du meilleur dont ils peuvent paisiblement jouir, ils sont possédés par la fièvre du "toujours plus". L'obsession de la "croissance" est leur grande affaire. Il n'y a d'ailleurs pas eu, dans l'histoire de l'humanité, de mot plus durablement destructeur des étres et du monde que celui de "croissance", auquel nous pouvons ajouter celui de "productivité" qui lui est idéologiquement attaché. Cette idéologie funeste de la croissance est l'héritière directe des injonctions de la Genèse et il n'est pas étonnant de constater que partout oû cet économisme missionnaire s'est répandu, la mort, l'oppression et les destructions aient accouru à sa suite.  L'histoire de l'humanité  est en effet l'histoire d'un monde de cupidité et d'accaparement sans fin dont le cycle tangue tragiquement vers sa propre perdition. Qui a pavé la voie vers un tel naufrage et qui chàtier pour l'expiation de ces crimes? Dario, sauras-tu, saisissant la flamme de mon courroux, donner pour moi du bàton à ces coquins et aux fils de ces coquins qui ont permis les laideurs de ce monde?
Nul ne connaît le sens métaphysique de la vie en elle méme au sein de cette scénographie prodigieuse de l'univers, mais pour autant chaque vie a le sens qu'on lui donne, n'est-ce pas ce que tu m'as enseigné Dario? Tu étais là à mes prémices en la carriére  pour me désigner les sentiers et le chemins qui s'ouvraient sous mes pas, ce réseau de choix possibles que l'on nomme la destinée. Celui-ci ou celui-là? En ai-je seulement gardé souvenance? Il s'en faut de si peu pour faire fausse route que c'en est souvent pardonnable. Et quand on s'en rend compte, il est parfois trop tard pour rebrousser chemin. En vérité, est-il jamais trop tard? Pour toi Dario, qui est le maître du temps, rien n'est jamais trop tard, contrairement à moi qui touche au terme du parcours.
A quoi bon désormais me quereller à savoir qui a tort et qui a raison? Mes croyances et mes préférences sont incompatibles avec celles de beaucoup d'autres de mes semblables, mais qui d'entre nous doit avoir nécessairement raison? J'ai toujours tenu en basse estime celui qui donne la mort aux créatures pour son bon plaisir. Et celui-là me le rend bien à cause de la défense que je prends de sa victime. Il me traite de fou et de faible parce que je ne partage pas sa haine et sa fureur. Et moi je le traite d'ignorant et de bougre car il est insensible à l'idée que je me fais de la sagesse.  Alors à quoi bon en effet se quereller. Il faudrait tout simplement, je l'ai déjà mainte fois invoqué, deux mondes pour réconcilier ces antagonismes, un que l'on laisserait à ceux qui tuent, qui pillent, qui empoisonnent, qui déshonorent et qui souillent, un autre pour ceux qui s'attachent humblement à préserver la pureté et la dignité de la Création. J'exécre la notion fantasque et irraisonnée d'"élu" de Dieu ou de la Providence s'agissant de prétendue prédestination individuelle ou collective. Voilà bien une arrogance en tout point insupportable à l'intelligence, aussi peu appropriée à la nature de notre humanité que les fantasmes de la noblesse héréditaire ou de la royauté de droit divin. En vérité, tout n'est affaire que de choix dans la maniére de considérer le monde qui nous entoure,  les êtres, les choses et la terre. Le choix de les respecter ou de les haîr, de les honorer ou de les calomnier, de leur conserver la vie ou de la leur ôter, voire aussi le choix d'être indifférent à tout, au bien comme au mal, ce qui est la marque d'un certain abrutissement.
Tu sais tout cela Dario et tu sais aussi qu'il y a bien longtemps que j'ai fait le choix qui me vaut tant de frustration et d'inimitié, du meilleur contre le pire. Car l'aspiration au meilleur rend souvent intransigeant, elle n'accepte pas de compromis avec ce qui nous hérisse et nous horripile. 
Vois-tu Dario, on pourra légitimement en vouloir à cette pauvre humanité, outre mille calamités, d'avoir ruiné la paix bucolique. La paix bucolique, avec les lueurs de l'Espérance, entretenait la pureté du coeur.  Ce qui manque encore le plus dans ce désert accablé de science et de savoir c'est un peu de finesse de l'intelligence, d'intuition des langages secrets du monde.
Nous possédons tous en nous des souvenirs, des traces de ces secrets. Nous, tes enfants, nous les avons cherchés tant d'années et tant de dimanches passés avec toi, par tous les temps, tout au bout de ces pays barbares.  Tu avais l'âme des sorciéres tutélaires, le génie invocateur de la terre et tu as accompli des prodiges. Les champs dorés de Campanie sont revenus te héler dans les collines sauvages du Vercolon, où s'est enracinée la magie de ce rêve sans fin de l'unique enfance, de l'unique paradis qui fut jamais. Et alors que le temps fuit, ou plus exactement, Mère, alors que doucement  je m'en vais à mon tour, je m'imprègne à chaque instant de ton invisible présence, du souvenir de ce farouche désir de bonheur qui irradiait ton ciel intérieur. Et après que je fus en Toi le miracle innocent de la vie, je garde de Toi dans toute leur violence d'obstination, les échos d'un rêve fabuleux. Hélas Dario sur quel chemin mes pas me portent-ils désormais,  désormais que le jour déclinant s'apprête à me précipiter dans les frayeurs de la nuit? J'ai assisté, Mère, autant que j'ai pu, tes derniéres années d'abandon et de désespérance, ta parole muette oû je lisais tant de stupeurs éplorées et de cris de douleur. Il a fallu, enfin,  que ce fil si précieux et si ténu se rompe sans que ma main soit là, blottie dans la tienne, pour te retenir encore, jusqu'au dernier instant de ton agonie, à la frontière des ténèbres. 
La forêt des Cèdres s'étend à l'horizon vers où nous cheminons et culmine, à en croire la plus ancienne foi de notre humanité, au séjour d'éternité. C'est un long voyage que l'on doit accomplir à pied, comme sur la route de Compostelle, un trés long voyage de plusieurs mois, digne dune initiation lustrale. Trois mois, cela peut être trés long pour celui qui se soucie fort peu d'admirer le paysage. Heureusement que pour les héros pressés tout autant que pour les voyageurs de commerce, il existe certains moyens de sorcellerie bien pratiques, comme de grandes bottes de sept lieux par exemple et même plus, lesquelles peuvent couvrir le trajet en trois jours ou quelque chose comme cela. C'est dans ce cas la magie opérant sur le temps, le cœur synthétique du voyage, sans égard pour le bonheur méme que procure l'expérience esthétique du chemin.
J'ai retrouvé comme relique de mon passage à cette auberge du Cheval Blanc, la note qu'il a fallu imanquablement honorer pour avoir fait chère lie entre ces escholiers que nous fûmes jadis, assis sur les mémes bancs, à savoir sires Michel, Claude, Patrice, Marc et certain autre dont j'ai hélas perdu le nom. L'auberge se situait au cœur d'un bourg perché au dessus des brumes que nous avions longées de haut ce soir d'automne sur la belle route grimpante. Je dis "belle" bien que ladite route n'y fût pour rien. Car il n'y a plus guère de beau aujourd'hui et c'était déjà vrai au temps de ces modestes frasques, que ce que la nature nous offre encore d'elle même sans que la main douteuse de l'homme y prenne quelque part. Et le point de vue depuis cette route, donc, était superbe. Je me souviens d'ailleurs trés précisément que le spectacle qui s'offrait à nos regards m'évoqua le mot de "dantesque" pour décrire la houle crépusculaire oû se tordaient des remous de cotonnades livides et des écumes d'encre et de cuivre. Nous formions une belle tablée dans ce logis des plus pittoresques aux allures quasi montagnardes avec ses épais parements rustiques et ses basses solives de chêne, ses trophées empaillées accrochées aux trumeaux et, crois-je me souvenir, sa cheminée fumante et ronflante comme une bouffarde allemande. Dehors, derriére les fenêtres à petits carreaux, comme on en voit dans les pays de froidure, la dernière lueur blafarde se dissipait dans le ciel noir. À la fin du repas le patron nous fit la grâce de quitter ses fourneaux pour s'asseoir à nos côtés et nous servir lui méme la goutte.
J'aime ces auberges improbables aux confins du jour déclinant, comme une dernière étape sur le chemin de l'aventure. J'aime aussi le soir, l'orée flamboyante de la nuit où glissent des remous étranges et des frissons de mystère. 
On attribue aux sages et  aux poètes la croyance selon laquelle la vie est une aventure, que la pensée méme est une aventure, que notre destinée humaine n'est pas une destinée seulement matérielle. On pourrait dire cela, somme toute de toute chose sensible en ce monde. A l'heure où la sonde interstellaire Webb explore l'abîme infini du Cosmos, que savons-nous de plus, que savons- nous de mieux de notre nature profonde, depuis les tablettes de Sumer? L'homme voyageait déjà dans la carte du Ciel et le sens de son existence était déjà inscrit dans l'épopée de Gilgamesh (Ce Gilgamesh, était-ce déjà toi Dario?). Au reste, comme disait Cioran, l'homme d'aujourd'hui n'est sans doute pas mieux renseigné sur sa position métaphysique que ne le fut le premier de son espèce. L'important n'est, de ce point de vue, pas tant d'accumuler des savoirs comme des sacs d'écus que de se pénétrer du sens de l'existence par d'autres voies d'immanence. 
La matiére n'est pas tout l'objet de la connaissance et le savoir lui-même n'est pas toute la connaissance, car le monde contient bien plus de magie que tout ce qui nous sera donné d'en formuler, et comme disait la regrettée Jane Goodall, il contient plus de "vérité" que ce dont la" science dominante" peut rendre compte. Ce sont des profondeurs de l'invisible que s'élèvent les richesses infinies de la vie,  dans leurs élans de perfection et de plénitude, en pleine lumière. Cette lumière, nous pouvons la garder fièrement dans notre coeur, elle nous conforte aux heures d'accablement comme elle nous transporte à celles de l'heureuse espérance. Elle est notre extase éblouie, notre foi invaincue dans le bonheur, l'intuition de l'âme éternelle. 
Crois-tu Dario, que l'on puisse aussi se lasser des visions du Paradis, qu'il n'est rien de plus ennuyeux au fond que l'idée de l'éternité et de l'infini? Lorsqu'au moment venu tu fermeras mes paupières, j'aurai emporté avec moi, égoîstement, toutes les réponses., oui, égoïstement, car les morts, je suppose, sont avares de leurs mystères. Vois-tu Dario, la terre où je respire encore avec peine parmi tant de convulsion et de tumulte, n'est plus une terre, mais un corps, un lambeau meurtri et ulcéré. Je n'aurais pas imaginé que l'être humain eût renoncé avec autant de lâcheté à honorer tout ce que ce monde contenait de beauté et de splendeur. Oui Dario, tout se resserre autour de moi, tout m'empoigne et m'étouffe, et tout m'exhorte à l'exil. Que dis-je l'exil? à l'évasion, à la fuite plutôt. Quel délice, mon Dieu, de prendre enfin congé de cette chose infâme que sont les œuvres corrompues de l'homme, de l'homme déchu. Et puis, vois-tu Dario, je sais maintenant qu'il n'y a pas d'autre diablerie que le temps qui passe et surtout celui qui est passé. À ce propos, je ne sais si c'est toi que je rencontre parfois au hasard de mes rêves mais cet être ressemble étrangement à ce fantôme de moi-même, ce moi-même d'il y a bien longtemps, dans l'auberge du "Cheval blanc", éternelle étape de l'éternel voyage. 

Honorius - le 8 octobre 2025


mercredi 1 octobre 2025

Rien ne sert de courir

 Rien ne sert de courir!

Les Epepiens que nous sommes peuvent légitimement se poser quelques questions, et voyez vous, je me les pose, en tant qu'Epepien, certes, mais surtout et avant tout en tant qu'être humain ordinaire, l'un et l'autre semblant toutefois assez proches.
Que sont devenues les coccinelles qui gîtaient dans nos jardins, les papillons qui palpitaient dans les prairies et les hirondelles, les mignonnes arondes, dont les ballets striaient de cris joyeux le ciel d'été? On dirait que la nature se dépeuple peu à peu de ses hôtes familiers, que la nature perd ses bruits originels, qu'elle devient veuve de toutes ses fidélités qui constituaient tout simplement la vie! Nous estimons qu'en vingt ans les trois quarts des insectes volants dont de multiples polinisateurs ont disparu de la surface de la terre, nous savons que le monde animal sauvage, toutes espèces confondues, s'achemine vers une extinction de masse à cause des activités destructrices et polluantes de l'être humain.
On prête à Seattle, le chef des Duwamish, la parole suivante: "Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se tiennent. " Plus d'un, dans ce Landernau de malheur, devraient mettre à profit le peu de temps qui reste pour méditer cette mise en garde. Cela leur permettrait au moins, à défaut de sauver leur peau, de mourir un peu moins cons.
Mais il faut ajouter à cet immense désastre de l'extinction des espèces, les menaces dévastatrices des pollutions planétaires et les conséquences dramatiques du changement climatique. Cette fiesta est due pour l'essentiel à l'emballement des activités industrielles depuis le milieu du 19ème siècle qui meurtrissent et chauffent la planète comme une bouilloire.
Mais qu'avons nous à répondre à cela? Nous n'avons même pas assez d'esprit pour élever notre conscience au-dessus de notre condition d'infamie et pour venir enfin à résipiscence. Si bien que nous continuons obstinément, par nos actions et nos activités criminelles, de déshonorer ce qui nous reste collectivement de dignité humaine. Nous mettons continuellement du coeur à saloper et à détruire ces choses tellement précaires que sont la vie et la beauté de la terre. Et quand je dis nous, je désigne cette force aveugle de l'humanité en marche, celle qui en France par exemple, considère qu'il n'y a toujours pas assez de terres à bétonner, de rivières à polluer, de forêts à déboiser, de profits à cumuler sur la douleur et la misère. Et toujours pour les mêmes excellentes raisons: la croissance économique, le désenclavement, la compétitivité. Ah la compétitivité! Imagine-t-on seulement les quantités effroyables de ravages perpétrés sur cette terre au nom de la compétitivité!!
Mais les choses bougent, croit-on savoir: Deux organismes publics de Santé (Santé Publique France et l'Anses ) viennent de publier les résultats d'une étude sans précédent sur l'exposition des riverains aux pesticides de zones viticoles (Pestiriv). Cette étude a permis de faire une trouvaille extraordinaire à savoir que "Les personnes vivant près des vignes sont plus exposées aux produits phytopharmaceutiques (terme techno pour le poison) que celles vivant loin de toute culture". Il fallait bien des années de recherche pour en arriver là, devant cette grande porte ouverte et s'aviser benoîtement que les régions viticoles ne sont plus, depuis des décennies, que des terres irrespirables et empoisonnées. C'est dire le peu d'empressement que nos sociétés (et surtout nos dirigeants) mettent à poser l'évidence et encore moins à agir.
Car dans ce domaine, comme dans tant d'autres, rien ne sert de courir! Qu'importe si nous sommes déjà tous morts ou agonisants, du moment que le Cac 40 se porte à merveille.!
Vive l'EPEP!

Honorius - le 1er octobre 2025

dimanche 10 août 2025

Pauvre comme Villon

Ne plus se réveiller, un matin, comme ça, serait l'option la plus raisonnablement admissible pour une tombée de rideau. On n'imagine pas à quel point, rouvrir quotidiennement les yeux sur la canaillerie de ce monde, quoi qu'en disent les patelinades de la raison, est devenu une sorte de scandale contre l'intellect. La misère de la pensée est absolument redoutable lorsqu'elle est associée à l'arrogance péremptoire de l'autorité et du pouvoir. On voit cela partout dans la vie sociale, institutionnelle et économique et surtout en politique. Le résultat en est des plus pernicieux car il introduit le doute sur les capacités de notre propre intelligence face à celle des petits monarques.
Mais cette arrogance du pouvoir étant une réalité aussi permanente que l'essence de la bêtise, comment espérer échapper à cette coalition de vanités aux effets si néfastes à notre intégrité morale? Pourrait-on espérer que la bêtise, à force d'enfler de grenouille à bœuf, et de comprimer cet espace aussi réduit et confiné qu'est la société humaine, puisse finir par s'auto-détruire sous l'effet d'une sorte d'explosion? Assurément cela ferait entrer un air frais et neuf par les trous béants de la déflagration.  Mais l'on sait que le naturel revient toujours au galop et que la bêtise, comme, du reste, l'amour du pouvoir, sont ce qu'il y a de plus naturellement présent dans nos constitutions humaines. Une fois chàtiés, ils se reconstituent aussitôt.
Mais lorsque la lassitude gagne nos vies et énerve nos volontés de résistance, alors il faut céder le pas en tout pour que plus rien n'ait prise, lâcher la corde qui nous retient au sol pour s'envoler comme une baudruche ou plonger dans les profondeurs comme un poids mort. Il serait tellement beau et satifaisant d'apercevoir les derniers feux de l'enfer grésiller tout en-dessous ou tout en-dessus, selon l'axe quantique de référence. Oh combien il serait doux d'accepter que plus rien n'existe, reposer enfin dans ses propres cendres.
Nous avons abondamment parlé de l'art dans le processus de rédemption, au même titre que de l'exercice de la pensée dans celui de l'élévation morale. L'un et l'autre sont comme la catharsis de notre condition peu reluisante. Je vois l'art comme un outil d'exploration des dimensions les plus intuitives, les plus secrètes du réel. Le réel possède en effet des prolongements invisibles et indicibles dont la perception exige de se départir de l'esprit de lourdeur qui entrave habituellement nos facultés dialectiques. L'art nous rapproche de la vision de l'absolu, c'est à dire de la dimension quantique. On sait ce que nous apporte l'art dans notre enrichissement spirituel par sa capacité à nous faire recevoir pleinement le monde. Il y parvient à force de persévérance et d'application en illuminant le cerveau de successions de fulgurances ou de visions, parfois même jusqu'à atteindre la totalité métaphysique du Bouddha mais ce qui vaut au sujet qui en est imprégné une sorte d'immobilité proche de la momification tel qu'on a pu le voir chez certains yogi Indiens en fin de carrière.
Mais je veux croire que je ne suis ni dupe ni même importun. Comme du Bellay, que je tiens en sainte estime et admiration pour avoir créé l'oeuvre qui m'aura toujours échappé, j'éxècre mes imperfections tout autant que je hais celles des hommes, cette grouillerie organique dont l'emprise resserre son cercle jour aprés jour, jusqu'à devoir m'écraser la poitrine, et étouffer mes derniéres bonnes résolutions. . "Il cercolo di dolore che stringe il petto", disent les Italiens. Un vrai cauchemar. Je suis fou ou bien trop lucide, je ne sais. Montaigne dirait que c'est tout un. Je sais que tout ce que j'ai aimé sur cette terre sera bientôt détruit par leur inconséquence, car leur détestation du Ciel les a rendus comme des bêtes écervelées, sans joie, sans amour et sans finesse. Il n'y a qu'une espèce d'homme cependant qui mérite actuellement mon plus grand respect et devant lesquels tous les prétentieux , les potentats, les oligarques de tout poil, les corneculs pleins de morgue et de jactance, qui croient avoir des idées originales, des visions fortes et des pensées subtiles, devraient en rabattre et s'incliner: ce sont ces êtres inégalables, héroïques, tragiques, qui, par serment, devoir de conscience, je dirais surtout par amour infini de leur prochain, se vouent corps et âme à secourir la détresse humaine: Les médecins dans l'enfer de Gaza!! Oui messieurs! Meurtris, exténués, alors qu'ils sont eux-mêmes dépouillés de tout, ils donnent tout de leurs personnes, à chaque instant au risque de leur vie. En voilà au moins qui ne seront jamais du camp des minables et des salauds.
Ne plus se réveiller le matin sans avoir à se lamenter sur l'immensité de cette violence et de ce gâchis infâme, cela s'appelle prendre une bonne résolution, aussi ferme et drastique qu'un régime sans glucide ou que l'arrêt du tabagisme. Car que peut-on contre un monde qui nous méprise et une fatalité qui nous écrase? Le mieux, je le crains, est encore d'enfouir ses rancoeurs et ses indignations et de garder, contre les vociférations, le silence d'un ermite norique. Et puis, quand une gifle nous cingle, nous imprimant ses cinq traces violettes sur la joue, (en faisant valdinguer, si l'on en chausse, la paire de lunettes de l'autre côté de la pièce), le mieux là encore est de faire patiemment le mort, attendre que le bourreau se lasse, nous oublie quelque temps et nous laisse dormir. Laissons leur détruire ce monde, si ça leur chante, aprés tout, il finira par s'effondrer sur leurs têtes de bougres et tout sera dit une bonne fois pour toute. Il faut voir la prophétie de l'Apocalypse comme la promesse hygiénique d'une bonne purge, voilà tout.

Las, un messager de l'au-delà viendrait demain me signifier mon terme, que je ne verrais pas de gros inconvénient à céder la place, à quitter cette vie, comme disait Montaigne, sans peur et sans passion, de la même manière que j'y suis entré. En vérité, rien ne me retient plus ici bas, ni par le fil de la joie, ni celui de l'espérance ni méme celui du désir. Ceux qui me sont chers et proches ont déjà accompli leur destinée ou bien y sont déjà bien avancés sans qu'il soit besoin de leur éclairer la marche. Le monde? Je l'ai glorifié et lui ai rendu tous les hommages. Mais tout y est déjà si plein de noirceurs que je n'ai plus les ressources d'y voir autre chose que ce qu'on en a fait. J'ai renoncé à l'espoir d'y trouver jamais la paix à laquelle j'aspire. Méme là oû je croyais encore terminer discrètement mes jours tout me signale que je suis devenu de trop . Alors, il ne me reste plus plus qu'à fermer les yeux, me laisser lentement glisser dans le sens de la sortie, et, enfin libre et délesté de tout, pauvre comme Villon qui disparut on ne sait où, aller trouver mon paradis ailleurs.

Honorius/Les Portes de Saturne/ le 10 août 2025


dimanche 27 juillet 2025

Ver sacrum - Le printemps sacré

Petit mémoire sur le phénomène du "Printemps sacré" en latin le "Ver Sacrum", susceptible de nourrir divers prolongements philosophiques. Ce fait culturel et historique est très peu connue en France, mais sans doute beaucoup plus en Italie. Divers prolongements philosophiques, disais-je, tels que l'idée générale du printemps, de la renaissance et du renouveau peut en inspirer depuis le terreau de notre longue tradition dialectique. Renaître à un nouveau corps régénéré ou toucher à l'infini par la conscience de l'éternel retour, cela peut donner lieu, soit dit en passant, à de bonnes résolutions, comme celle qui consisterait à perdre les quelques kilos malheureusement pris après avoir arrêté de fumer. Ou bien encore l'intention de jeter définitivement aux orties ses anciennes névroses pour un monde meilleur. Voilà bien un sujet requérant nos plus fermes capacités mentales.

Mais allons à notre sujet:

Le Ver sacrum (le printemps sacré) est une pratique migratoire caractéristique des populations pré-romaines connues dès le VIIIème siècle avant JC dans l'Italie Centrale, et appartenant au groupe ethno-linguistique dit "sabellien" ou "sabellique" (osque, ombrien, sabin, samnite, notamment).
Ce groupe provient de la deuxième vague de migration indo-européenne dite "italique" ou "italiote" et qui trouva une péninsule italienne déjà entièrement occupée, non seulement par des populations pré-indo-européennes ou italiques plus anciennes et mal connues, mais aussi par les civilisations étrusque* alors à son apogée (de la Cisalpine à la Campanie) et grecque (régions côtières de l'Italie méridionale). De ce fait ils durent se contenter des montagnes, régions arides et pauvres. Ce sont donc avant tout des éleveurs, ignorant la société des villes, à la religion animiste et magique, voire totémique comme en témoignent l'adoration du pic, du loup, du serpent, ainsi que leurs chants sacrés mystérieux et rythmés, les "carmina" (cf la République Romaine - Collection Que Sais-je).
Une de leur coutume, le "ver sacrum", lien entre terre et spiritualité, nous est connue par un petit nombre de textes qui nous sont parvenus d'historiens de l'antiquité gréco-romaine (Varron, Strabon, Denys d'Halicarnasse, Plutarque, Appien, Festus). Festus nous en donne une espèce de définition générale: "C'était un usage des Italiques. Lorqu'ils étaient entraînés dans de grands dangers, ils faisaient le voeu d'immoler tous les êtres vivants (animalia) qui naîtraient chez eux au printemps suivant. Mais comme il semblait cruel de tuer des garçons et des filles innocents, lorsqu'ils étaient parvenus à l'âge adulte, on les voilait et on les conduisait ainsi hors du territoire national."
Cette pratique migratoire résulte donc d'une offrande faite par une communauté au Dieu de la guerre Mars* (Mammers des peuples italiques en langue osque) du "printemps" d'une année, c'est-à-dire tous les enfants nés dans l'année, à l'occasion d'une calamité agricole le plus souvent. Ayant atteint l'âge adulte le groupe de jeunes gens, considérés comme sacrés, est alors contraint de quitter la communauté en quête d'un nouvel établissement. Un chef de guerre, nommé "Dux" (de ducere, conduire), est placé à la tête du groupe lequel est guidé par un animal envoyé par le Dieu, tels le loup, le taureau ou le pic-vert. Ce rite migratoire a pu être, sans qu'on en ait la preuve, un substitut à l'immolation, pratiquée primitivement
En ce qui concerne les Samnites, la tradition nous a été rapportée par Strabon, historien grec installé à Rome (68 avJC -23 ap JC) dans un récit assez circonstancié. Un groupe de Sabins fut conduit par un taureau en Campanie, au pays des Opiques (anciens habitants issus d'une première vague italique) où il fondèrent le peuple samnite. Le taureau s'arrêta à l'endroit où fut fondée la cité de Bovianum (aujourd'hui la commune de Pietrabbondante dans la province de Molise au nord de la Campanie).

Principaux peuples concernés par le ver sacrum:

Les Samnites ci-dessus

Les Hirpins (de hirpos, le loup, en langue osco ombrienne) cités par Strabon. Peuple issu des Samnites. Guidé par un loup, ils s'installèrent dans la province d'Avellino en Campanie, dans une région montagneuse appelée encore aujourd'hui Irpinia. Il furent soumis par le Romain Sylla en 89 av JC, qui s'empare de leur cité Aeclanum. Autre villes, d'après Ptolémée et Pline: Aquilonia, Abellinum (Avellino), Aequum, Tuticurn,, Beneventum, Caudium, Trivium, Compsa

Les Picènes originaires des Marches migrèrent en bordure de l'Adriatique, dans la région d'Ancône, conduit par un pic

Les Dauniens, peuple installé en Apulie conduit par un loup (mot d'origine phrygienne) ou un chacal (mot d'origine grecque) l'un et l'autre étant la racine commune du nom des Dauniens.

Les Frentans, peuple samnite, guidés par un cerf

Les Ursentins , guidés par un ours jusqu'en Campanie du Sud

Les Marses, supposés issus d'un ver sacrum d'après leur nom associé au Dieu Mars

Les Mamertins, peuple samnite, vouèrent un ver sacrum pour conjurer uné épidément. Migrèrent de Campanie en Sicile, à Messine.

Les Lucaniens, peuple osque installé au sud de la Campanie et en Calabre

D'un point de vue historique, le ver sacrum correspond très nettement à un processus d'expansion générale des peuples de la chaîne centrale vers les plaines littorales au sud en Campanie le long de la mer tyrrénienne et à l'Est le long de l'Adriatique avec les Picènes. Cette expansion entraîne le recul de la présence étrusque et grecque dans les plaines de Campanie. Les historiens modernes minimisent l'ampleur du ver sacrum dans le peuplement successif de l'Italie méridionale par les Samnites, lequel obéit certainement à d'autres dynamiques plus prosaïques touchant à la démographie et à l'environnement. En effet, la vision de ce phénomène rituel a été sans doute exagérée par l'effet de son fort symbolisme identitaire dans l'histoire des origines.

A noter que l'animal "guide" se rencontre également chez les Grecs. C'est la colombe d'Apollon qui guida les premiers colons grecs , venus de l'île d'Eubée, dans l'actuel golfe de Naples où ils fondèrent la ville de Cumes vers 725 av JC
Chez de nombreux peuples du monde (Amérindiens, Européens, Sibériens), le loup et le chien sont également des "psychopompes". Ils guident les âmes des morts dans l'au-delà. Le loup a également une fonction éducative. Dans la mythologie des Algonquins (Canada), il leur enseigna la chasse. Dans la mythologie des Indiens Pieds Noirs (Alberta et Montana), c'est le loup qui recueillit l'homme dans sa meute pour le sauver du froid et de la faim.
N'oublions pas la louve qui recueillit Rémus et Romulus, enfants, les futurs fondateurs de Rome.

*Le Dieu Mars (Arès chez les Grecs) est à la fois le Dieu de la guerre (le ver sacrum étant une expédition guerrière) et le premier mois du printemps, temps du renouveau. Chez les peuples sabelliens, le Dieu Mars est également une divinité agraire avant de devenir uniquement le Dieu de la guerre une fois qu'il sera devenu romain.

*On a traditionnellement attribué aux Etrusques une origine située en Asie Mineure mais ils pourraient aussi bien avoir une origine autochtone dès l'âge du bronze, plus de mille ans avant JC.


26 juillet 2025

jeudi 17 juillet 2025

Adieu Cerise

 


Cerise, petite chatte orpheline, a été recueillie dans les jardins du Popey le 17 juin dernier. Nous comptions sur le rôle qu'aurait pu jouer Caramelle, jeune chatte adulte, pour lui assurer le substitut d'amour maternel qui lui manquait et la protection qui lui était nécessaire. Hélas, Caramelle, ignorant tout de l'expérience de la maternité, a considéré la petite Cerise comme une intruse, et, sans pourtant se montrer agressive à son encontre, ne noua aucun lien de proximité et d'affection, et préféra s'éloigner de la cabane pour aller faire sa résidence, plus haut, dans les recoins de la "carrière". 

Je l'avoue, j'ai éprouvé personnellement beaucoup de peine à voir cette toute petite créature sans défense, livrée à elle-même. Je pensais à la terreur qu'elle pouvait éprouver seule, la nuit, dans la cabane, à ces errances inquiètes dans les grands jardins du Popey. Toutefois, nous avons tous été présents quotidiennement pour entourer Cerise de nos soins et de notre plus belle affection. Nous avions tenté de la rapprocher de Caramelle au moment de servir la pâtée et cette expérience semblait marquer quelque début de progrès. 

J'aurais aimé faire de belles projections d'avenir pour cette petite chatte, souhaité que toutes ces petites détresses qui inauguraient si injustement sa frêle existence fussent bientôt oubliées. Je l'imaginais peu à peu grandir dans ce jardin de soleil, gagner en force et en assurance. Je me disais aussi qu'il faudrait lui apprendre à retenir, dans les jeux que nous avions, l'impétuosité de sa dent et de sa griffe qui commençaient à nous aiguillonner la peau. Oui, chaque journée je lui souhaitais le meilleur, les offrandes de la vie, les promesses du jour, la victoire sur la peur. 

Hier, en fin d'après-midi, à l'heure où je me rendais dans les jardins pour ma visite quotidienne, Roland, alias Astérix, m'a annoncé la disparition de Cerise dans la matinée. Je suis vraiment trop sentimental avec les animaux. Comme je le confessais naguère: "Je m'attache à leur chaleur comme à la chaleur maternelle et quand ils s'en vont, je pleure comme un orphelin." Cerise a quitté ce monde qui lui semblait si immense qu'elle ne savait pas comment le regarder et personne ne pouvait le lui apprendre à la manière des chats. Elle n'avait pour elle que ces grands yeux ronds clairs et magnifiques, livrés à l'enchantement bouleversant de l'Univers. Nous-mêmes, nous n'étions pour elle que des "géants invisibles", dont elle ressentait cependant la présence et les accents de leurs voix, de leurs âmes, comme une source merveilleuse de bonté, de joie, de confiance et de réconfort. 

Cerise a disparu ce mercredi 16 juillet après avoir profité de ce cadeau miraculeux d’un mois supplémentaire de vie à Saint Romain, que la Providence a accordé à ce petit animal qui aurait déjà péri s'il avait été abandonné à son sort initial. Je n'ose pas imaginer les circonstances de sa disparition, sans doute quelque prédateur, un drame dans la nuit. Un mois de vie en rab, un rabiot de vie et de bonheur sous un ciel radieux, pensez-vous, cela n'a pas de prix, quelle aubaine, pour un chat, pour un chien, comme pour n'importe quel bougre d’être humain. Alors merci à vous tous d'avoir offert à Cerise ce moment de Paradis sur Terre. Nous le savons, c'est notre secret, notre espoir, notre bonheur: On ne disparaît jamais vraiment du monde et encore moins des jardins du Popey..

Honorius, ce jeudi 17 juillet 2023


mardi 15 juillet 2025

La montagne sacrée (23): L'homme de pierre (2)

L'Homme de Pierre (1739m) - Haute-Auvergne -  mardi 17 juin 2025


Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre" qui dresse son front minéral, là-haut, très haut, au-dessus des forêts noires, au sommet du Puy Chavaroche. Serait-ce le dernier devoir de ma conscience avant de rendre les armes? Je sens confusément, en moi et autour de moi, un flux sur le point de se tarir, une volonté sur le point de lâcher prise, sans contorsions ni souffrance. Qu'ai-je cherché pendant tant d'années dans cette course altière sur ces antiques promontoires de bruyère et de roche que le vent sculpte en longues chevauchées mystiques? J'aimais me plonger dans le mystère de l'itinérance comme dans la promesse d'un enchantement. Hélas, même ici, malgré les élans de pureté et d'exaltation que nous concèdent encore nos premières adorations, tout finit par être gâté par la lèpre invasive du présent. Mes craintes se vérifient jour après jour comme dans une funeste prophétie. L'homme, avec son mauvais oeil et sa mauvaise foi, se niche partout comme une moisissure, assez stupide pour ne concevoir que la morale du pire dans ses rapports au monde. Je sens partout autour de moi ces désirs de violence et de domination, cette rage de vandalisme abolir la conscience des choses saintes et sacrées, la légèreté miraculeuse de l'être. Partout je ne vois plus que des bornes arrachées de leur hiératisme millénaire, des sols ravagés, des paysages avilis, toutes ces plaies utilitaires que l'impolitesse des peuples avive avec une effrayante obstination. L'ombre de la peur et les fléaux de la convoitise n'épargnent plus la moindre pudeur cachée de la nature ni aucune des retraites magiques de l'enfance. Si je trouve aujourd'hui encore la force de marcher sur ce chemin de poussière, c'est pour recueillir à son chevet les dernières confidences émerveillée du monde : quêter, contempler ce qu'il en reste d'innocente, d'agonisante beauté parmi ce gâchis sans fin, sans plus rien en espérer, avant de disparaître à mon tour. La dernière mission de l'artiste, de l'être sensible, est peut-être de pouvoir s'effacer avec bienveillance, se fondre en souriant dans le regard épuisé du monde. C'est ainsi que je vois le dernier coup de pinceau du peintre et sa palette de rêves enfin posée dans la douceur résignée du soir. Las, je désire ne rien regretter de ma présence éphémère à cette énigme miraculeuse de l'existence, ne rien regretter de mes oublis de l'autre et de l'ailleurs, ne rien regretter des imperfections de l'inassouvi. Je vole encore vers mes dernières échappées, embrassant goulûment les nuées de lumiére. Les infirmités du temps me relègueront peu à peu dans une caverne de pénombre où plus rien de me parviendra des folles prières de la colère et des cris de la guerre. Je m'accomplis désormais en moi-même, bien plus aisément que je ne l'eusse imaginé.
Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre", me hissant par les sentiers abrupts jusqu'aux sommets fabuleux qui relient nos âmes au ciel, leurs élans d'inquiétude à l'espérance de la grande Paix. De là haut se déploient les plis du relief gigantesque que l'on pourrait croire invincible, qui l'est assurément du point de vue de l'inertie physique, mais que l'on sait déjà travaillé, miné dans sa dignité morale et esthétique, par cette grouillerie sournoise, ce phylloxéra de l'écume humaine, qui monte, qui monte jusqu'à vouloir tout engloutir des embruns de jouvence et de la sève primitive.
J'ai encore en moi, tenace, fidèle comme l'honneur, la croyance du pouvoir initiatique, purificateur de l'ascension. Celà tient à la constitution de nos pères qui vivaient constamment au contact de cette épreuve morale qu'impose l'obstination impitoyable de la montagne. Mais je suis bien loin d'atteindre aujourd'hui leur force et leur endurance, l'héroïsme de leur misère et de leur souffrance, car je reviens ici en dilettante, en rastaquouère de l'itinérance sans nul autre souci que de parfaire la délicatesse de mes sentiments.
L'ascension procure la pure émotion, et par elle, je parviens au poème absolu, revivant l'acte de création dans une sorte d'immersion hypnotique de la pensée. J'oublie enfin tout de moi, ma prétendue physionomie dialectique, prêt à me dissoudre dans l'inaudible concert métaphysique, à me réduire à cet ultime atome de jubilation contenant à lui seul toute l'espérance, le vertige impassible de l'univers. En mourant ici et maintenant, je libère l'infini de l'indicible et j'évite, par dessus le marché, d'assister au pire qui arrive.

Chaque pierre, dit-on, a été portée sur ce promontoire depuis la vallée à travers les pentes d'Emblaud, en oeuvre d'expiation, par des humbles, des anonymes qui connaissaient encore la valeur de la dignité. Mais si l'étre humain est encore capable d'espoir de rédemption, de bonté et d'intelligence, qu'en est-il de son espèce égarée, accablée de rêves de destruction? Je vois ces foules qui rient et qui grondent, courant en troupeaux effarés vers des goufres de perdition. Je vois ces incendies d'apocalypse, ces haines scélérates, ces offrandes de violence et de mort et partout la main sacrilège qui profane et qui mutile.
L'enfer s'annonce toujours sur un territoire par les discours mimétiques sur le développement économique et autres ritournelles de ce genre. Le groin des multinationales et des grands groupes financiers n'est jamais bien loin à renifler sans vergogne le fumet de leur prédation. Les premiers signes matériels bien connus accourent bientôt en éclaireurs, établissent des têtes de ponts, pour forcer ensuite toutes les digues. Equipements, infrastructures, aménagements, ce sont les désignations dont on pare avantageusement toutes ces diableries. D'année en année, à chacun de mes retours, je vois la progression des dégâts qu'elles infligent à la Terre, à l'harmonie des paysages. Je ne peux me faire à l'idée que la laideur et le chaos qu'on nous impose avec autant de brutale condescendance puissent constituer un progrès, un motif de contentement et de satisfaction. Mon Dieu, quand en aura-t-on fini avec cette civilisation du pire, avec ce catéchisme pernicieux des promoteurs et des concessionnaires? Quelle est cette soif insensée qui nous a rendu si enragés au point d'anéantir la terre nourricière qui gémit sous nos pieds? Oh dissiper enfin le cauchemar, renaître enfin à la paix et à la félicité du cœur et de l'esprit! Faire rejaillir les sources asséchées, redonner vie aux jardins saccagés et à leur saine abondance, recouvrer le sens assagi du bonheur! Telle sera la tâche de la nouvelle humanité qui vient, encore trop tiraillée, il est vrai, entre la part congrue qui y consent et celle, encore massivement majoritaire, qui ne veut rien entendre.

C'est dire à quel point l'être humain, et dans son prolongement l'être social, est ce que nous trouvons encore de plus ordinairement malfaisant au sein d'un environnement naturel. Les statisticiens appellent cela une "donnée constante". Il n'est d'ailleurs pas moins malfaisant en Haute Auvergne, d'où je rentre de ce dernier voyage, que partout ailleurs. Je crains, de ce fait, de devoir bientôt renoncer à quêter l'amour des belles choses hors de ma province de résidence, laquelle ne vaut de ce point de vue ni moins ni plus que les autres. Alors, pour se prémunir de toutes nouvelles désillusions autant rester, après tout, là où l'on se trouve, à endurer patiemment celles auxquelles nous avons déjà suffisamment affaire. Car s'aventurer, s'évader dans ces lieux censément inspirés n'ayant plus d'autre magie à offrir que les mêmes pauvretés qui font chez nous notre ordinaire n'aura évidemment plus de sens ontologique. Ai-je le tort d'être trop exigeant envers mes contemporains, de n'être attaché qu'au pittoresque et au charme des caractères désuets, de ne voir les beautés du monde qu'à travers le regard exclusif et absolu de l'artiste? Bien sûr, on pourra gloser avec plus ou moins de pertinence sur ce point, critiquer à l'envi mon sens défaillant des réalités matérielles et fonctionnelles, ma méconnaisance des nécessités incontournables du siècle... mais je ne regrette pas un instant les soubresauts de ma conscience car les conséquences de toutes ces dévastations, n'en doutons pas, se vérifieront douloureusement à l'heure prochaine des comptes, l'heure qui, en fait, est déjà là.
Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre", qui, comme Janus aux deux faces, contemple imperturbablement le début et la fin de toutes choses. Comme dit le sage chinois : "le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines. Pour eux les vivants ne sont que chiens de paille". Ce n'est donc pas tant, Dieu merci, le spectacle misérable de la condition humaine, de ses bassesses et de ses forfaitures qui présente quelque intérêt d'être contemplé depuis ces sommets du monde, que celui, réunies dans leur gloire infinie,  des merveilles de la Création. En effet, l'ascension vise avant tout au sentiment du sublime, celui du dépit philosophique et du dégoût prophétique s'éprouve, ce me semble, au long de la descente, au moment de la phase analytique.
Quoi qu'il en soit, nous l'avons dit, nous commençons à connaître le prix terrible de nos errements. La scène pastorale aura brûlé son décor, son ciel et son plancher itou, et il sera alors trop tard, je le crains, pour y réserver sa chambre avec vue. Voyez-vous, là où il n'y a plus de beauté, il n'y a plus de motif de vivre, c'est-à-dire plus de vie digne.
Du Puy Chavaroche, mon regard s'étend à l'ouest sur les crétes qui dominent l'immensité du Bois Noir dont le couvert moutonne depuis les hauteurs de Fontanges et St Projet de Salers. L'œil familier du chaos orographique reconnaît le Roc d'Hoziéres, à l'aspect d'un pain de sucre, Roche Taillade, le Roc des Ombres, en équilibre entre la vallée du Falgoux et celles de la Bertrante et de L'Aspre. Leurs sommités se succédent en arc de cercle dont la perspective se projette, au Nord, dans un poudroiement bleuté, jusqu'au célèbre Puy Violent qui surplombe la vallée de Recusset..
La prairie qui dévale en pente abrupte à mes pieds, dans une immense étendue en forme de cuvette où court le torrent d'Emblaud, rejoint  la frange supérieure du Bois Noir que l'on voit s'effilocher dans un vertigineux contrebas en écume de bronze. La paroi occidentale de la cuvette est une longue épine rocheuse aux côtes chevelus, dominée en son milieu par le Puy d'Orcet, au-delà de laquelle se précipite un deuxième glacis borné par le gigantesque Roc des Ombres et la Brêche d'Enfloquet. On ne perçoit pas d'ici la profondeur de ses grandes pentes d"herbages et de sapinières, auxquelles le ruisseau de Chavaspre, jaillissant du flanc des crêtes, a donné son nom plein de rudesse primesautière. Tout cela m'apparaît, d'où je me trouve, si dérisoirement petit et solitaire que c'en est une vraie poésie de charme et de tendresse. Je devine, éparpillé en confetti entre les mouchetures de bruyères et de genêts avec lesquelles il pourrait être confondu, un troupeau semblant appartenir à la caractérique race des vaches Salers, à peine perceptible dans le lointain. Détail aussi curieux qu'inattendu, je reconnais, minuscule, le petit bouquet de feuillus qui nous abrita des ardeurs du soleil  il y a deux ou trois ans déjà, lors d'une précédente ascension par le Bois Noir. Plus bas, en lisière de forêt, je distingue encore le vieux buron du Rauffet, petite vigie pastorale dans l'immensité de l'estive.
D'en bas, où nous étions alors, nous apercevions le promontoire de l'homme de pierre qui nous semblait encore si loin, si haut dans le ciel, et oû l'on distinguait à peine, en clignant les yeux, de petites silhouettes se mouvoir sur le long sentier de créte.
L'autre face de "l'homme de pierre - Janus" est tournée au sud-est vers la vallée de Mandailles, "vaste et superbe" comme eût dit Gustave Fraipont, d'un pittoresque il est vrai, absolument remarquable qui forme au détour du Puy Mary un immense entonnoir où culminent de multiples gibbosités dont le curieux et surprenant Puy Griou, avec sa forme de cône rocailleux. La vallée de Mandailles, dans son organisation géographique et humaine, est franchement orientée vers le grand Sud occitan en direction d'Aurillac, tandis que celles du Pays de Salers, où nous avons habituellement nos loisirs et résidence, dirigent leur tropisme vers Mauriac et le Limousin.
Ribier du Chatelet* a fait une peinture tout-à-fait exquise des merveilles de cette région du Bois Noir. On y sent vibrer tout à la fois, réunis dans un récit plein de vivacité, de délicatesse et de couleurs, la sensibilité de l'artiste, le sens minutieux de l'observation propre au naturaliste, et l'entrain de l'excursionniste. Je me délecte de ces pages comme d'une poésie tendre et naïve qui parle à l'âme éternelle de l'enfant, au désir inassouvi de paix et d'enchantement. Les cent soixante années et plus qui me séparent de ces anciens tableaux de nature sauvage n'ont rien ôté à leur fraîcheur primitive et les restituent intacts à mon regard. Il est vrai que rien ne change moins qu'une permanence géologique, qu'un paysage de montagne purgé de la présence de l'homme. Seul le manteau des forêts à pu perdre ou gagner, çà ou là, en étendue. Quant au reste, le développement de la civilisation utilitaire en a fait son affaire, il fut un temps pour le meilleur mais davantage aujourd'hui pour le pire. Un peintre contemporain ne restituerait d'ailleurs plus la méme composition des paysages, je veux parler de ces paysages occupés (avec si peu d'égard) par la société humaine. Beaucoup d'intrants jadis inexistants viendraient y faire de fort vilaines et irrémédiables taches au point que je gage que d'ici vingt ans, toute vision poétique (j'allai dire romantique) de la nature ne sera plus qu'une vieille chimère.  Bien sûr, nul ne connaît l'avenir sur ce point comme du reste, mais nul n'ignore non plus que les coteries dominantes qui y fondent leurs intérêts, avec le soutien de leurs idéologues, leurs acolytes et leurs concussionnaires (on appelle cela le "Système"), de cette Terre enchanteresse saigneront jusqu'à la dernière goutte les sources miraculeuses. Hélas, la philosophie de la nature  qui anime tout étre respectueux de lui-même et du principe de dignité en tout être et en toute chose, n'a pas le pouvoir d'éventer ce poison universel qui brutalise tout ce qui sur cette terre coule, croît et vit. Mais se peut- il qu'un jour, non pas la Raison (on voit vers quels désastres et inepties tous ceux qui s'en réclament nous précipitent), non pas la raison, dis-je, mais plutôt l'esprit de lumière, dans sa grâce et sa légèreté, l'emportera comme l'Archange Saint Michel, sur le monstre fétide de la  matière? Qui douterait encore qu'un grand combat de libération morale et culturelle est nécessaire pour régénérer le sens de notre humanité? Au point qu'il s'agit plus que jamais de choisir son camp: Schelling ou Macron, l'Elfe ou l'Orque, Ariel ou Caliban, le chef Seattle ou le général Custer. Il n'y a jamais eu d'autre "pensée subtile" que cette science mystique qui enseigne la voie du ciel et la fraternité cosmique! Le reste vaut bien peu de chose. Les hommes ne suivent plus guère les chemins de la sagesse et ne distinguent plus guère le laid du beau, le sain du corrompu. Cela peut paraître fort obscur et mystérieux mais nous gagnerions à retrouver en nous la culture des choses imperceptibles, des êtres invisibles, cette religion intuitive de l'Unité. Tout l'univers est contenu en nous comme dans l'eau d'un miroir et ce que nos sens en perçoivent est une projection de notre propre intériorité. Nous sommes nous mêmes emplis d'infini, ce que le Sage appelle Le "Vide Parfait" ou, comme nous dirions en Occcident, "l'Esprit". Certes, ce Vide n'est pas le néant stérile, sourd et aveugle oû rien n'entre et d'où rien ne sort, car comme disait Lao Tseu, le Sage en question, , "il est empli de l'inépuisable",  il est la porte du ciel et de la terre, l'origine de tout ce qui est. C'est de son essence insondable, comme d'une paix immense, que nous cherchons à être pénétrés en montant toujours plus haut sur le sentier de l'Eternel. La montagne est une métaphore utile car elle donne la représentation d'une volonté, d'un effort pour accéder à un état supérieur.
C'est ainsi que chaque homme, chaque femme devrait faire l'expérience de quelque chose qui ressemble à l'ascension du Puy Chavaroche, de préférence, pour ceux qui en auront le loisir,  à partir du col de Légal en suivant les crêtes de Cabrespine et de Cassaïre. C'est assurément une des plus belles excursions à travers les montagnes de Haute Auvergne, un des lieux magiques oû il vivra totalement l'expérience du Vide inépuisable, cette sensation d'infini et d'ivresse spirituelle qui vous plonge avec jubilation et volupté dans  l'âme cosmique, la puissance du flux universel. Combien de temps jouirons nous de ce qui reste de beauté en ce monde qui n'a pas encore été détruit?
La guerre, le chaos climatique, la famine, la folie nucléaire, les multiples calamités sanitaires et écologiques dont l'étre humain est si friand et si prodigue, nous voyons que les motifs et les causes ne manquent pas. On pourrait même les regrouper sous l'appellation collective des "prodiges de la bêtise". La bêtise a de multiples visages, on le sait. Elle niche comme ces colonies de mites sur toutes les étagéres de nos institutions. De ce fait elle n'affecte pas seulement les différents types de bougres et de rabougris sans boussole cognitive, les lourdingues du premier degré en quelque sorte, mais aussi tous ces spécimens sociaux prétendument bien éduqués, qui se signalent souvent par leur "trés bonne situation", comme dit mon amie Arlette et dont les mines arrogantes ou rougeaudes ont sans doute fort peu muté depuis les portraits qu'en firent nos moralistes latins. Si encore tous ces bêtes-là étaient inoffensifs, on pourrait sans dommage en rester au fabliau et à la comédie de moeurs. Mais non, il faut encore qu'ils aient ce pouvoir de nuisance inégalé propre à malmener le sort de nos existences et de notre environnement.
On nous dit que le sage est patient comme un chat, qu'il est un expert en décantation, qu'il se préserve par le calme intérieur et le silence et que par conséquent aucune salissure, aucune calomnie, aucune injure n'atteint son âme. Un peu comme ces étres de souffrance universelle jetés au bord des routes,  accablés d'injustices et de misères qui ne conservent plus que cette chose qu'on ne peut leur enlever: la nudité du philosophe, la foi du charbonnier, la dignité que n'atteindont jamais leurs tortionnaires et leurs bourreaux.
Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre", comme on revient dans sa demeure véritable, à sa propre source, au coeur de soi-même. J'y ai glissé moi aussi l'humble pierre qui s'ajoutera au rempart de toutes celles qui se dressent vers le ciel. Chacune de ces pierres, grosse, petite, plate, ronde, irrégulière, faite de la larme figée des volcans, renferme un voeu, une prière, une action de grâce déposés en offrandes mystiques. Et toutes ces pensées, ces symboles en perpétuel mouvement, font comme un murmure, un vague bruit de fond cosmique trés étrange et trés obscur, que le vent emporte au loin dans la prairie céleste.

*Dictionnaire statistique du Cantal , volume IV - 1856 -


Honorius- Les Portes de Janus, le 15 juillet 2025    Sur les remparts du Ciel. Pays de Salers le 16 juin 2025

vendredi 6 juin 2025

Aux sources merveilleuses de l'oubli

 

Il est l’heure, enfin,

De t’élever vers l’infini,

Sans plus rien oser ni vouloir.


Tout coule et tout passe,

Et emporte le goût du jour,

Tu es entrée dans la grande prairie,

Qui te convie, en riant, vers la rivière,

Aux sources merveilleuses de l’oubli,


Il est temps

De laisser derrière toi,

Les rancoeurs de l’histoire,

Les mythes de la chair

et les cris de la mémoire,


Bientôt tu emporteras avec toi

les sarcasmes du destin,

et tout ce qui m’unissait, par toi,

à la douleur de l’être,

à la légende éternelle

du diadème et du royaume…


Oh enfin, en toi, et loin de toi,

disparaître et renaître,

En toi, et loin de toi,

Reposer et dormir,


Tout coule et tout passe,

Et emporte le goût du jour,

Tu es entrée dans la grande prairie,

Qui te convie, en riant, vers la rivière,

Aux sources merveilleuses de l’oubli,



En souvenir d’Angelina

août 2024

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