Je me dis enfin qu'on ne saurait résumer l'essentiel des rapports entre l'être et le monde qu'à deux ou trois choses élémentaires. Pourquoi tout serait en effet plus compliqué que ce que m'en offre le flux limpide des apparences, lesquelles suffisent d'ailleurs amplement à mon bonheur dés lors que je n'en éprouve qu'enchantement et douceur. C'est la raison pour laquelle j'emporte avec moi le sentiment profond qu'il n'est de monde réel que ce que l'âme en perçoit et que le bonheur vécu ne cède en rien à celui que renferment les sphères de la métaphysique. En fin de compte, comme disait Giono, il y a deux maniéres de voir le monde dont l'antagonisme a pris les tours d'une violence inouïe à notre époque contemporaine. La première, digne sensibilité de l'être vivant, en respecte le mystère et la magie, ne cherchant pas à en détruire l'équilibre; la deuxiéme, cynique et aveugle, lui fait rendre gorge en voulant l'asservir et le mettre brutalement à nu. C'est la violence du capitalisme inexpiable contre lequel toute intelligence devrait pouvoir se révolter. La révolte de l'esprit contre la matière lourde et bête. Je me sens intérieurement plus riche à considérer que l'être et l'illusion de l'être se fondent dans une méme vérité. Aussi, j'emporte avec moi le secret que les vivants et les morts ont une même demeure. Je ne craindrai plus de paraître un instant ce mannequin de cire qui vient de rendre un souffle éphémère, puisque en moi et autour de moi rayonne à jamais la joie éternelle du jour.
Je retiens accessoirement qu'il vaut infiniment mieux parler le moins possible. La jactance finit d'une manière ou d'une autre par causer notre discrédit ou ...notre perte. Se taire a beaucoup d'avantages, à commencer par celui de nous faire paraître ferme et fort, ce qui nous place en bonne position stratégique et accessoirement de nous épargner le risque du ridicule.
Je pressens que ce que l'on appelle l'amour est une sorte d'illusion dont on se dessille avec quelque rudiment de réflexion et surtout beaucoup de solitude.
On ne gagne jamais assez en caractère pour espérer exorciser ses anciennes hontes. Leurs souvenirs nous aiguillonnent avec délectation dans l'horreur du détail et de fait, nous déconsidèrent douloureusement à nos propres yeux.
Ces mots pourraient être les derniers que ce ne serait ni une grande surprise ni un grand dommage. A quoi bon s'accrocher aux misérables évidences? Je serai très bientôt sevré de moi-même, lassé à vrai dire de cet interminable dialogue intérieur, ennuyé de cette petite chambre sans grâce qu'est ma fidèle et fruste caboche. Rien ne la meuble plus désormais que le méchant lit de mon début, une table de bois dépatiné et rustique, une chaise fatiguée sur ses pieds piqués. Et une fenétre aux carreaux blafards oû se profilent des embruns de crépuscule. Nature, je t'ai tant aimée, mais face à ce chaos et ce néant qui nous étranglent, qu'avons- nous encore à nous dire? Quels mots nouveaux avons nous encore à faire fleurir pour entretenir la grâce de l'illusion? Je n'ai plus guère la force de me préserver du fardeau de mes souvenirs ni d'imaginer le poids de mes derniers lendemains. La réalité physique n'a guére plus d'importance que le songe de la pensée, réunis dans une méme abstraction. Je veux bien rester encore tant que mes jambes me soutiennent charitablement dans le jardin des merveilles et que mes yeux plongent dans l'horizon du monde où tout glisse et se fond. Je pense que je me serais félicité sans réserve d'être celui que je fus, si j'eusse été plus audacieux, c'est-à-dire plus conscient de ma force. On perd souvent sa vie à ne pas savoir oser et en regardant les autres le faire ou le mimer à notre place.
Selon les époques de son existence, la moitié de l'humanité fait passer le temps selon ses moyens, tandis que l'autre moitié attend qu'il passe.. Voilà à quoi pourrait se réduire toute la philosophie sociale de l'être.
Et puis un jour on se réveille pour se rendre compte qu'on y est presque, et que ce qu'il reste de temps est déjà sur le point de nous glisser entre les doigts.
Il est bien assez d'une vie d'hominidé pour se rendre compte que toute cette mascarade du sentiment et de l'être n'a que très peu d'importance métaphysique et surtout que cette chose assez nauséabonde qu'est l'être humain est de surcroît singulièrement méprisable.
Ma foi, si je crois encore aux vertus de l'homme considéré dans son intelligence et sa sensibilité individuelle, je confesse, en revanche, exécrer l'espèce humaine plus que tout sur cette terre, en tant qu'elle répand partout le pire, en tant qu'elle est, qu'elle incarne elle-même le pire contre l'esprit et la vie.
Si je devais résumer en une injonction le sens à donner à la vie, je dirai sans hésiter: Devenir meilleur!!
Si je devais donner un conseil d'ami, ce serait: Hais et fuis tout ce qui fait honte, tout ce qui rapetisse et rabaisse ta conscience morale.
Et pour le reste je recommanderai ardemment de rester curieux de tout, d'aimer la Beauté et de vivre en paix avec soi même et avec son prochain. Rien d'extraordinaire après tout, toutes ces choses là constituent depuis longtemps depuis Sénèque, depuis Saint Augustin, depuis Montaigne, une espèce de viatique et de discipline censément universelle. Mais la sagesse n'est pas le chemin le plus couru ni même le plus désiré de nos contemporains. Cinq cent mille ans d'évolution dialectique pour en arriver aux lourdeurs organiques des Trump et des Poutine, à l'arrogance des fronts étroits, c'est bien donner peu de prix aux espérances eschatologiques. Un aéronef échouant en bout de piste après avoir raté le décollage, voilà à peu près assuré le résultat de l'aventure humaine. Ce n'est pas l'Albatros de Baudelaire, c'est la crétinerie tragique des caves.
Honorius le 17 mai 2025