jeudi 1 mars 1990

Alma Mater (3) La mélancolie du Sud


Un soir, enfant, je me plongeai par hasard dans la lecture de quelques gros livres de la bibliothèque de mon oncle, qui avaient attiré ma curiosité par la beauté de leurs illustrations. 
J’y découvris pour la première fois, à mon grand bonheur, l’univers fabuleux des fresques homériques : les péripéties merveilleuses de l’Odyssée, le récit des mêlées titanesques, la vision fantastique du cheval de Troie. 
Je me sentais fasciné par ces images d’hoplites aux cimiers intrépides, l’œil étrangement fixe comme sur les vases peints de l’Attique. 
Depuis ce jour, je fus transporté d’une pieuse admiration pour l’antiquité grecque, pour son culte de l’héroïsme et son amour du Beau, pour sa poésie lumineuse de la vie. 
C’est la limpidité des éléments où se fond la permanence du monde égéen, qui a déterminé, peut-être plus qu’aucun autre environnement tempéré, l’épanouissement de la Conscience et l’idée universelle de l’Être. 
C’est de ce bonheur dans l’apparence, de ce rêve radieux d’azur et d’écume, qu’a jailli le miracle de la pensée grecque, «élevant l’instinct de connaissance à la dimension d’un art tragique », c’est-à-dire, au sens nietzschéen du terme, « l’art suprême de l’affirmation de la vie ». 
Je suis redevable aux œuvres de l’Antiquité d’avoir éclairé le premier éveil de ma connaissance, au souffle épique dont elles emplirent mon imaginaire, d’avoir suscité mes premières émotions esthétiques. Leurs enseignements m’initièrent à la découverte des vertus supérieures de l’humanité, dont les exemples nous renforcent contre l’adversité et nous préparent à recevoir la puissance de la vie. 
Car il n’y a rien de plus édifiant que cette aventure de la volonté humaine dans le midi resplendissant de son génie. 
La conscience de ma propre hérédité gréco-latine a conforté les liens qui m’associent à ce patrimoine vivant dont la sève nourrit depuis plus de deux-mille ans, le cycle formateur des humanités. 
Ma rencontre avec le Sud latin m’engagea dans cette réflexion mélancolique qu’inspire la sensation des choses éternelles, comme la perception de ce paysage inchangé depuis le fond des âges archaïques. 
Devant mon regard, sous l’âpre soleil où tout passe et meurt, s’étendent ces régions agrestes et montagneuses, où s’affrontèrent et se mêlèrent tant de destins. 
Sur ce sol primitif vécurent jadis, bien avant l’empreinte de Rome, les rudes peuples des Volsques et des Samnites, ces vieux pasteurs Italiotes. 
Un jour, sur leurs rivages, se répandirent les fils des Achéens venus de l’immensité salée, portant le flambeau de l’ancienne Grèce, la sagesse de ses dieux et de ses mystères, et dont ne subsistent aujourd’hui que ruines et poussières. 
Ô sentiment de la Vanité de toutes choses ! C’est au cœur de cette terre, pétrie des douleurs et des plénitudes de la civilisation, que s’enracine en fresques muettes et nostalgiques, la pensée du Temps et de l’Histoire. 

Honorius/ Les Portes de janus/1990

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