Au commencement étaient la Discorde et le Chaos, la confusion née des convulsions de la multitude répandue sur terre. Les hommes avaient des yeux hallucinés de fauve et des folies de meurtre. Même des meutes de loups n'éprouvent pas cette rage de haine et de violence. Les premières chroniques de l'humanité nous livrent en effet l'interminable récit de ces conflits exaspérés pour le pouvoir et la possession. On ne sait par quel prodige tant d'instincts de violence et de cruauté aboutirent aux notions de droit et de progrès. Mais ne nous y trompons pas: L'homme est toujours prêt à répondre à l'appel de ses démons et à longer l'abîme; et même lorsque les peuples cessent provisoirement de se déchirer par le moyen du meurtre collectif, ils s'asservissent mutuellement par d'autres voies, par l'exploitation économique et la domination de classe. Le Hittite, le Hun et le Vandale n'ont fait que céder le pas aux prédations criminelles des oligarchies mondialisées.
L'historiographie de cette passion meurtrière s'illustre déjà dans les pétroglyphes de l’ère néolithique, puis sous la haute antiquité, des cartouches égyptiens aux stèles mésopotamiennes.
Les bas-reliefs de Teglath-Phalasar et d’Assourbanipal semblent se repaître encore de sang et de terreur; et à en scruter les scènes figées dans la pierre et le temps, nos sens fascinés croient percevoir comme l’écho d’un grondement sourd et lointain, les clameurs et le tumulte disparus des anciennes batailles…
Plus tard, Homère et Virgile, les chantres des grandes gestes gréco-romaines, ont relaté ces combats formidables et sans merci que se livrèrent de rudes guerriers magnifiques aux lourdes armures.
Leur épopée riche en images expressives et pleine de noble ardeur, alliant l'exercice des métaphores aux accents vigoureux de la martialité, suggère comme une conception plastique de l’héroïsme, une idéalisation de la force brutale telles qu’on l’aperçoit dans la statuaire énergique des frises et des colonnes triomphales.
De plus, cette toile épique comporte de nombreux traits du réalisme le plus cru et le plus trivial, surtout dans les scènes guerrières de l’Iliade. Les aèdes nous y rapportent sans pudeur et avec une précision chirurgicale, le spectacle des mutilations héroïques: le sang gicle des plaies affreuses, la moelle ruisselle des vertèbres et les cervelles des têtes entrouvertes. Les os craquent sous le coup pesant des armes, les membres coupés par les glaives effilés palpitent à terre, et les chaos étincelants traînent les morts glorieux dans la poussière.
Veines, trachées, tendons sectionnés ; foies, poumons, vessies éclatés ; corps mutilés et transpercés par le fer et le fracas effréné des combats, toute la misérable anatomie humaine passe sur la table de Procus dans une orgie de convulsion et de douleur.
Et tout ce déploiement haletant de carnage illustre les récits fondateurs dont s’enorgueillit le génie de notre civilisation.
Outre qu’il a pour effet de restituer une part d’intensité de l’action, ce réalisme furieux et exalté se fond dans la dimension esthétique d’un univers fantastique, propre à frapper l'imagination.
Un lyrisme puissant et impitoyable se dégage de cette gigantesque mêlée des dieux et des hommes, où les ressorts de la fatalité, du destin annoncé, entretiennent le sentiment d’une grandeur tragique.
Telle est aussi le sortilège de l’épopée qui élève l’insoutenable brutalité du drame dans la sphère du Beau et du Sublime… C'est là toute une part de l'Art de ces temps pleins de férocité et de rudesse, où l'on chantait l'amour les armes à la main et des têtes coupées en offrande.
Honorius/Les Portes de Janus/Novembre 1997
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