samedi 4 juillet 1998

Alma Mater (21) La Terre Classique

Dans la chaleur accablante du mois d’août où grésille le froissement strident et rèche des cigales, mes yeux se fondent dans cet azur parfait et immobile, comme dans le bain brûlant d’un implacable paradis. Je me trouve au sommet d’une montagne pelée à l’aridité biblique, à San Felice di Cancello, aux confins d’une route de pèlerinage, où se dressent les arêtes tranchantes d’une chapelle votive. Quelques kilomètres à l’Est, perdu dans l’oubli de la désolation, poudroie le mirage des Fourches Caudines, où jadis les armées vaincues de la République passèrent sous le joug des Samnites. 
La solitude du Sud m’est apparue ce jour-là dans toute sa nudité, et je pourrai dire, dans toute son éternité, comme un temple de Poséidon au-dessus de la mer. 
C’est une sorte de pesanteur fascinante qui enveloppe l’âme dans l’orbe d’un espace indéfini, où le ciel prédomine comme une obsession d’air et de feu, onde impalpable et aveuglante de l’éther originel. 
Et cette terre brune, brute et stoïque, qu’ont façonnée les avidités et les peines de mille labeurs séculaires, éclôt les parfums secs, les âpres saveurs de l’irrépressible survivance humaine. 
D’où vient que même la dureté d’une terre et d’un paysage peut receler tant de faculté d’émotion et de beauté ? Le spectacle de la nature place l’homme devant l’étendue de sa condition terrestre, et c’est la sensibilité désintéressée de l’art que d’en puiser toute la poésie et le pathétique. 
Terre du Sud, patrie méditerranéenne de l’antique civilisation, terre de la primitive harmonie, tu renfermes en ton sein, dans la paix des dieux et des hommes, le mystère unique d’où s’épanchent les sources intarissables de l’art et de la beauté, d’où s’élève l’architecture lumineuse de l’éternelle pensée classique, l'énergie domptée et le miroir universel de l’Etre. 
Combien j’ai appris à considérer que rien ne saurait égaler en rigueur et en clarté l’équilibre de la forme achevée de l’ordre classique, qui est conscience lucide et victorieuse du monde et de l’existence. 
De ce modèle de raison et d’intégrité procèdent à la fois le caractère des mœurs et des institutions, la structure de la syntaxe et l’organisation de la pensée, la conception de l’Etat et du Droit, la cohésion des sciences et des techniques, tous les aspects d’un type rationnel et éclairé de civilisation tendu vers la perfectibilité et la permanence, l’unité et la stabilité. Et la nature entière semble imprégnée de cette géométrie de l’esprit par où l’homme affirme sa volonté et discipline ses passions dans l’accomplissement d’une espèce de plénitude. 
Présence prégnante ou solitaire, la nature humaine a modelé cette terre ainsi qu'une œuvre d’art qui s’offre en exemple nécessaire au monde. Ô alma mater Italia ! Toutes choses sous l’empire de tes vertus semblent répondre à l’agencement sage, juste et harmonieux de l’antique Constitution comme une évocation permanente de l’âge vénéré de Saturne, où, comme le rêve le poète, « tout n’est qu’ordre et beauté ». 
Certes, Rome a perdu depuis longtemps le pouvoir d'opposer à la barbarie les légions de Marius et de Germanicus. Mais en vérité, Rome reste à jamais victorieuse des peuples et des siècles. La mère patrie des arts, de la paix et de la liberté demeure comme l'éternel flambeau du monde. 

Honorius/ Les Portes de Janus/Juillet 1998 




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