J'ai ouvert le livre de l'Ecclésiaste et j'y ai reconnu, comme dans le puits de la connaissance, le doute et le trouble de ma propre conscience.
Moi qui me trouvais si faible et désarmé, empli de confusion devant le sens de la destinée, voici que les paroles du Grand Prédicateur venaient sanctifier toute l'étendue de mon propre désarroi.
Je suis venu au monde sans avoir pu oser ni vouloir, par peur de l'échec et du ridicule. N'est-ce pas là tout aussi ridicule? Mon naturel peu combatif, fuyant toute espèce de bruit et de conflit, ma complexion inquiète et inhibée, m'ont toujours disposé à cet état foncier d'une sensibilité de l’existence passablement éloignée du remuement et de l'agitation. Faire ou ne pas faire, être ou ne pas être, tout cela est bien égal, l'action n'est qu'une illusion et tout ce que j'entreprenais n'était qu'un rêve dans le rêve. La seule valeur que je reconnaisse avec confiance est la bonté du coeur, la vertu de sympathie qui illumine la voie.
Notre siècle, précipité dans l’emballement général de la matière, rongé par les obsessions du productivisme et de la communication, ne sait plus débiter qu’artifices verbeux, criailleries inaudibles et tumultes stériles…ô folle indigence de la condition humaine !
Dans le fatras prodigieux de l’inutile et les stupeurs du misérable Divertissement dont nous accable l'ère technologique, quelle place reste-t-il pour rendre grâce à la grandeur de la Création, pour invoquer la Foi en l’Eternel? Et quel temps reste-t-il pour ressentir en soi la félicité d'être, pour s'éveiller à l'éblouissement de renaître, pour rejaillir enfin de notre aveuglement, et s'abandonner avec ferveur, comme dans une transe primitive, à la plénitude universelle?
Car, malgré les désastres et les corruptions où l'être humain semble avoir abîmé la conscience de cette vie terrestre, l’être intime, cette flamme de pureté qui veille en chacun de nous, aspire encore à s’abreuver aux sources de l'innocence et de la vérité, à s’imprégner des grâces de sa présence au monde…
Blaise Pascal invitait l’homme « à contempler la nature entière dans sa haute et pleine majesté ; à éloigner sa vue des objets bas qui l’environnent » !
Cette invitation à l’élévation de la conscience se pose à travers le temps comme la vision supérieure de l’homme libre.
Pour ma part, ayant confessé de n'aspirer qu'à la paix de l'âme, je ne pense pas détenir la force de caractère nécessaire pour affronter, avec confiance et ténacité, les tentations et les périls de la société des hommes. Je ne pense pas non plus connaître suffisamment l’amour désintéressé de mon prochain, l'amour du Christ ou d'un Mahatma, pour me livrer à l’abnégation rédemptrice, à la jubilation du don de soi, à cette quête passionnée des vertus d’amendement… Je reste étranger dans ce domaine à l'esprit missionnaire, activiste ou militant, même si j'en reconnais la grandeur de l'engagement. Je me contente, hélas, des oeuvres sans mérite et sans fruit de l'indignation. Pour autant, s'abstenir résolument de faire le mal est déjà faire le bien. Et faire le bien quand l'heur s'en présente, à l'homme, à l'animal ou à la plante, c'est déjà faire un pas vers les portes du Paradis.
Il n’est de salut qui me convienne que dans le retrait philosophique du monde, sans querelle, sans convoitise et sans médisance, loin des aliénations bruyantes de l’actualité, tout entier abandonné aux seuls appels de la vie intérieure. C'est sur ce chemin de la simplicité que j'aspire à suivre ma frêle destinée, l'âme en paix. Là, purifié des contorsions et des fureurs, je ne percevrais d'autres réalités que celles que peuvent évoquer les mystères de la contemplation, dans l'amour de l’Eternelle Nature et la révélation du visage de Dieu.
J'entendrai rouler son souffle avec les nuées du soir, comme une puissance sauvage qui connaît et sonde le miroir de l'espérance et de la peur. Il déversera en moi le flux du vide inépuisable, l'onde infinie du temps et du silence où s'anéantit le règne des certitudes, où s'accomplissent les oeuvres de l'éternité et de l'oubli.
Ô foules trépidantes, adoratrices de l’éphémère, la vie s’amenuise sous vos pas, la vérité s’enlaidit sous vos crimes ! Quel déchaînement vengeur pourrait étouffer les clameurs et les tumultes de vos blasphèmes ? Non, mieux vaut encore se taire et laisser s’apaiser la colère, le désir de colère sous le lent et complet ensevelissement des siècles…
Car, comme chantait Lucrèce : « le tour viendra pour les murailles du vaste monde, qui, succombant aux assauts du temps, ne laisseront que décombres et poussières de ruines… »
Honorius/ Les Portes de Janus/22 décembre 1999
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