vendredi 15 novembre 2002

Le Rhin

 

Le Rhin romantique

Il est des photographies qui tiennent une place de choix dans les mémoires familiales, par leur particularité artistique ou sentimentale individuelle, mais aussi par l'emplacement où on les a toujours vues et sues pieusement rangées. Je conserve en l'occurrence une belle photographie de mon grand-père paternel, Emile, à l’âge de dix-neuf ans, prise pendant son service militaire en Allemagne en 1923.  Il était du 33ème régiment d’aviation stationné à cette époque à Mayence, dans l’escadrille dite des «cocottes », dont les silhouettes géométriques figuraient sur les flancs des appareils. Il se tient campé au pied d’un avion, en tenue de mécanicien, la main agrippée au rebord de la carlingue. Il y a du Guynemer ou du Saint Exupéry dans ce portrait en noir et blanc, qui respire la nostalgie des temps aventureux et héroïques de l’aéronautique.

Lorsqu’à mon tour, contraint au service de l'ost, je me retrouvai soldat sur les rives du Rhin, j’eus quelque pensée solidaire pour ce grand-père vénéré qui me précéda dans l’exil du devoir, soixante ans plus tôt. Je trouvai dans cette évocation comme un tendre signe de complicité posthume, comme la lueur d’une présence intime qui, à l’instar d’un bon génie, veillait de loin sur ma destinée et semblait parfois me transmettre des mots d’encouragement à chaque accès d’abattement.
C’était l’époque où je découvrais Guillaume Apollinaire et ses « poèmes rhénans », où je goûtais les ondoiements troubles et exquis de « La chanson du mal aimé » et me livrai dans les résonances nostalgiques de cette Allemagne de l’idéal et de la philosophie, celle que l'on ne redécouvre plus guère aujourd'hui que dans les souvenirs de Mme de Staël ou les rêveries sentimentales de Nerval ou de La Varende.
Mais avec quelle ferveur, avec quelle liberté d’âme peut-on s’adonner aux sensations romantiques, entre les murs d’ennui d’une caserne, dût-elle s’élever comme une tour de garde sur les bords légendaires du Rhin ?
Mais le Rhin, le pauvre Rhin, lui aussi enlaidi, défiguré, accablé de prosaïques fardeaux, râlant, suffoquant dans la noirceur de ses flots corrompus, le Rhin saccagé, mortifié, où l'on ne discerne plus rien, parmi la misère des temps, des beautés mythiques de son histoire et de ses origines...
Hélas, c’est comme si, depuis Novalis et Hölderlin, les poètes de l'esthétique, depuis Hugo et Dumas, qui furent ici les quêteurs du merveilleux rhénan, ce monde s’était vidé peu à peu de sa substance, comme s'il avait renié l'esprit de ses splendeurs pour la ruine effarée de l'histoire et le cauchemar industriel...Le Rhin, le pauvre Rhin...

Novembre 2002



Le Rhin industriel



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