jeudi 21 février 2008

Souvenir de Vendée (2) : Le Roi

Ce samedi 27 août 1988, par un temps ensoleillé et limpide, nous quittâmes Beauvoir-sur-Mer dans l’antique « Mercédès » du comte. Passé le village de Bouin, nous suivions la route longue et droite comme une avenue sans fin en direction de Machecoul, qui semble encore frémir du souvenir du démoniaque Gilles de Rais, et un des hauts lieux des insurrections vendéennes. 
Nous quittions la région du Marais pour pénétrer dans le pays du bocage, aux vallons couverts de haies touffues et de pâturages verdoyants. En termes administratifs, on pourrait même dire avec précision que nous venions de laisser le Département de la Vendée pour nous engager dans celui de la Loire Atlantique. 
Là, arrivés tout près de Nantes, à la hauteur des Sorinières, nous continuâmes notre route en direction du Loroux-Bottereau, notre lieu de destination, qui m’apparut comme une bourgade paisible dans un décor pastoral. 
Cette localité, comme tant d’autres dans cette région des pays de Loire, que l’on nommait jadis la «Vendée Militaire », fut le théâtre de luttes farouches et inexpiables. 
Du reste, il n’est pas une personne, pas une famille qui ignore, ici comme ailleurs, les drames ignobles et pathétiques qui ensanglantèrent cette terre, le long calvaire enduré par tout un peuple en révolte ; pas une personne, pas une famille, dis-je, qui ne puisse encore aujourd’hui identifier sa mémoire à cette terrible épreuve de l’Histoire. 
Lorsque l’on sait en effet le déchaînement d’atrocités perpétrées contre les populations civiles, dans les années 1793-1795, il n’y a somme toute pas si longtemps encore, lorsque l’on sait les ravages et les exterminations semés dans leurs sillons par les « colonnes infernales » de Turreau et de Westermann, on comprendra les réticences qu’oppose la mémoire collective aux bienfaits célébrés de la Révolution. 
Car la Révolution ici témoigne du martyre d’un peuple ; elle y résume son œuvre dans celle de ses anciens bourreaux. 
Aussi, le Loroux-Bottereau paya son tribut au nouvel esprit évangélisateur de la Liberté : trois cents habitants, avec les femmes et les enfants, y furent massacrés par l’armée des Bleus. Alors, ce jour-là, en mémoire de ceux de 93, loin des flonflons cocardiers et des bonnets phrygiens dont se couvrait peu à peu la France du « Bicentenaire », la statue de Louis XVI, érigée sur la place du village au dix-neuvième siècle, a été fleurie de lys au milieu d’une foule recueillie. 
Nous arrivâmes juste après la cérémonie pour rejoindre une partie du cortège dans la propriété toute proche de notre hôte, M. Jean Renoul. Nous nous trouvâmes bientôt dans un jardin fleuri au gazon coupé ras, où avaient été dressées des tables de réception couvertes de nappes blanches. 
J’aperçus aussitôt ce qui me semblait être le point principal d’attraction, autour duquel virevoltait, en différentes strates orbitales, la cohorte des invités. C’était un homme d’environ cinquante ans, plutôt de petite taille, au visage bronzé de chanteur de charme, l’air avenant et policé, cravaté et quelque peu engoncé dans une veste bleu foncé qui se trouvait manifestement trop étriquée. Il se tenait debout au milieu de la pelouse, en compagnie d’une femme âgée aux cheveux blancs, coiffée d’un petit chapeau à voilette et parée d’un collier à double rangée de perles couronnant le décolleté d’une robe d’été couleur de temps. 
Un groupe de ce qui avait bien l’allure de courtisans faisait un demi-cercle autour du couple, mêlant l’expression d’une grande déférence à l’égaiement mondain d’une chic partie de campagne. 
Notre homme parlait aux uns, répondait aux autres avec beaucoup d’amabilité et d’entregent, se faisait présenter par un mentor toutes sortes de personnes de l’assistance, notables du canton avec leurs épouses, visiblement ravis et impressionnés. 
Cet homme enfin, il faut maintenant le dire, était rien autre qu’Alphonse II d’Espagne, titré Duc d’Anjou et de Cadix, chef de la maison de Bourbon et aîné de la grande famille des Capétiens, c’est-à-dire l’héritier légitime du trône de France. La dame aux cheveux blancs, discrète, simple et élégante, la physionomie un brin austère cependant, qui se tenait à ses côtés, était sa mère, la Duchesse de Ségovie. 
Le mentor, qui semblait tenir un rôle de confiance envers le Prince, était le baron Pinoteau, que mon ami Michel connaissait pour l’avoir fréquenté dans de précédentes entreprises. Il était en fait le secrétaire du Prince, organisateur de ses déplacements et séjours en France, qui durent activement l’employer l’année précédente pendant les célébrations du Millénaire Capétien. 
Je ne jugeai pas pertinent pour ma part de me joindre à la curée des présentations. J'eusse pu répondre à l'invitation de m'y faire recommander. Sans doute manquai-je d'audace, je ne sais. Car je n’avais aucun titre ni aucun mérite particulier, réel ou supposé, et à vrai dire aucun motif de considération à faire valoir à l'attention du Prince. Imaginez-vous! Me faire annoncer par mon nom de roture (quoique d'ancien lignage terrien qui vaut bien celui d'un hobereau), comme gratte-papier besogneux dans la région de Lyon? Comment donc ne pas préférer dans un tel cas rester enfoui dans l'ombre de son humilité? Ce qui, aux yeux du Grand Yogi ou du philosophe, est encore le parti le plus convenable en toutes circonstances.
Je contemplais le ballet des barons et des comtes, des notaires royalistes et autres praticiens provinciaux affectant des airs de chevaliers bannerets, donner à qui mieux mieux du « Monseigneur » en s’adressant à l’auguste personnage, j’admirais la ronde des élégantes esquisser leurs révérences devant l’honorable et digne couple. 
Je me sentais pour autant à mon aise au milieu des agréments de ce beau jardin, plutôt curieux que véritablement impressionné, buvant volontiers les coupes de Champagne frappé que l’on me tendait sur des plateaux, piquant de ci de là un petit four, devisant avec mon ami Michel et son épouse, ainsi qu’avec Bertrand de La Tribouille, qui, très affairé cependant, fendait régulièrement la presse pour actionner son appareil photographique qu’il posait ensuite en sautoir sur son ventre proéminent. 
C’est naturellement à lui que nous dûmes d’être admis dans ce cénacle où les entrées se trient sur le volet. On ne va pas rendre ses hommages au Roi, en effet, comme l'on se rend à un guichet de gare ou à une attraction pour vacanciers.
Le Prince enfin s’adressa à l’ensemble de l’assistance dont le bourdonnement s’était tu soudainement pour faire place à un silence religieux. Il se tenait pour ainsi dire face à moi, Madame sa mère à ses côtés, portant avec une assurance pleine de simplicité et de naturel la majesté du principe incarné par sa personne, celui même de l’Histoire et de la tradition millénaire, qui n’attend, disait-on, qu’à renouer avec le destin de la France et de la Nation. 
Il parla donc avec beaucoup de chaleur et de sincérité, exprima, cela va de soi, tout le bien qu’il pensait de notre belle région et de l’accueil qui lui avait été réservé. Il eut bien entendu un mot pour les maîtres des lieux à qui il renouvela toute sa gratitude. Surtout, il eut cette expression, cette congratulation aux accents mystiques qui ne pouvait laisser insensible le jeune homme pétri de noble idéal que j’étais alors: Le Prince nous désigna tous du regard, et je crois même qu’il croisa le mien un instant, pour nous appeler « les fidèles d’entre les fidèles ». 
Ces paroles eurent sur moi l’effet d’une sorte d’adoubement, comme d’une onction sacrée que personne ne pouvait me contester et dont il me fallait désormais être digne. 
Avoir ainsi été désigné de vive voix par l’héritier de Saint Louis et du trône de France comme un fidèle d’entre les fidèles, me projeta dans une dimension romanesque que l’on ne vit plus depuis Alexandre Dumas. 
Je pouvais donc imaginer le plus légitimement du monde que depuis ce fameux jour, je conserve le droit d’orner mes couleurs de la fleur de lys et d’invoquer le nom du Roi qui me consacra gentilhomme. On a les vanités que l'on peut, mais celle-ci, je dois l'avouer, était de premier choix.
Qu’ajouter au récit de cette noble aventure ? Qu’avant de rentrer à Challans, nous avons terminé la journée, Michel et moi, par un bain revigorant sur la plage de La Bernerie en Retz, près de Pornic. 

Honorius/Les Portes de Janus/ 21 février 2008) 


Au Loroux-Bottereau le 27 août 1988 (crédit photo gettyimages Alain Le BOT)

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