Les mouvements de l’âme sont à l’image de ceux de la Nature. Une simple étincelle provoque parfois des brasiers dévastateurs.
Mais il n’est rien de plus désolant, rien de plus affligeant qu’une passion effrénée qui emporte toutes les digues du bon sens et de la raison.
Elle naît d’un rien, d’un germe insignifiant qui attend patiemment son heure d’éclore pour répandre soudain d’insondables ravages dans le cœur de l’homme. Elle attise sans discernement et sans répit les braises d’un désir dévorant, enfle démesurément l’esprit comme un génie emprisonné dans sa lampe et qui, soumis à la torture, se contorsionne avec furie vers son impossible délivrance.
Sa violence est telle qu’elle en bouleverse toutes les données de la complexion mentale.
Elle est comme un océan de feu hanté de tempêtes mystiques, d’élans de sauvageries, de vertiges éplorés et extravagants. Elle est cette rage obstinée d’amour et de haine mêlés meurtrissant dans un conflit sans fin, par cet héroïsme sombre et muet de la douleur, sa propre chair et son propre sang. Puis, harassée, exténuée, consumée du feu de sa propre énergie, elle finit par s’étrangler, par agoniser lentement entre les chaînes écrasantes du chagrin et de l’abattement.
Oh j’ai connu moi aussi ces heures de fièvre et d’égarement, ces longues quêtes solitaires et désolées, croyant pouvoir, un jour ou l’autre, être attendu quelque part, « comme on attend le roi ».
J’ai connu moi aussi le temps des loups et de l’hiver, ces saisons impitoyables où l’on traîne son désespoir comme un gueux traîne sa misère.
Je sais aujourd’hui à quel point un silence de dédain, de stupide et aveugle incompréhension, peut exalter de souffrances, je sais à quel point une espérance sans écho ouvre les portes hallucinantes de l’Enfer. La vie est une belle garce capricieuse qui se plaît parfois à décliner vos offrandes et vous congédier comme un fâcheux.
Mais comme le sang coule et s’épuise, une telle épreuve ontologique doit pouvoir connaître un jour ou l’autre comme une apparence de tarissement. Elle finit dans tous les cas par rencontrer son propre destin : celui de la chute brutale et violente, celui de la rédemption par la grâce du repentir, de l’humour ou du pardon ; ou bien encore le long hébétement vers le crépuscule de l’oubli, ce que Gérard de Nerval appelait fort à propos « un désespoir presque serein, sans contorsion ni colère ».
J’ai atteint aujourd’hui les grèves infinies de l’ennui et de la tristesse, l’horizon vide et sans avenir. Mon cœur a tant saigné de l'Aube promise, de la Délivrance espérée..
Je revis maintes fois le rêve de ce chemin solitaire où mon pas avance entre des rochers et des forêts, vers le sommet absolu de l’âme. L’horizon s’enflamme une dernière fois des feux mourants du crépuscule, illuminant de leurs doux rayons dorés les prairies et les vallées embrumées de la montagne.
J’entends encore autour de moi le bruit cristallin de l’eau qui coule et les sonnailles des troupeaux lointains. Le froid me saisit dans l’ultime ascension, sur la pente bordée de mousses et de fougères, jusqu’à la porte du Grand Mystère.
C’est là, au détour de ce chemin que foulèrent bien avant moi les pas de mes prédécesseurs, que je me présenterai bientôt, très bientôt peut-être, l’âme humble et dépouillée de toute vanité. Cela est écrit.
Oh, je l’ai tant de fois imaginé ce rêve troublant d’un jardin merveilleux de printemps où la Divinité Radieuse séjourne paisiblement parmi la lumière éternelle.
Je sais que derrière cette porte sombre marquant l’orée des deux mondes, le sourire de la vie, le grand Oui du véritable Amour, le seul Grand Amour dont l’âme humaine soit digne, s’apprête à m’accueillir enfin, moi le pêcheur et l'implorant avide de perfection, dans ses éternelles prairies célestes.
Je ne ressens déjà plus le désir de replonger mon regard sur la terre des hommes, de leurs misères et de leurs tombeaux.
Je m’approche lentement de la grande porte, si vétuste et si vermoulue, qu’entourent les noires frondaisons du soir ; et je lève enfin la main pour en pousser le vieux battant vers le sublime espoir qui m’attend…
Le 23 avril 2009
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