lundi 1 décembre 2014

La philosophie des autres


Il n’est rien de plus fastidieux que la philosophie des autres, surtout lorsqu’elle est érigée en système. Notre esprit devrait rejeter avec horreur et répugnance tous ces  assemblages de sac et de corde, ces lunes spécieuses, ces fatras spéculatifs pesants et indigestes.

Ces productions théoriques, ces sommes intellectuelles qui emplissent les rayonnages de notre patrimoine immatériel n'ont souvent d'admirables que la puissance de leur conception mais malheureusement aussi de leur vanité. Les efforts prodigieux qu'ont développés dans leur histoire les contorsions de la pensée humaine se résument à bien peu de chose si l'on y regarde avec humilité. Les épigrammes des moralistes, la sagesse terrienne et primitive,  celle qui a le respect de la vie, contiennent à mon sens bien plus de matière de réflexion et de vérité sur nous mêmes que tant de monstres de métaphysique. Ces monuments de l'esprit, fort bien cimentés dans leurs empilements spéculatifs, peuvent sans doute revêtir une quelconque utilité pour l’histoire de la pensée, l'éducation à la méthode discursive dont se fortifie l'intellect, nous en remontrer parfois pour leurs qualités de style ou nous surprendre heureusement dans certaines intuitions géniales sur l'essence de l'Etre et du Verbe. On peut aussi y trouver dans les plus ordonnés et subtils d'entre eux des outils d'analyse d'un intérêt indéniable pour prendre la mesure de la complexion et de la portée de notre conception du monde, mais pour aboutir à quoi? A la sempiternelle constatation de nos limites épistémologiques et de nos angoisses transcendentales, de l'inanité de nos croyances, de notre besoin pitoyable de quête de sens moral?  Certains démiurges s'imaginent même parfois, avec le concours des intentions révélées de Dieu ou des hasards tâtonnants de la seule raison de l'énergie primordiale, avoir trouvé la voie, avoir pénétré l'organisation rationnelle de toutes choses dans le grand tout de la matière et de l'âme. Ils s'avisent de supputer la place dévolue à l'être humain et nous en exposent tous les moindres recoins d'organisation auxquels ils ont même donné à chacun un nom d'officine et un point breveté d'affectation, et s'empressent de nous en commenter la visite comme un bâtiment à prendre à bail. On les appellent tantôt les créateurs de mondes, c'est-à-dire de systèmes, tantôt les gourous de la métaphysique. Et de nous indiquer en doctes démonstrations où doit nécessairement se situer la clef de nos questionnements, de détermimer des trajectoires et des destinées à tout ce que nous ignorons de l'univers et de nous-même, d'assigner à telles résidences les régions du Bien et du Mal, etc. Les pires ou les plus insupportables d'entre eux, si je puis dire, ce sont les décréteurs ou autres accoucheurs de règles et de principes. Par une pente tendancieuse, eux-mêmes ou leurs diadoques en doctrine, s'évertueront à les ériger en lois, en commandements prétendûment universels, auxquels l'humanité sera conviée à se conformer avec exactitude.
Pour l'être épris de liberté, et c’est ce qui importe, ces affabulations dérisoires se présentent tout au plus comme des espèces de curiosités ontologiques qui appartiennent en fin de compte à ceux qui les ont conçues. La vérité fondamentale doit-elle être révélée à l'esprit humain sous l'angle de l'idéalisme positif, de l'idéalisme subjectif, voire absolu ? Sous l'angle encore du rationalisme positiviste, du mysticisme spiritualiste, de l'esthétisme transcendental, du déterminisme mécanique, du matérialisme analytique, de l'agnosticisme expérimental, de l'athéisme progressiste, les questions morales doivent-elles trouver leurs solutions sous l'angle de l'impératif catégorique, du relativisme humaniste, de l'utilitarisme pragmatique, du réalisme dialectique, du dogmatisme cognitif, ou bien alors sous l'angle de la méthode Coué ou de la science naturaliste du père François? et ainsi de suite par toutes sortes de lorgnettes cerclées de -isme et de -ique? Laquelle de ces clefs spéculatives est-elle le mieux en mesure d'ouvrir la porte du grand mystère de la Création, de révéler enfin notre nature et le sens de notre existence?
Assurément, chacun de nous a bien mieux à rechercher dans la philosophie que ces voies laborieuses et sans issue, encombrées de verbiage et de doctrine ; pour ma part, je n'en attends d'autre vertu que de m'enseigner à être en paix avec moi-même et à me rendre meilleur envers les autres, à prodiguer avec bonheur le juste et le bien, tout ce qui peut m'inciter à élever ma conscience de la vie et du monde. J’en espère comme d’une voie orientée vers un sommet, où, libre de mes mouvements, je puisse apprécier et reconnaître par moi-même ce qui me convient, me touche et m’émerveille.

 Honorius/ Les portes de Janus/ Décembre 2014 (réédition avril 2020)




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