Chaque matin, j'ouvre les volets de ma fenêtre sur le printemps radieux qui illumine la campagne. Quel paix, quelle bonheur me direz-vous. Pourtant un bruit insupportable, une sorte de hurlement effroyable, strident et continu, comme un moteur géant poussé en surrégime, exaspéré et assourdissant, couvre tout l'espace sonore à s'en boucher les oreilles. Bonjour le soleil, les gazouillis, bonjour la vie! Quelle est donc cette anomalie, ce qui ne peut être en effet qu'une anomalie, dans cet environnement à la physionomie apparemment calme et paisible. Serait-ce enfin le grand jour triomphal, le chantier tonitruant de la zone industrielle des Boudes (SMADEOR) qui vient de lancer son armée de camions et de pelleteuses contre les vallons verdoyants et les terres agricoles? A la grande satisfaction, faut-il encore le souligner, d'un Guy JOYET, dont je vois la trogne ahurie dans la presse locale, qui vient d'être réélu à une voix d'avance par d'autres ahuris pour commettre sans broncher cette forfaiture de toute beauté? Encore un peu de patience, on nous le réserve pour un peu plus tard comme plat de résistance. Nous avons droit ce matin, comme tous les matins de printemps, avant même l'heure du petit déjeûner, au ballet des sulfateuses. Partout la campagne se couvre de gros tracteurs, conduits par des scaphandriers, traînant de lourdes cuves emplies de glyphosate et autres cochonneries chimiques. Des nuages de pesticides, propulsés plein pot, enveloppent de leur panache de locomotive à vapeur les cerisaies et les vignes de notre riant village de Saint-Romain-de-Popey. Dans les champs et les vergers bien entendu, mais aussi près des habitations où chacun en reçoit plein la figure, et les enfants jouant dans les jardins. Le vent, pour le même prix, emporte ces nuées toxiques polluer encore plus loin, rejoindre d'autres nuées venus de tous les points cardinaux. Pouah! ça puire, comme dirait Jacquouille! Et comme cela tous les matins de printemps depuis de longues décennies pesantes d'inertie contre l'intolérable. Des milliers de tonnes de saloperie sont déversées chaque année sur les sols depuis des générations d'agriculture intensive. Nos terroirs recèlent de vrais trésors de poison, des déversements de désolation et de mort, qui peu à peu assèchent la terre, détruisent la biodiversité, imprègnent les produits que nous consommons, s'accrochent à notre sang et nos neurones, rongent nos cellules, y répandent le cancre, et tuent, tuent toujours plus d'êtres vivants dans l'indifférence et la nullité de conscience générales. Mais tout cela, on se rassure, est parfaitement légal et conforme aux habitudes et intérêts d'empoisonnement. Un Guy JOYET n'y trouvera d'ailleurs jamais rien à redire, ni de près ni de loin, à cela comme au reste. Etre prêt à toutes les bassesses contre l'intellect, à toutes les répudiations de la chair et du sang, "du moment que ça rapporte des recettes fiscales et que ça crée de l'activité et de l'emploi", telle est la forfaiture de tous les corneculs de la croissance. Y songeraient-il seulement? Chez ces gens là, monsieur, a-t-on un seul brin de conscience morale et de sens critique? A-t-on, nom de Dieu, une seule fibre de courage et de révolte?
L'épandage des pesticides a complètement ignoré la période confinée du coronavirus. On assiste de ce point de vue a une parfaite continuité entre l'avant et l'après.
Tout cela, bien sûr n'est pas nouveau, nous en connaissons depuis longtemps la logique et l'idéologie dominante à laquelle elle est platement asservie.
Mais à quoi fallait-il s'attendre, lorsque le premier des Mohicans affirmait solennellement le 12 mars dernier au début de la crise, le ton grave, un tremblement dramatique dans la voix: "Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de notre démocratie." Et de promettre "Rien ne sera jamais plus comme avant!"
Que pense Guy JOYET de la parole présidentielle? Est-il prêt lui aussi à interroger le modèle de société dont il rêve avec volupté pour sa chère commune de Saint Romain de Popey? Est-il prêt à prendre enfin conscience "des failles et des faiblesses" de son projet criminel, oui, je dis bien criminel, c'est-à-dire constituant une atteinte irréversible à l'environnement moralement condamnable, de sacrifier tant de terres agricoles et naturelles au bénéfice des grands groupes d'intérêt? Il n'y a rien de plus méprisable qu'un paysan traître à la terre, rien de plus pitoyable qu'un fils de l'homme, au milieu d'un désert, abattant le dernier arbre de la forêt.
Pour l'heure, à peine sorti du confinement, nous entendons jour après jour les voix de l'ultralibéralisme, juchées sur le mât de misaine, comme un appel du monde des morts, reprendre de la vigueur et marteler de nouveau le credo de toujours: "Produire, produire, produire. Consommer, consommer, consommer!" "Toujours plus, toujours plus, toujours plus!"
Et Guy JOYET, les yeux brillants, la lippe gourmande, de sa petite voix de fouine ou de furet , de celle qu'il a reçu d'avance à sa réélection, de trépigner et d'emboîter le pas: SMADEOR, SMADEOR, SMADEOR!!
On se réjouit déjà du monde d'après, les mêmes branquignols et gougnafiers aux commandes, les mêmes compromissions, le même catéchisme, toute la canaillerie chevillée du monde d'avant. C'est reparti plein pot, avec les intérêts du coronavirus!!
Le 31 mai 2020