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Michel de Montaigne |
Qui ne dirait que les gloses augmentent les doubtes et l'ignorance puisqu'il ne se veoid aulcun livre, soit humain, soit divin, sur qui le monde s'embesogne, duquel (dont) l'interprétation fasse tarir la difficulté ? Le centieme commentaire le renvoye à son suyvant, plus espineux et plus scabreux que le premier ne l'avait trouvé. (...). Cecy se veoid mieulx en la chicane: on donne auctorité de loy à infinis docteurs, infinis arrests, et à autant d'interprétation: trouvons-nous pourtant quelque soin au besoing d'interprêter, s'y veoid-il quelque progrez et avancement vers la tranquillité? (...) Nous obscurcissons et ensepvelissons l'intelligence; nous ne la decouvrons plus qu'à la mercy de tant de clostures et barrières. (...) Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu'à interpreter les choses; et plus de livres sur les livres que sur aultre subject: nous ne faisons que nous entregloser. Tout fourmille de commentaires: d'aucteurs il en est grand'cherté. (...) Les hommes mescognoissent la maladie naturelle de leur esprit: il ne faict que fureter et quester et va sans cesse tournoyant, bastissant et s'empestrant en sa besogne, comme nos vers à soye et s'y estouffe. (Montaigne, Les Essais, Livre III, Chapitre XII)
Montaigne, qui est un moraliste, c'est-à-dire un observateur des moeurs de son temps, pourrait être un peu aussi l'observateur des nôtres, tant la nature humaine trouve ses prolongements, ses perpétuations au-delà des générations.
Qui n'a pas reconnu dans ces anciennes critiques de Montaigne sur les travers de ses contemporains les mêmes travers, ou peu s'en faut, qu'il pourrait observer dans notre société d'aujourd'hui?
Qui ne s'est jamais trouvé dans la situation de devoir pester lui aussi contre un texte administratif, un codex de lois, truffés de tant de commentaires et de renvois à d'autres textes à rechercher encore dans d'autres sommes, au point de s'en trouver comme enragé et en perdition d'entendement? Par quelle fatalité notre bon sens naturel doit-il être perpétuellement tourmenté par tant de faconde absconse, de verbiage impérieux et amphigourique, qui ne s'entendent même pas eux-mêmes? A tel point, quelle ironie!, qu'il faille s'en remettre à la science tout aussi assommante et peu intelligible d'experts en décryptage.
Qui n'a pas constaté par ailleurs cette propension outrancière, si en vogue dans nos média, à produire à tout propos et en tous sens, des logorrhées d'analyses et de commentaires à n'en plus finir sur chaque mot et contre-mot échappé de la bouche publique, par intention ou inadvertance, jusqu'aux commentaires, gloses et scolies que d'autres protagonistes s'agitant sur la scène du moment en font à leur tour. Si bien qu'on a tôt fait de perdre, si tant est qu'on l'eût déniché, le fil que l'on avait cru tirer au début du propos et de se perdre dans un entrelacs obscur et inextricable de jactance. Montaigne constatait en son temps ce qu'il aurait pu tout autant constater dans le nôtre. C'est pourquoi nous trouvons son commerce si familier et attachant, comme quelqu'un qui compatit et nous comprend.
Les mentalités ont décidément la peau dure, si je puis dire. L'esprit de chicane, si décrié par la satire des moralistes depuis le 16ème siècle, n'a jamais été autant d'actualité dans l'administration, les lois, les réglements et les procédures auxquelles nous nous heurtons, nous emmêlons, nous débattons et suffoquons.
Il est une devise que Montaigne aurait pu graver sur les poutres de son cabinet, comme il le faisait des devises des sages antiques: "Humanitas transit, burocratica manet" (L'humanité passe, la bureaucratie demeure).
C'est d'autant plus vrai en cette période de coronavirus. La civilisation mondialisée n'a jamais été aussi près de devoir assister à son propre effondrement dont elle a elle-même produit et attisé les causes cyniques et perverses, et on la voit plus que jamais soumise et entravée par l'esprit de chicane, l'emprise tatillonne de la bureaucratie et de l'administration, lesquelles sont imperturbablement attachées, en dépit de tous les craquements et tremblements de fin du monde, à voir respecter leurs points de procédure. N'ai-je pas lu il y a encore peu, un de ces chantres de la morale administrative, fonctionnaire zélé et rigide, briguant sans doute en cela bonnes notation et promotion, déclamant en substance sur un ton de censeur et de maître d'école, que" le respect du formalisme des actes administratifs est un enjeu majeur dans un contexte toujours plus exigeant en matière de rigueur et de transparence". "Le formalisme administratif" serait donc "un enjeu majeur" , un commandement de notre temps, rien que cela, bien plus que l'urgence climatique et environnementale, sans quoi, pourrait-on penser, faudrait-il faire sonner le tocsin? nos sociétés retomberaient-elles inévitablement en décadence et barbarie?
L'Etat qui surveille et contrôle, l'Etat qui traque et réprime à sa manière sournoise jusqu'aux velléités de l'indépendance morale, oui, l'Etat pourra toujours compter, jusque dans les décombres de l'ancien monde, sur de tels plantons sourcilleux de mirador.
Dans la confusion qui s'est abattue aujourd'hui sur nos certitudes et sur nos vies, nous pourrions placer nos espérances dans un nouvel avenir, qui restaure enfin la dignité de l'humanité, le respect de la terre et du vivant, fasse foin de toutes les anciennes croyances inutiles, de toutes ces tyrannies qui pèsent sur nos existences. Mais ces espérances ne risquent encore de n'être que des rêves déçus, à voir s'agiter en coulisse cette folle incantation, cette piteuse et lamentable imploration de l'oligarchie et des lobbies de revenir, coûte que coûte, à la schlague et à la trique, au monde d'avant.
Un dessin du Canard Enchaîné pose la question:"Coronavirus (en Chine): Il y avait un avant, y-aura-t-il un après? Oui! un après, comme avant!
Honorius/ Le 1er mai 2020
Montaigne, qui est un moraliste, c'est-à-dire un observateur des moeurs de son temps, pourrait être un peu aussi l'observateur des nôtres, tant la nature humaine trouve ses prolongements, ses perpétuations au-delà des générations.
Qui n'a pas reconnu dans ces anciennes critiques de Montaigne sur les travers de ses contemporains les mêmes travers, ou peu s'en faut, qu'il pourrait observer dans notre société d'aujourd'hui?
Qui ne s'est jamais trouvé dans la situation de devoir pester lui aussi contre un texte administratif, un codex de lois, truffés de tant de commentaires et de renvois à d'autres textes à rechercher encore dans d'autres sommes, au point de s'en trouver comme enragé et en perdition d'entendement? Par quelle fatalité notre bon sens naturel doit-il être perpétuellement tourmenté par tant de faconde absconse, de verbiage impérieux et amphigourique, qui ne s'entendent même pas eux-mêmes? A tel point, quelle ironie!, qu'il faille s'en remettre à la science tout aussi assommante et peu intelligible d'experts en décryptage.
Qui n'a pas constaté par ailleurs cette propension outrancière, si en vogue dans nos média, à produire à tout propos et en tous sens, des logorrhées d'analyses et de commentaires à n'en plus finir sur chaque mot et contre-mot échappé de la bouche publique, par intention ou inadvertance, jusqu'aux commentaires, gloses et scolies que d'autres protagonistes s'agitant sur la scène du moment en font à leur tour. Si bien qu'on a tôt fait de perdre, si tant est qu'on l'eût déniché, le fil que l'on avait cru tirer au début du propos et de se perdre dans un entrelacs obscur et inextricable de jactance. Montaigne constatait en son temps ce qu'il aurait pu tout autant constater dans le nôtre. C'est pourquoi nous trouvons son commerce si familier et attachant, comme quelqu'un qui compatit et nous comprend.
Les mentalités ont décidément la peau dure, si je puis dire. L'esprit de chicane, si décrié par la satire des moralistes depuis le 16ème siècle, n'a jamais été autant d'actualité dans l'administration, les lois, les réglements et les procédures auxquelles nous nous heurtons, nous emmêlons, nous débattons et suffoquons.
Il est une devise que Montaigne aurait pu graver sur les poutres de son cabinet, comme il le faisait des devises des sages antiques: "Humanitas transit, burocratica manet" (L'humanité passe, la bureaucratie demeure).
C'est d'autant plus vrai en cette période de coronavirus. La civilisation mondialisée n'a jamais été aussi près de devoir assister à son propre effondrement dont elle a elle-même produit et attisé les causes cyniques et perverses, et on la voit plus que jamais soumise et entravée par l'esprit de chicane, l'emprise tatillonne de la bureaucratie et de l'administration, lesquelles sont imperturbablement attachées, en dépit de tous les craquements et tremblements de fin du monde, à voir respecter leurs points de procédure. N'ai-je pas lu il y a encore peu, un de ces chantres de la morale administrative, fonctionnaire zélé et rigide, briguant sans doute en cela bonnes notation et promotion, déclamant en substance sur un ton de censeur et de maître d'école, que" le respect du formalisme des actes administratifs est un enjeu majeur dans un contexte toujours plus exigeant en matière de rigueur et de transparence". "Le formalisme administratif" serait donc "un enjeu majeur" , un commandement de notre temps, rien que cela, bien plus que l'urgence climatique et environnementale, sans quoi, pourrait-on penser, faudrait-il faire sonner le tocsin? nos sociétés retomberaient-elles inévitablement en décadence et barbarie?
L'Etat qui surveille et contrôle, l'Etat qui traque et réprime à sa manière sournoise jusqu'aux velléités de l'indépendance morale, oui, l'Etat pourra toujours compter, jusque dans les décombres de l'ancien monde, sur de tels plantons sourcilleux de mirador.
Dans la confusion qui s'est abattue aujourd'hui sur nos certitudes et sur nos vies, nous pourrions placer nos espérances dans un nouvel avenir, qui restaure enfin la dignité de l'humanité, le respect de la terre et du vivant, fasse foin de toutes les anciennes croyances inutiles, de toutes ces tyrannies qui pèsent sur nos existences. Mais ces espérances ne risquent encore de n'être que des rêves déçus, à voir s'agiter en coulisse cette folle incantation, cette piteuse et lamentable imploration de l'oligarchie et des lobbies de revenir, coûte que coûte, à la schlague et à la trique, au monde d'avant.
Un dessin du Canard Enchaîné pose la question:"Coronavirus (en Chine): Il y avait un avant, y-aura-t-il un après? Oui! un après, comme avant!
Honorius/ Le 1er mai 2020
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