jeudi 21 janvier 2021

Nihil novi sub sole

Un savant égyptien, du nom de Khekheperre-Sonbu, qui vivait vers 2150 avant Jésus-Christ, sous le règne du Pharaon Senousret II, regrettait déjà que tous les sujets eussent déjà été traités et que rien de nouveau ne pût être dit, sur la représentation de notre environnement, sur la nature de nos sentiments et de nos relations au monde. C'était déjà, si l'on peut dire, la hantise de la page blanche.
"Que n'ai-je à ma disposition, se plaignait-il, des mots inconnus, des phrases et des idées à exprimer dans une langue nouvelle, sur des sujets originaux qui soient libérés de tout ce qui a déjà été rabâché, quelque chose à dire qui ne soit pas usé, que nos ancêtres n'aient pas déjà ressassé!" (Source: Will Durant, Histoire de la civilisation, Tome I)

Jean de la Bruyère (1645-1696), presque quatre mille ans après, exprimait le même regret: "Tout est dit et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent"

La vie, le sentiment de la vie, ne seraient-ils qu'un sujet à ce point rebattu qu'il faille se désespérer, non pas de ne plus pouvoir s'en émerveiller, mais de ne plus y rien trouver à découvrir, plus rien qui ne fût déjà maintes fois célébré, chanté, exalté? Les grands sujets moraux de la condition humaine, n'ont-ils rien non plus à nous inspirer et à nous apprendre? De même, la science, qui chaque jour révèle son lot de nouvelles connaissances, apporte-t-elle pour autant des réponses plus incisives à nos angoisses fondamentales?

Les recueils de sagesse et de poésie retrouvés dans les anciens papyrus ou sur les murs des temples et des tombeaux constituent il est vrai une somme où pourrait déjà se résumer l'essentiel de la constitution et de la psychologie humaines. Les récits de la Bible, la poésie du Cantique des Cantiques, la sagesse de Confucius, les épopées et la philosophie grecques, l'enseignement des moralistes latins, n'étaient déjà à leurs époques anciennes que l'éternelle ritournelle de l'aventure de l'humanité et des périples de sa destinée, la répétition sempiternelle des thèmes de l'observation psychologique et morale, des états de la conscience et de la vie intérieure. Une sorte d'histoire sans fin, un cycle éternellement renouvelé que l'on remet continuellement sur le métier. Même notre philosophie moderne ne fait qu'appréhender la substance de nos anciennes peurs et espérances, qu'elle n'a de cesse de questionner depuis ses origines.

Le changement de l'environnement et des conditions d'existence a sans cesse constitué de nouvelles expériences dans les progrès de l'organisation sociale et l'évolution de la culture, la perception que l'homme a fondamentalement de soi-même et de ses relations au monde. Cette perception est-elle pour autant si différente depuis les quelques milliers d'années qui le séparent des prémices de la civilisation?
Chaque être humain semble pourtant être le premier à naître, à sentir, à découvrir puis à mourir. Son individualité est à la fois universelle et unique. 
Universel, il répète sans fin la même histoire de l'être, il se succède à lui-même, comme le flux perpétuel du ruisseau. Unique, il détient le pouvoir de créer de nouveaux langages, non pas seulement pour dire différemment ou pour dire mieux, mais pour accroître la puissance de sa vision intérieure et de sa conscience d'être. L'homme social, l'homme moral ne s'invente plus, ne s'appréhende plus sans une certaine forme de routine; et que me chaut, en effet, de m'attarder devant le miroir de mes propres médiocrités objectives et de celles de la société qui m'entoure? Non, l'être essentiel est ailleurs. Car c'est le langage de l'esprit qu'il reste sans cesse à explorer, à accroître et à libérer, à rendre en soi plus grand et plus fort, sous toutes ses formes et toutes ses inventions, par l'énergie de l'intuition et la raison profonde du sentiment, le désir de grâce et de plénitude.
Car chaque jour le soleil se lève et chaque jour il est si bon de renaître au monde, comme un dernier sursis face aux ténèbres, qui, sournoisement, guettent notre déclin. Oui, il est si bon de s'abandonner à cette résonance infinie, à la contemplation de sa splendeur, à cette éternité de l'instant où se confient les profondeurs de la mémoire et de l'attente, à cette illusion, à cette bienveillance de la vaine permanence et du néant obstiné des choses.

Obéis au beau jour et oublie le souci (Egypte/-2200av.JC)


Honorius/ Les Portes de Janus/ Le 20 janvier 2021








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Pour rechercher un article

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *

Archives du blog