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Roc d'Hozières, Roc des Ombres, Brèche d'Enfloquet, au coeur du pays de Salers |
Voici une image admirable, que l'on doit au talent d'un photographe cantalien nommé Jérémy SAVEL.
Ce chaos montagneux situé au coeur du Pays de Salers culmine à 1700 mètres entre les vallées de l'Aspre et de la Bertrande à gauche, et la vallée du Falgoux à droite.
Ce site sublime est le point de convergence récurrent de mes ascensions mystiques. N'y perçoit-on pas en effet le souffle de l'Esprit en illuminer les versants et les sommets tumultueux, en agiter, en bouleverser, en recréer la puissance comme dans l'étreinte d'une houle formidable? Le regard halluciné plonge dans le mystère à la fois violent et stoïque d'une force à laquelle nous semblons nous-mêmes appartenir, où la multitude de nos infimes destinées semble se dissoudre dans une destinée, une volonté infiniment plus grandes. Nous croyons avoir rejoint à la fois l'origine et l'accomplissement de cette force, le principe primitif où la conscience s'enracine et s'élève au sentiment d'éternité.
A gauche, sur le versant encore illuminé, ce sont les pentes d'Emblaud qui dévalent, avec les sources jaillies de l'écorce des crêtes, jusqu'à la lisière du massif sombre et épais que l'on nomme le Bois Noir. C'est le règne de la grande forêt que parcourt le sentier des loups jusqu'à la Peyre del Cros, à Saint Projet de Salers. A droite, dans la toison abrupte que le soir délaisse dans l'ombre, ce sont les escarpements de roches et de futaies qui rejoignent la vallée du Falgoux, à travers une profonde thébaïde encaissée, du nom médiéval de Bois Abbatial.
Les sommités qui se dressent comme de gigantesques créneaux ébréchés, ont pour nom La Roche Taillade au centre du tableau, le Roc d'Hozières, à droite, qui s'oriente en à-pic dans la toison végétale, le Puy d'Orcet à gauche, qui forme un éperon surplombant d'un côté le cirque d'Emblaud et de l'autre, derrière la ligne incurvée de son rempart, celui de Chavaspre, qui étend ses pentes raides jusqu'aux autres confins du Bois Noir. De là, la sente forestière rejoint, le long des ruisseaux et des cascades, le hameau de la Bastide du Fau. En dernier plan, au centre, la Brêche d'Enfloquet et le Roc des Ombres, couronnant le versant Nord de Chavaspre. On y voit cette forme de cratère, dessinée par les arêtes rocheuses, prendre des allures fantasmagoriques d'un gros chaudron de sabbat sous la saignée crépusculaire du ciel.
La photographie a été prise, je suppose, de la ligne de crête située entre le Puy Mary et le Puy Chavaroche.
Que nous apprend, en vérité, cette photographie en tant que restitution instantanée du réel?
En premier lieu, que la photographie se présente comme un art, dont la démarche offre certaines analogies à celle de la peinture, dans l'utilisation et l'alliance des couleurs, des tons, la répartition et le traitement des formes, de l'ombre et de la lumière. Il y a du Caravage, du Friedrich, du Rembrandt, des touches d'impressionnisme et de romantisme picturaux dans l'évocation de ce paysage sombre et flamboyant. Car l'art approfondi de la photographie ne consiste pas seulement à appuyer mécaniquement sur un bouton. Il dispose d'une gamme de filtres, de diaphragmes, de zooms, de techniques d'exposition, qui lui permettent de capter les fréquences, les rayonnements les plus subtils en provenance de l'espace et de la matière, et qui concourent à la représentation du réel, dans une totalité transcendée. Car la finalité de l'art est de révéler l'existence de réalités cachées que notre esprit reconnaît pourtant aussitôt pour les avoir déjà secrètement perçues et mémorisées dans les profondeurs de l'inconscient. Le photographe en cela, comme le peintre, travaillent, certes, à restituer l'apparence du réel, mais surtout à en pénétrer toute la richesse et la plénitude, à en explorer la part d'absolu, à en accroître la vision et la résonance intérieure, à en projeter la puissance d'évocation dans une dimension inattendue de notre conscience.
En deuxième lieu, nous découvrons avec émerveillement que cette photographie nous parle comme le ferait la parole du prophète ou du chamane. Elle nous délivre assurément un message sur nous-mêmes, sur notre appartenance à une dimension, à une essence supérieure de l'être. Cet instantané contient en effet une énergie, une émotion, comme une intensité dramatique où nous ressentons tout le mystère de notre identité profonde, de notre union spirituelle avec le monde, et pour ainsi dire tout le prolongement de notre propre intelligence.
Ce tableau semble représenter à la fois une idée et un acte, un sentiment et une volonté. J'y perçois, comme dans un miroir de moi-même, toute la petitesse, mai aussi toute la grandeur de mon propre destin, car il se fond dans une perspective presque héroïque, par l'effet même de sa propre insignifiance, dans l'immensité prodigieuse de l'univers.
J'ai gravi tant de fois cette terre abrupte, mon souffle tant de fois s'est mêlé au vent qui bat les crêtes et fait chanter les forêts. C'est comme si cette volonté qui a guidé, qui a soutenu mon ascension vers ces hauteurs inspirées s'était unie à jamais à celle qui créa et façonna ce monde et en anime éternellement la splendeur.
Honorius/ Les Portes de Janus/Le 2 février 2021
PS: La dignité de l'être humain repose sur le respect qu'il doit à la dignité de son prochain, mais aussi sur celui qu'il doit à la dignité de la Nature.
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