mardi 30 mars 2021

La fin de l'homme

La Beauté de la Nature! Nous ignorons à quel point ce prodige est une chose exceptionnelle, pour ainsi dire unique, dans l'état infini de la Création. Pourtant il n'y a bien que la main criminelle de l'homme capable de l'anéantir par intention. Il faut que l'humanité ait épuisé en elle toute ressource spirituelle pour se livrer, jour après jour, à cette abominable prédation matérialiste, à ce cynisme méthodique de destruction. Même ses créations se retournent contre le principe de la vie, à force d'excès de rationalisme, d'instinct d'accaparement, de soif intempérée de domination. Suffit-il d'avoir produit Homère et Mozart, d'avoir érigé jadis Les Pyramides et le Taj Mahal, pour échapper au sort lamentable qui attend cette engeance de pourriture? Comme disait Emil Cioran "La fin de l'homme est non seulement prévisible mais souhaitable. La prolonger indéfiniment serait indécent".

Honorius/Les Portes de Janus/Le 30 mars 2021





dimanche 28 mars 2021

Métaphilosophie

Maintenant que j'en suis rendu à l'évidence ressassée de l'inanité de toute philosophie, de toute religion, de toute croyance en la Raison comme compromis improbable au problème ontologique, je me demande quelle énergie peut encore soutenir et justifier la nécessité de cette vie. Il peut encore y avoir quelque raison qui tienne à nos relations d'affection avec les quelques êtres, les quelques paysages aimés qui nous entourent, les souvenirs dont nous voudrions nous bercer jusqu'à notre dernier souffle. Il peut y avoir le choix de s'oublier soi-même dans l'élan de l'altruisme, l'amour de son prochain, l'envie, la passion de faire le bien autour de soi, et y trouver le vrai trésor d'humanité.  Mais où aller quêter désormais, dans l'expérience hébétée de l'être, cette foi, cette ferveur, pour ce que nous appelions jadis le Salut de notre âme, la victoire contre la mort, notre rêve d'éternité? 
Rien n'a décidément le moindre sens dans cette absurdité universelle, nous le savons au fond de nous-mêmes. La Providence, l'Idéal, la Destinée, la Rédemption, le Royaume des Cieux, la Vie Eternelle, et Dieu lui-même, ne sont que des mots et du vent, des fabulations invoquées dans la vanité de leurs majuscules. Alors, quel prodige d'innovation, surgi miraculeusement de cette ruine et de ce néant, pourrait encore nous conduire jusqu'aux portes du Grand Mystère, nous tendre la clef de l'Illumination? Quelle force surhumaine pourrait nous détourner de ce chemin crépusculaire où les dernières ombres du jour s'étirent? Oh je sais et je ressens intensément qu'il n'y a que la solitude du présent, l'inertie et le flux obstinés des choses, les pulsations hallucinées du silence. Je ne voudrais prétendre à aucune autre métaphysique, aucun autre idéal que celui d'un monde purifié des forfaitures: l'eau, la pierre, les feuillages, le vent, les sommets, la brume dans les vallées, la fraternité avec tout ce qui vit en paix.
Ah pouvoir se résigner au cours tragique du renoncement, s'abandonner à la langueur de toutes les abdications mystiques! Et puis, avancer sur ce qu'il reste à consumer de sommeil dans cette permanence sublime d'indifférence, la bure de l'humilité, la cendre de la déchéance sur les mains et sur le front pour ultime dignité. Rentrer définitivement en soi, méditer le hasard de la vie et le sursis dérisoire qui nous sépare si près de la mort, se sentir enfin dépouillé des superstitions de l'attente et des piétés prophétiques de l'Espérance!
L'intellect asséché de sophismes et de l'artifice désabusé des mots, l'âme épuisée des dernières indécences de la sanctification, il est temps de revenir à l'amertume radicale, à la soif grossière et organique, de se pénétrer du sens âpre et rêche des effusions sourdes de la terre, de la mélancolie taciturne de la brute. Et, paraphrasant l'Oberman de Senancour, il est doux de pouvoir enfin se dire: "Je ne suis propre qu'à finir en paix, à rentrer dans ma chartreuse avec la certitude de n'en jamais sortir. Car, je n'ai plus la volonté de rien faire pour moi. De quelle autre chose irais-je m'inquiéter? Encore quelques étés et quelques hivers, et il ne restera plus rien de cette exception hasardeuse qui fut la vie".

"Et la vie a passé le temps d'un éclair au ciel sillonné
J'écoute au fin fond de moi le bruit de mes propres pas s'éteindre..." (Louis Aragon)

Honorius/Les Portes de Janus/ le 21 mars 2021




vendredi 12 mars 2021

Les Portes du Royaume



Mon professeur de philosophie, comme je l'ai précédemment narré (Cf L'école Buissonnière), me reprochait d'un ton désolé de ne pas suffisamment me concentrer sur mon sujet et de "battre sans cesse la campagne". J'aurais pu me dédouaner auprès de ce docte enseignant de mon penchant pour la divagation en excipant de l'exemple de Montaigne, qui n'était pas en reste sur ce point et l'avouait ingénument lui-même: « Mais pour en revenir à notre propos duquel je m’étais quasi perdu », disait-il fort aimablement sans que l'on pût lui en tenir rigueur. On dira bien sûr que ce n'est pas à un esprit de la trempe de celui de Montaigne que des maîtres à penser appointés, même des plus distingués, s'aviseraient d'adresser leurs sourcilleuses remontrances. Mais venant d'un esprit de ma modeste constitution, ma répartie eût été jugée inconvenante, car Montaigne, m'aurait-on fait remarquer, est comme un vaisseau pouvant s'offrir le caprice de s'éloigner au large des côtes, dès lors que sa solide carène l'assure de se maintenir toujours en vue du cap.

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