N'est-il pas advenu à chacun d'entre nous de jamais commettre une bévue, je veux dire une de ces grosses bévues, qui nous aura fait préférer mille fois disparaître sous terre plutôt que de supporter en plein jour la honte accablante que nous en avons immédiatement ressentie. Ce genre de bévue échappée de l'aveuglement de l'innocence, de l'impulsion incontrôlée de la jeunesse, aussi bien que de cet esprit d'indiscrétion ou d'inconséquence, qui, lui, n'a pas d'âge. Je ne sais plus qui de Tchékov, de Sterne, de Heine ou de quelqu'autre de nos distingués devanciers en matière de bourde, en aura fait un jour la regrettable confession dans ses mémoires. On se sent presque un peu moins seul, au fond de cette détresse de l'intelligence, d'apprendre, au détour des livres de sa bibliothèque, que d'autres natures bien plus recommandables en ont goûté l'amère expérience. En vérité, on se sent bien seul au moment du drame, et tout aussi seul longtemps après, au fond de sa conscience.
Alors pour lever ce sentiment d'oppression, cette sorte de remords qui nous poursuit et nous crée des bouffées chaque fois qu'on y repense, le meilleur moyen, puisqu'il n'en existe pas d'autre, c'est peut-être d'aller à confesse. Dénoncer son péché à un tiers, qu'il soit le curé, l'ami indulgent, un auditoire anonyme, fût-il aussi illusoire qu'indifférent, comme celui de la présente tribune, enfin à toute intelligence susceptible de recueillir au vol l'ombre tourmentée de nos aveux, c'est déjà marcher sur la voie de la rédemption. Il y a encore la possibilité insensée de courir dans la forêt, d'y creuser un trou, y crier la honte de son forfait avant de l'ensevelir à jamais. Ce moyen, à l'occasion d'une autre cause, servit jadis de subterfuge au serviteur du roi Midas pour y confier le poids d'un secret trop lourd à porter. Mais ce n'était pas le bon calcul, car les roseaux entendirent l'aveu et le confièrent au vent qui le gonfla à son tour en rumeur qu'il répandit parmi les hommes. Non je ne tiens pas à faire une infamie de ma vergogne, ni pour moi-même ni pour les autres, je veux seulement la confier à l'oubli et aux ténèbres affligées, entre les mains des prêtres d'Osiris.
Je voyais un groupe de jeunes filles occupées au centre de la pièce à évoluer en pas de danse. Je m'avisai que l'une de ces jeunes filles sémillantes présentait un visage que je jugeai moins gracieux que les autres. C'était un jugement ou une impression que j'étais parfaitement en droit de ressentir "in petto". Du reste, il ne s'agit pas de discuter céans des critères de la beauté, tel pouvant se sentir ravi et transporté là ou tel autre n'y verrait que chose plate et terne. Mais qu'elle idée, Bon Dieu, me traversa la cervelle, cet espèce de boyau destiné pourtant à recueillir la lumière de l'esprit, en croyant devoir assurer quelque publicité à l'objet de ma réprobation. Car je ne manquai pas de le faire remarquer, d'un ton tout-à-fait péremptoire, à l'ami qui se tenait près de moi, pensant y trouver un complice goguenard. "Bon sang cette fille, mais qu'est-ce qu'elle est moche!" L'ami en question, compagnon d'étude de mon âge, me dut sans ciller cette précision: "Et bien cette fille, tu vois, c'est ma soeur!"
Si l'on n'est pas sérieux quand on a dix-sept-ans, comme disait Arthur Rimbaud, on peut être en tout cas un crétin à tout âge.
Honorius/ Le 20 juin 2021
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