samedi 24 juillet 2021

Là où tout s'efface.


                                                
Dès le premier jour nous avons été amis. Frères et soeurs en la Création, nous nous sommes mutuellement recueillis et avons marché dans la même lumière. J'ai accompagné votre existence, ce peu d'existence qui nous est tout un mystère. Et puis je vous ai vus vieillir avec les saisons, lentement, trop vite, et j'accompagne encore, chères âmes, l'une après l'autre, la mélancolie de votre inexorable départ. Je ne suis pas immortel mais mon présent est fait d'un long souvenir et de l'opiniâtreté de l'évidence. Votre coeur fut bon, bon comme l'innocence de la vie, et votre bonté m'a enrichi du meilleur. Votre destin ici bas s'est accompli et a rejoint la réalité suprême, le rêve de perfection. Vous fûtes et serez toujours cette part irréductible de l'esprit du monde. Ne dit-on pas que la vie n'est, en fin de compte, qu'une somme d'expériences dans l'évolution et l'accroissement de la conscience? Ne dit-on pas que connaître c'est aussi accepter de mourir, de partir enfin et de laisser partir? Oh la vie, cette succession de visages qui nous ressemblent et qui passent, là où tout se perd et tout s'efface! Pourtant, pourtant...Alors que je vous ai portés en terre, enveloppes desséchées et sans mémoire, alors que je vous ai vus happés par l'abîme du néant, je n'avais plus le goût d'imaginer ni de comprendre, de sonder les profondeurs de l'inconscient, d'invoquer les forces de l'illumination: J'aurais pu m'enivrer alors des grâces de la jubilation, me réjouir des confidences de l'Invisible, où je vous sais rejaillir sur l'autre rive, dans un éclat d'écume éblouie. Non, vous ne dormez pas, en vérité vous êtes éternellement en vie. Je suis resté dans l'ombre, dans l'espérance et la nostalgie, et je n'entendais pas autour de moi vos murmures de victoire. Non vous ne dormez pas, je le sais désormais, c'est moi qui suis encore endormi. Oh je ne perds rien pour attendre, me direz-vous, puisque dans un avenir qui n'est qu'un instant, j'aurai franchi à mon tour les portes du Grand Réveil. Mais on ne saurait marcher au triomphe comme on entre dans une boutique. Le Grand Passage est une épreuve et toute épreuve est faite pour s'y élever. Je dois auparavant, par amour et par reconnaissance, m'abandonner à une tentative absolue, au reste familière des bonzes, des yogis et des chamanes, mais si peu de l'être ordinaire que je m'obstine à être chaque jour: atteindre en moi le vide, en chasser toute crainte et toute peur, y entrevoir des passerelles avec la magie de l'univers, frémir des échos parvenus de l'infini, guetter les mille voix qui peuplent le silence. Oui, atteindre le vide, ce n'est pas disparaître dans l'éternelle absence, c'est s'ouvrir à la plénitude, au royaume de l'esprit. C'est l'expérience suprême du Sage, du Poète, du Jardinier, du Pélerin, de l'homme de Dieu, de l'homme de bien. Se dépouiller enfin de l'inutile, suivre le sentier d'humilité vers les sommets de l'indicible. Me reste-t-il assez de temps pour tenter d'en être digne?

Honorius/Les Portes de Janus/ Le 23 juillet 2021

"Le vide est inépuisable" (Lao Tseu)

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