Crevons d'être trop cons! |
A l'heure où le monde se précipite, dans l'indifférence générale, vers la sixième extinction de masse des espèces vivantes, causée par les conséquences de l'activité humaine, le débat divisant les tenants et les opposants à la chasse, semble bien dérisoire. Aussi absurde d'ailleurs qu'un débat entre pyromanes et pompiers sur la pertinence d'attiser ou de circonscrire l'incendie. Cela devrait pourtant sauter à l'esprit comme une évidence qu'ajouter au désastre en cours une activité de destruction du vivant, qui plus est dite de loisir (ainsi que la qualifient les chasseurs eux-mêmes), est un non-sens absolu. Nous vivons hélas à une époque où le non-sens le plus éclatant ne soulève aucune objection collective déterminante tant il est présenté comme une sorte de "vérité alternative". Une époque désemparée où l'ahurissement primaire d'un Willy Schraen, ce poussah répugnant à la tête du lobby national de la chasse, prévalent sur les avis éclairés de la communauté scientifique. Mais notre monde de médiocrité ne s'encombre pas, il est vrai, d'avis éclairés. Et ce qui est encore plus affligeant c'est que des personnages aussi misérables que ce funeste Schraen bénéficient des honneurs et des sollicitudes de nos vénérables institutions.
Historiquement la chasse, en tant que loisir, n'a jamais été que celui de la noblesse, qui s'adonnait particulièrement à la traque du gros gibier. Le manant, quant à lui, devait impérativement s'éloigner des garennes sous peine du cachot ou de la pendaison, et se contenter, dans le périmètre des communaux, d'une petite chasse vivrière pour le complément de son alimentation. C'est dire que la conception moderne de la chasse comme activité de loisir est tout simplement un héritage de la nuit du 4 août 1789 où fut décrétée l'abolition des privilèges, une revanche du ressentiment des gueux contre les anciens maîtres, en quelque sorte. Une revanche qui a fait du gras depuis cette date mémorable. La chasse à courre, quant à elle, n'est d'ailleurs aujourd'hui qu'une singerie sociale de l'exercice d'anciens privilèges, une cabotinerie anachronique de nouveaux riches. Pour qui a étudié l'histoire dans ses racines médiévales, la noblesse montée n'avait d'ailleurs rien de très huppée ni de très romantique et l'on y préférerait, à tout prendre, la geste certainement plus éduquée des troubadours. Cette noblesse au parler rude, aux moeurs violentes et aux mains caleuses de paysans, ne fut jamais pendant des siècles, qu'une cohue tapageuse et inculte. N'attendons guère mieux des autres, de ce Tiers-Etat vindicatif qui constitue aujourd'hui le gros des troupes, il n'est hélas, dans l'effondrement en cours, qu'une de ces lies épandues du pire à laquelle Monsieur le Préfet ne ménage pas les courbettes administratives.
À considérer la littérature réglementaires traitant de la chasse, une constante se dégage dans sa définition, pouvant être résumée ainsi: "La chasse est une activité de loisir prioritaire sur tous les autres modes d'utilisation de l'espace naturel". La notion d'utilité publique qui justifierait pourtant ce défouraillement n'y repose jamais que sur des considérations oiseuses, dépassées et très peu scientifiques.
Comme nous l'avons évoqué, les lois et les réglements, les représentations et les relais institutionnels, veillent férocement à garantir à la chasse son statut de précellence dans la hiérarchie des normes sociales et environnementales. De ce fait, le chasseur, l'homme armé en général, jouit dans notre "Doulce France" d'une espèce de considération bien supérieure à celle du reste de ses concitoyens. Lorsqu'un conflit éclate entre des chasseurs et des tiers, par exemple des randonneurs, il ne faut pas s'étonner que les pandores, intervenant sur place pour rétablir l'ordre républicain, se rangent naturellement du côté des chasseurs pour repousser les randonneurs. C'est ce qu'on appelle la solidarité entre porte-flingues. Et puis un pandore est d'ailleurs souvent lui-même un chasseur, un adepte de stand de tir ou de ball-trap, qui plus est mâtiné d'un quadiste, ce qui, du point de vue de la morale et de la dialectique, est double dommage et préjudice, une régression dans la voie perfectible de l'hominisation.
On remarque aussi que le chasseur, fidèle à sa ritournelle, se présente tantôt comme un passionné de son art (Pan dans le caisson!), tantôt comme un défenseur des traditions (Pan dans le buffet!), tantôt comme le régulateur providentiel proche de la nature (Pan dans la besace!). A croire qu'on aurait tout intérêt à se faire un ami d'une personnalité aussi généreuse et complète. Nous savons cependant que les politiques cynégétiques dites de régulation, dans notre pays de mentalités obstinément bornées et archaïques, sont de faux-nez grossiers dissimulant des trafics et des pratiques ignobles. Et que dire de ces méthodes cruelles de traque, de capture et de mise à mort magnifiées au nom de la culture, de l'héritage et de la tradition? "Il n'est plus longue et ferme tradition que celle de la bêtise", eussent pu dire Horace ou Sénèque. Tout cela est connu, admis, toléré, garanti et protégé. Et que dire encore de ces tragédies, de ces balles "perdues", déviantes et zigzagantes, qui malgré "tout le travail énorme fait sur la sécurité" viennent dézinguer le tout venant. "Nous insistons pourtant continuellement sur la formation", "le risque zéro n'existe pas", se justifient les trognes agréées. Et oui, personne n'y peut rien "C'est la faute à pas de chance". Et passé le bruit et le remous de circonstance, rien n'est jamais remis en cause. Les morts se taisent et le loisir est sauf!
Mais revenons au coeur du propos duquel je m'étais quasi-perdu, comme disait Montaigne. Il tombe sous le sens que la question qui devrait être posée est par exemple la suivante: Quelle part peut-il être utilement concédée, si tel est le cas, à l'exercice de la chasse dans la seule fin de préserver les équilibres fondamentaux et durables de la biodiversité? Cette question, on s'en doute, induit la nécessité d'une pratique extrêmement plus restrictive et raisonnée de l'action de chasse. Celle-ci doit s'intégrer dans un système de gestion prenant en compte de manière bien plus éclairée qu'elle ne l'est habituellement, tous les facteurs d'équilibre de la chaîne écologique, notamment celle de la prédation naturelle entre les espèces sauvages. Cette considération suppose de proscrire l'élimination systématique des prédateurs et d'évacuer la conception absurde selon laquelle un prédateur est en concurrent privant le chasseur de l'objet de son affection et de sa sollicitude. Ce renversement des postulats en faveur de celui de la préservation de la biodiversité, a pour conséquence de limiter au minimum l'intervention de l'homme, laquelle est beaucoup moins nécessaire qu'on n'imagine dans ce domaine, comme dans bien d'autres, tant ce trublion de l'univers se croit partout indispensable. Car c'est bien l'activité humaine, enflée de haine et de bêtise, qui est la seule responsable du chaos en cours et non le droit des espèces animales à partager modestement notre séjour commun sur terre. C'est une évidence dialectique tout autant que scientifique parfaitement documentée: La chasse ne doit prélever que le strict nécessaire dans le milieu naturel, avec parcimonie et discernement, c'est-à-dire avec intelligence. Avec discernement et intelligence? Tout de suite les grands mots! La voilà bien la dictature écolo! C'en est trop pour les jacquous et les croquants dont les exigences à ce que rien ne change, dans le mal et dans le pis, font piteusement trembler la République, font flageoler dans leurs officines tous ces élus locaux suant de trouille pour leur réélection.
Pourtant c'est bien le postulat d'activité de loisir, cette prérogative de donner la mort à des fins récréatives, qui constitue aujourd'hui une insupportable anomalie de l'intellect. Mais qu'a-t-on à faire ici des exigences morales de l'intellect quand tout vous donne licence de vous avachir, de vous vautrer dans la grossièreté? Instrumentaliser, réglementer, codifier l'écosystème comme un espace prioritairement réservé au défoulement cynégétique, voilà donc la mission de nos institutions, complices serviles de l'esprit de lourdeur et de déraison. La chasse, comme destruction de la biodiversité sous couvert de régulation menace de manière irresponsable l'autorégulation naturelle des espèces. Ils verront bien, les bougres, à l'heure douloureuse de faire les comptes, qui est le vrai nuisible dans cette triste histoire.
Nous le voyons partout autour de nous: Calomnié, méprisé, meurtri et martyrisé, le monde vivant se meurt sous le coup des calamités provoquées par la main criminelle de l'homme. L'une d'entre elles, la chasse "qui est notre loisir et notre passion", impose une emprise aux conséquences catastrophiques sur l'environnement, comme cet autre calamité dont se targue la beauferie ordinaire, cette pratique inconsidérée des sports mécaniques de loisir dans les espaces naturels. Chacun, me direz-vous vit à sa façon sa quête de sens et de beauté!! Il faut simplement choisir entre le flingue, le quad ou la quiétude de la marche à pied.
Pourtant il n'est nul besoin de tuer ni de saccager pour se sentir libre et fort, nul besoin d'asservir et de détruire pour ressentir le goût de la vie. Si nous sommes collectivement incapables d'élever bien au-delà de nos turpitudes la conscience morale de notre rapport au monde, si nous sommes incapables de nous amender et de demander pardon de nos erreurs et de nos crimes, alors nous méritons l'enfer qui s'ouvre sous nos pas. Comme disait Guy Tarlier sur le plateau du Larzac: Et à la fin, crevons, oui, crevons d'être trop cons!
Honorius/ Les Portes de Janus/ le 22 février 2022
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