samedi 23 avril 2022

Est-ce encore Toi?



La journée s'achève comme le cours de ce fleuve expirant lentement vers l'estuaire. La vie t'a offert ses prairies de lumière et ses saisons d'espérance, tout autant quelle t'a infligé les blessures de ses écueils. Et qu'importe les blessures, tout apparaît sans prix à l'heure de la beauté tragique des dernières lueurs du jour. L'horizon s'obscurcit dans l'ombre titubante, où des errances de brumes étouffent les dernières sonorités du monde. Lentement ce monde s'est immolé en toi, n'y laissant qu'une grande maison vide affolée de stupeurs, une intimité désertée aux archives closes. Le verbe déchu où les mots inaudibles n'ont plus de prise sur les échos du temps, s'enfuient et se dissipent comme un voile de poussière. Te voici, livrée à l'extase triste, contemplant de ton regard figé l'inexorable naufrage de l'évidence. Ce naufrage, c'est le flux de l'esprit qui se libère et qui, étonné de vertige, s'apprête à prendre son envol comme un oiseau bleu dans le vent. Là-haut, là-bas, mène ton chemin et déjà, purifiée, tu frémis de partir, de t'extraire peu à peu du vieux carcan de la conscience, de la pesanteur cérébrale, comme la chrysalide s'ouvre à l'aube inconnue. Oh te sentir céder au sommeil, aux douceurs de l'anéantissement, glisser dans cet enfer d'innocence, dans cet abandon où toute lutte est vaine, et ce cri désarticulé que tu n'as presque plus la force de balbutier, juste d'un souffle épuisé de détresse! Demain n'a plus de sens, c'est un autre jour qui ne viendra plus, plus comme avant. Demain s'est arrêté maintenant, pour combien de temps? Avant, c'était le coeur vivant de la mémoire, la patience du courage et de l'obstination, le récit endurant de ta volonté. Les souvenirs déjà n'ont plus de visage, tout se trouble et s'efface sous la torpeur lacérée de ton front, tout ce qui était ta fierté et ton exigence. Ton corps se déleste des mythes de la chair et des lignages de l'histoire, tandis que tes yeux ne reflètent plus que l'abîme de l'absence, la blanche résignation de l'oubli. N'est-ce pas là l'offrande de ce ciel sans désir et sans attente, l'antre de la Gorgone, où l'oeuvre du temps vient clore l'accomplissement de ta douleur et de ta solitude? Les preuves d'amour, les regrets, le pardon, tout cela tu le reçois comme une absolution, tout comme un viatique. Je regarde tes pauvres mains, ton visage effondré, tes yeux qui ne savent plus. Et je te veille déjà comme on veille ceux qui nous quittent. Oui, aujourd'hui, demain, n'ont plus de sens et je n'aurai pour toi bientôt plus de nom. Est-ce encore toi, cette petite fleur séchée dans les oraisons de l'hiver, est-ce encore toi, maman?

Honorius/ Le 23 avril 2022


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