mardi 15 septembre 2020

La cata


La Californie était naguère une terre verdoyante parcourue de rivières riantes. La terre des rêves d'aventure et de bonheur. Depuis plusieurs années, l'accélération effrayante du changement climatique, avec ses sécheresses et ses incendies géants dévastateurs, conjugué aux effets délétères de la grouillerie humaine, transforme cette terre fertile en désert lunaire, où plus rien n'est destiné à vivre, où règnent la soif, la désolation et la misère morale. Quel avenir l'être humain peut-il encore espérer pour son espèce dans ce cercle de calamités? S'accrocher encore à une société de consommation moribonde, les pieds dans la cendre, à errer dans l'hébétement de sa propre déchéance? Les images de la catastrophe qui s'abat en Californie nous donnent une représentation du désastre qui s'annonce partout dans le monde.

Le tocsin sonne depuis des années, mais nous méritons toujours nos Trump, Bolsonaro, Poutine ou Macron, lequel ne vaut guère mieux que les premiers et tant d'autres, sous le rapport de la conscience écologique. Nous savons que l'effondrement environnemental et l'emballement du déréglement climatique sont notre prochain enfer sur terre, là, maintenant, dans les quelques années qui viennent: l'agonie sur le bitume, la gueule ouverte. Ah nous avons belle allure avec nos concepts de management, nos règles budgétaires, nos normes administratives, nos credo de croissance économique, nos modes, nos médias et notre politique!

Et puis, pour couronner le tout, s'est répandue cette pandémie mondiale du coronavirus, en quelques mois, comme un vent mauvais échappé d'une outre percée, qui vient ajouter à la puanteur ambiante des stupeurs de zombies masqués et confinés, transis de peur et de soumission. A se demander s'il est encore moralement tolérable de continuer à mettre au monde l'innocence sacrifiée de nos enfants. C'est une véritable "cata", tout se délite, jusqu'à la syntaxe, oui je dis bien la syntaxe, support de la logique et du raisonnement, de la conscience articulée de l'être, gagnant comme une gangrène de mimétisme anglo-saxon, ceux-là mêmes qui, à tous les échelons de la vie sociale, ont la responsabilité de la parole publique. Ils ont fait de la langue un idiome claudicant et sonnant creux, c'est dire le prix qu'ils attachent à leur propre clairvoyance.  Aussi, je suis à deux doigts d'affirmer que les crimes contre la syntaxe sont autant de lésions de l'intellect qui trahissent à leur manière le relâchement mental qui précède l'affalement et la chute ontologiques, laquelle semble aller de conserve avec la ruine du monde. Je suis enfin soulagé de l'avoir confessé.  

Autrefois en 1348, lors de la peste noire, la septicémie bubonique abondait les charniers et égayait les danses macabres. La terreur paralysait l'ordre social dévasté, les villes dépeuplées étaient livrées aux miasmes et aux rats, les campagnes incultes ne nourrissaient plus que de racines des bandes de spectres errants. Qu'en sera-t-il cette fois-ci de l'humanité face au chaos climatique et au nouveau fléau pandémique, celui-ci et ceux encore à venir? A n'en pas douter, des coupes s'abattront sur sa vision misérable du monde où elle n'en finit plus de dépérir. Il y aura comme de la brouille noire sur les écrans, comme des "bugs" dans le "tout connecté", des trous béants dans les "programmes télé", des avis de cyclone dans le foutoir mondialisé et des carcasses calcinées au bord des routes. On nous prédit encore que l'automne sera meurtrier, que la Faucheuse fera ployer de nouvelles moissons macabres. Qu'importe, nous pouvons compter sur le verbiage médiatique pour combler les vides et la solidarité des possédants pour assurer l'engrangement de leurs dividendes. Mais le temps presse. La mort noire n'épargnait jadis ni les rois ni les papes, les nobles, les gentes dames ou les bourgeois bien nourris, comme le montre les fresques hallucinées de Brueghel l'Ancien. Le bacille n'avait cure de la particule, du rang ou de la bourse bien garnie et les fosses communes étaient un exemple de mixité sociale. Aujourd'hui le monde brûle, la banquise fond, les rivières s'assèchent et les forêts se meurent. Et comme si le désastre en cours ne pouvait suffire au malheur universel, le nouveau virus en rajoute à son aise, répandant au sein des foules stupéfiées les visions d'effroi de l'Apocalypse.
 Le cynisme, lui, qui tire depuis toujours tous les profits du pire, finira lui aussi par rendre gorge, au milieu de la débandade générale, dans l'infection des caniveaux, car il ne restera plus rien à vendre ou à acheter dans ce "monopoly" de folie et de mort.
Je n'ai plus le droit, en théorie, d'approcher ma mère de peur de l'exposer au risque d'une contamination dont mon corps, à mon insu, contiendrait le germe. Et ma mère me demande: "Quand pourrai-je enfin t'embrasser avant de mourir?"
Le constat, après tant de millénaires d'évolution, est collectivement accablant. Notre espèce humaine n'a fait de son destin sur terre qu'un objet infini de tristesse et de pitié; sa bassesse et son aveuglement n'inspirent décidément que le mépris.

Je suis entré dans le mois de septembre de ma vie. En vérité, je me sens las du fardeau de mes indignations et de mes révoltes. Je ne voudrais plus songer qu'à jouir de la lumière paisible du soir, jusqu'au dernier solstice, où je rejoindrai à mon tour les ténèbres.

Toutefois, aurai-je encore le loisir, avant que tout ne roule dans l'abîme, de goûter ce moment philosophique, celui qu'évoquait Etienne de Senancour (Oberman): "L'homme connaîtrait-il la longue paix de l'automne, après l'inquiétude de ses fortes années? Comme le feu, après s'être hâté de consumer, dure en s'éteignant"... "Je trouve plus de repos vers le soir de l'année: et la saison où tout paraît finir, est la seule où je dorme en paix sur la terre de l'homme".

Honorius/ Les Portes de Janus/ 15 Septembre 2020


Etienne de Senancour (1770-1846)




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