jeudi 10 septembre 2020

La Montagne sacrée (18) Retour au Pays de Salers

Retour au Pays de Salers

La croix des vachers au sommet de la Roche (2 septembre 2020)

Enfin, retourner en Auvergne, l'Auvergne profonde, la province mystérieuse et impénétrable, celle dont les anciens voyageurs, passant par le Bourbonnais en direction du Forez, du Lyonnais ou du Dauphiné apercevaient au loin, non sans frissonner, la sombre fantasmagorie de l'inconnu et de l'isolement. Franchir enfin la frontière sauvage par les hauts plateaux mornes et déserts du Cézallier, où rien ne vibre que le ciel exalté et l'océan des herbages, puis pénétrer, comme mû par un désir étrange de s'y perdre, à travers les massifs tumultueux et l'ombre des crêtes, au "Pays des Hautes Montagnes d'Auvergne", le coeur secret du Cantal. Il y a comme une violence de purification à se laisser porter par l'attrait irrésistible de l'oubli et de l'émerveillement, à se fondre dans l'écoulement limpide et l'écrasement sublime des éléments, à s'abandonner à la paix austère de la pénombre, à gravir comme un pénitent illuminé, les sentiers éperdus de l'origine, à épouser avec jubilation l'âme primitive et brutale de la terre, pour renaître sans fin dans des éblouissements de vertige et de lumière. 

Le tintamarre qu'agitent en tous lieux les crécelles du Covid 19, les clameurs misérables de cette humanité qui rampe socialement dans sa propre aliénation, toute la faconde assourdissante des médias et des cliques, viennent enfin mourir au pied des remparts infranchissables de la géologie et de l'esprit. Se sentir enfin détaché du souci et de la pesanteur, lavé de toute la merdasse où s'incague la vie ordinaire (locution, à mon corps défendant, que n’aurait pas reniée la truculence rabelaisienne), se sentir délesté de l'ordre et de l'injonction, de la docilité et de la peur, rendu à la liberté dans le giron suprême du temps et aux sources apaisantes de l'espace, cela vous rehausse à un état supérieur du sentiment de l'existence!

S'il est un bonheur de toute pureté c'est bien celui que nous buvons à l'onde des prairies célestes, à la roche noire et luisante des sylves, dans ces instants éphémères d'infinie bonté que nous offre la grandeur stoïque de la Création.

Nous avons suivi le pèlerinage rituel jusqu'à la Roche, sur les hauteurs de Saint Projet de Salers. Cet éperon de solitude, où s'enracinèrent jadis les anciennes lignées valeureuses de nos prédécesseurs, forme un promontoire de vigilance sur le passé et l'avenir, sur les vallées écoulant leurs torrents vers la ligne de l'océan, sur les cimes primitives d'où jaillissent les forêts murmurantes de l'aube. Il demeure dans la matière et l'essence des éléments qui nous environnent comme l'instinct chamanique d'un vieux langage familier, l'intuition d'une identité, d'une voix, l'immanence d'une réponse, pure comme une évidence, une parcelle infinie de nous-mêmes nous rappelant à l'inquiétude de notre propre éternité.

Ces lieux de permanence ont la signification d'un site moral, où convergent les énergies de l'esprit. Le temps ici est à la mesure des chaos telluriques et nos silhouettes éphémères y glissent si furtivement comme l'ombre d'une ombre. C'est dans le berceau à la fois paisible et tourmenté de l'être et du néant que nous venons chercher un sens profond à notre présence au monde, y questionner le coeur de notre propre mystère.
Henri Bosco, évoquant le sentiment qu'inspire la solitude sauvage de la terre, avait cette formule: "L'esprit n'y reçoit plus les seuls conseils de la raison, mais y devient sensible à d'autres messages. C'est le sol d'élection du souvenir et de l'attente" (in Hyacinthe). Oui le souvenir, comme la révélation de l'enracinement et de la violence irrésistible de la volonté, oui l'attente comme ce coeur battant, ce principe universel qui nous maintient encore en vie, qui élève notre conscience à l'idée de notre propre destin. 
C'est comme si nous cherchions à entrer en contact avec quelque chose d'incroyablement plus grand que nous-mêmes, un cosmos sublime qui nous convie et nous appelle et auquel nous appartenons en toute plénitude. C'est comme un abandon à une puissance qui augmente à l'infini le flux de notre vie intérieure, nous fait don d'un accroissement de notre âme, la délivre des lassitudes machinales du corps et des tensions de l'organe cérébral par une dissolution éblouie dans le Tout. Nous y atteignons le coeur du langage, libérés de l'impuissance des mots. La réalité matérielle et organique qui nous entoure, qui fonde le sol où nous marchons, qui donne prise à toute notre avidité d'exister, à toutes nos sensations décuplées, semble traversée par un souffle mystique. Le monde, devant nous et en nous, dans un état serein de perfection, s'ouvre comme un horizon infini vers la vie éternelle.

Honorius / Les Portes de Janus/ 10 septembre 2020

Le Fau vu de la Roche. Au loin le Puy Mary


Les prairies du ciel entre Salers et le Col de Néronne
(Saint Paul de Salers)

Vue sur la Vallée de Récusset à St Paul de Salers

La Vacherie du Colombier, vallée de Bonnaves à St Projet

Sur les crêtes du Puy Chavaroche

Dans le Bois Noir

à Salers

Le Puy Violent à Saint Paul de Salers


Grange aux Grosjean à La Peyre del Cros (St Projet)


Cascade dans le Bois Noir


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Pour rechercher un article

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *

Archives du blog