Toute la finalité de l'existence humaine se résume aujourd'hui à la question de la consommation. Le sens même de la liberté semble réduit à ce seul impératif qui est de consommer, consommer, jusqu'à la nausée, toutes ces montagnes de produits et de services dont nous n'avons pour la plupart aucun besoin essentiel. Toute l'économie planétaire est organisée sur cette absurdité: produire et consommer ce qui ne sert à rien ou à si peu de chose en fin de compte, dévaste les ressources de la terre, humilie l'intelligence de la vie et asservit l'autre moitié de l'humanité pour les produire. Quelle est aujourd'hui la seule aspiration, le seul élan qui puisse encore mobiliser l'âme des foules? L'orgie matérialiste du "Black Friday"! C'est tout dire. Il aura fallu un million d'années d'évolution de la conscience, depuis l'Homo Erectus, pour en arriver à ce point stupéfiant de misère morale. La liberté de penser, de créer, d'imaginer, d'agir pour nous dépasser, pour sortir de ce tunnel absurde semblent complétement absents de notre volonté de destin collectif. Avons-nous seulement encore une quelconque volonté, au-delà de cette inertie machinale de balbutiement qui nous maintient dans l'ornière infernale? Nous sentons bien que nous sommes parvenus à une fin de cycle, que nos vieilles croyances, nos vieux discours et nos vieilles habitudes ne reposent plus sur aucune promesse crédible d'avenir et que tout est sur le point d'être emporté. Face aux secousses environnementales, climatiques et sanitaires inédites qui ont déjà commencé à décimer la vie sur terre et à ébranler les fondements vermoulues de la civilisation humaine, nous ne voyons nulle part que celle-ci soit capable de se réinventer. Les Etats, les oligarchies, les possédants s'accrochent aveuglément aux conceptions sans vertu d'un monde qui se meurt. Le désastre est en nous et autour de nous, mais nous voyons tous ces misérables aux manettes, pris de panique, piteusement rafistoler les craquements de la machine essoufflée avec des rustines et des sparadraps de fortune, priant pour que le vieux moteur poussif continue cahin-caha d'avancer encore le plus longtemps possible dans la même direction.
Henri Bergson nous rappelle utilement qu'"il n'y a pas de plus grands ennemis, dans la cité, que l'esprit de routine et l'esprit de chimère. S'obstiner dans des habitudes qu'on érige en lois, répugner au changement, c'est laisser distraire ses yeux du mouvement qui est la condition de la vie".
Le défi qui se présente à l'humanité est de ne "pas perdre l'esprit" face à la submersion du matérialisme. Elle s'attarde depuis bien trop longtemps à une croisée de chemin fatidique où la direction qu'elle doit résolument prendre précipitera son propre déclin ou lui permettra d'élever sa conscience dans l'aventure spirituelle.
On consultera avec intérêt le même Bergson (in "Mélanges", Presses Universitaires de France-1972) nous livrant des propos lumineusement intuitifs sur cet élan vital qui détermine le destin de l'être, qu'il nomme esprit ou volonté. Ces propos ont trouvé en moi des résonances d'une extraordinaire intensité. Les mettre en parallèle avec l'état mental actuel de la civilisation humaine nous laisse perplexes. L'être humain en effet, submergé par ses pulsions matérialistes qui l'ont conduit au bord du gouffre, est-il arrivé au terme de ses possibilités d'évolution spirituelle, a-t-il encore la force de recréer son destin? C'est assurément un sursaut spirituel, une révolution de la conscience qui le rendront à la vie éternelle. Ce nouvel élan devra se frayer une voie de rédemption à travers les résistances formidables des pesanteurs matérialistes. Notre génération assiste actuellement à la tempête que son inconséquence et celle de ses prédécesseurs ont déchaînée sur le monde et aux prémices du naufrage. Gageons que celle de nos enfants saura inverser le cours des périls et conduire sa trajectoire vers de nouveaux lendemains.
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