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Estampe de Fançois Hurez, vers 1817 |
Un exemplaire ou une reproduction de cette estampe, datée d'environ 1817, était affichée chez mon oncle Henri (le frère de mon père) contre un mur de sa maison des Fours à Etigny. Nous y voyons figurer les différents degrés de l'âge de l'homme et de la femme selon la représentation sociale de l'époque.
Je me souviens qu'elle me causait une forte impression, comme toutes ces choses anciennes et hiératiques et donc un peu mystérieuses.
Je comprenais, en ce qui me concerne, que mon âge me plaçait à peine au-delà de la première marche, à gauche du podium élevé en forme d'arche de pont. Je m'imaginais tout le temps qu'il me restait à parcourir avant d'avoir atteint ne serait-ce que la troisième ou quatrième marche, le long d'un cycle qui me paraissait une aventure interminable. Le visage de la vieillesse et de la décrépitude me paraissait alors si loin.
Aujourd'hui, je m'aperçois que j'ai dépassé largement la ligne de crête pour atteindre la première marche de "l'âge déclinant", c'est-à-dire à partir de soixante ans. On a toujours l'impression, et cela est vrai notamment pour les excursionnistes, que l'on descend plus vite que l'on n'a monté et de ce fait le temps m'apparaît aujourd'hui plus que jamais compté avant d'atteindre l'âge de la déchéance. L'arche comporte donc neuf degrés et je me situe aujourd'hui au sixième. Attention au dérapage dans la descente!
Je serais naturellement tenté de faire un bilan de ces deux tiers de ma vie qui ont déjà filé. Ai-je pu m'accomplir à la mesure de mes aspirations? Tout ce temps qui a passé, n'en ai-je pas irrémédiablement perdu la plus grande part à rebours de mes désirs et de mes espérances? Des regrets chacun peut certes en avoir à la pelle à l'orée de la vieillesse: Le regret de n'avoir pas osé au moment opportun, le regret de n'avoir pu faire le meilleur choix, le regret des mots que l'on a pas su dire au moment où il fallait les dire, le regret de s'être parfois résigné à subir plutôt que de réagir etc.
Il n'est jamais trop tard, me direz-vous, pour se faire un destin, pour se révéler à soi-même dans sa plénitude, pour tenter d'accomplir avec plus d'intelligence ce que nous avons naguère négligé, par ignorance ou frivolité. Et puis, pourquoi nous sentirions nous spécialement tentés, au soir de notre vie, de nourrir des regrets plutôt que des satisfactions et des motifs de reconnaissance? A cause du printemps et des belles années passées si vite, et qui ne reviendront plus jamais? Oh et puis, à la réflexion, il se pourrait que certains automnes soient en nous une source plus riche et plus lumineuse que certains printemps. Il est des fleurs merveilleuses, des miracles de bonheur, que l'on ne voit fleurir qu'après de longs détours, tout au bout des chemins.
C'est au coeur du mois d'octobre que les feuillages se teintent de cette couleur rouge mêlée de nuances d'oranger qui prendront bientôt des reflets de feu. La nature semble inspirée de cette énergie fatale où elle donnera tout l'éclat de sa profondeur. Certes, l'automne nous dit que le temps hâte le pas, mais il nous offre la dernière splendeur de la vie. Savourons paisiblement ces dernières années de la conscience et de la méditation pour achever l'oeuvre que nous sommes, savourons les dernières offrandes du moment présent avant de glisser doucement vers les frontières de l'existence.
Arrivés au seuil de la froide plaine, hérissée sous l'écir et toute craquelée de frimas, il sera temps de s'endormir dans les rêves de lumière, parmi les anciennes voix familières, le bruit des sources qui s'écoulent, dans l'ombre et la poussière.
Honorius/ Les Portes de Janus/ 17 octobre 2021
Donnai du pied dedans la châsse
Ilaire, ilaire, itou, ilaire, ilaire, oh ma Nanette
Donnai du pied dedans la châsse
Réveillez vous si vous dormez..
(Anonyme. Normandie. fin XVème siècle)
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