jeudi 18 août 2022

AZYA: Le retour de la Grande Ourse (3)


13 juillet. En contemplant la voûte du ciel, cette nuit, la Grande Ourse m'est apparue soudain dans toute sa netteté géométrique. Elle s'est pointée tout naturellement, sans prévenir, comme une habituée qui a sa place réservée mais qui sait chaque fois créer la surprise. Dans ce zodiaque intérieur qui jalonne ma représentation mentale du temps, je me suis accoutumé à ce que sa venue marque la dernière phase d'un cycle. En effet, elle sera présente jusqu'à la fin du mois d'août où elle viendra chaque nuit se loger au-dessus de la masse sombre du mont Popey, dans un espace reliant le faîte du frêne situé dans le pré du haut au pignon de ma demeure. Peu à peu elle glissera discrètement à droite, derrière le toit, c'est-à-dire au nord, et se perdra dans l'espace sidéral. L'été touchera alors à son terme, dans un fouillis crépusculaire et j'aurais dès lors beaucoup de choses de l'être et de la vie à méditer.
Je n'ai jamais vraiment goûté le rite congratulatoire de la nouvelle année, qui, après la piteuse quinzaine commerciale de Noël, nous convie à ces mornes platitudes dans lesquelles nous nous reconnaissons tous un air appauvri de famille. Peut-être y ai-je perdu l'innocence des origines, de cette vision, de cette image de sainteté qu'on pouvait y trouver jadis dans la solidarité des hameaux et des écarts enneigés de nos aïeux. Noël et le nouvel an, dans la chaumière de la montagne, dans la cabane de la forêt, cela avait un sens moral, cela touchait les consciences comme une magie et brillait comme une belle espérance dans la froidure des ténèbres.
Mon nouvel an intime, en quelque sorte, c'est désormais le moment où la Grande Ourse se tient en équilibre entre l'instant et le néant, ce sont ces jours de l'été finissant où je t'apporte, au pied du rosier qui pare ta sépulture, l'hommage renouvelé de ma gratitude.
La perception du temps face à l'idée de la mort semble quelque chose de si diffus et incongru qu'il pourrait paraître comme un présent absolu qui se perpétue par l'effet de sa propre immanence. Si j'étais un peintre je tenterais de le représenter comme une mer blanche de dunes, une mer désespérément tranquille et sans rivage, un espace vide, neutre et transparent parfaitement ennuyeux, comme si le temps n'était qu'un état de mort infinie. Oui le temps, la mort, reviennent toujours à la réflexion dans ce zodiaque intérieur, surtout au changement de lunes et de saisons et au mouvement de la Grande Ourse sous la voie lactée. Je regarde et je ressens le monde de ce côté-ci du miroir comme je lis un récit qui parviendra bientôt à sa propre fin, une fin pour moi, une fin pour toute ma représentation de la réalité où se résume la résonance de l'univers. A cet endroit où la chaleur de l'été assèche toute vie dans un azur de feu, où les grillons font cependant dans la nuit un concert d'une grande pureté, viendront bientôt les vents lugubres et la noirceur des frimas. 
Le renouvellement des cycles provoque en moi de ces lassitudes métaphysiques propices à la philosophie du soir. Les cercles du temps entravent ma volonté et mon énergie à renforcer en moi le sentiment même de la vie. Je m'abandonne à la langueur des choses finissantes sans oser encore leur reconnaître un nom. C'est à tel point que, quoiqu'aimant toujours lire les biographies des personnages qui ont marqué mon intérêt et mon imagination, je ressens un malaise lorsque j'atteins la relation de leur vieillesse comme si j'assistais, malgré moi, à ma propre déchéance.
22 juillet. Août approche à petit pas, et comme chaque été au moment du retour de la Grande Ourse, je me recueille au tombeau des regrets et de ton absence. Je me prépare, pendant les dernières semaines qu'il restera de clarté, à la résignation de mon propre départ, vers les collines du soir qui se profilent au au fond du tableau, comme une ligne de solstice hiémal. Pourtant ces collines ont toujours existé dans la composition du paysage, mais je les sens désormais se rapprocher inexorablement, non pas à vrai dire comme une menace, mais comme une sorte d'avènement. Chaque automne qui revient sur cette terre poser ses ailes rousses, semble être déjà mon dernier automne.
Et puis que restera-t-il encore d'espérance après ce dernier automne? Rien n'arrête plus la violence des hommes, leur soif malfaisante de jouissance et de possession. La terre qu'ils s'emploient à détruire avec tant de science, d'arrogance et de passion ne sera bientôt qu'une source tarie où plus rien ne peut vivre. Je confie mes rêves de pureté à la Grande Ourse, au long chemin de constellations que forme là-haut le "Sentier des Loups", le souvenir sacré de l'ancienne fraternité cosmique et je demande pardon, oui un pardon sans rédemption possible, pour tout le mal que les hommes t'ont fait, à toi, l'esprit et la chair de la Création.

Honorius/ Les Portes de Janus/ le 25 juillet 2022

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