Ce guide, agrémenté de notices géographiques, historiques ou artistiques signalait une louable intention de servir la démocratisation éclairée de la conscience du monde. Il est assurément un héritier direct de la collection « Sites et Monuments », publiés dès la fin du 19ème siècle, par le Touring Club de France. Cette dernière collection est de facture matérielle plus recherchée, plus luxueuse par l’aspect de la reliure et de la couverture incrustée de motifs dorés, moins utilitaire certes du fait de son format de grande taille. Elle est organisée sur une longue introduction d’une qualité littéraire indéniable, particulièrement exquise et érudite, souvent signée d’un improbable « Onésime Reclus ». Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si cette édition fut couronnée par l’académie française. L’ouvrage égrène ensuite ses articles, selon un découpage géographique cantonal et non pas selon un plan d’itinéraires, portant sur une ville, une localité, un site naturel, chacun agrémenté d’une photographie. Une carte générale de chaque département concerné par le récit est insérée à la fin. Ces cartes, établies à grande échelle, ressemblent d’ailleurs à ces anciens documents illisibles de mappemonde, chargés d’un lacis d’encre et d’enluminures, où l’on ne distingue aucun parcours et dont la présentation semble plus ornementale que fonctionnelle.
L’on voit l’usage auquel chacun de ces deux objets était disposé par son temps et dont il était le reflet. Tous deux étaient à leur manière une même invitation au voyage. Les Guides Bleus, petits livres compacts de poche ou de boîtes à gants, à la couverture souple, au texte serré sans fioriture ni image, qu’une bigote aurait pu confondre avec un missel, étaient réservés à l’usage pratique du voyageur dynamique et de l’excursionniste qui avait besoin de se repérer rapidement sur un itinéraire et des circuits. Il avait besoin de prendre à l’avance la mesure du périple, compter et organiser le temps d’une étape à l’autre, connaître si possible les commodités en matière d’hébergement et de restauration attachées à chaque site visité ou traversé, esprit vif et curieux assurément, précurseur de la société des loisirs et des foules pressées de consommer la vie. L’autre appartenait à un monde plus ancien et apparemment plus lent ou nonchalant, réservé à ces espèces d’oisifs de « La recherche du temps perdu », avec canotiers et chapeaux à voilette, où l’automobile, qui en était à ses premiers essais, n’avait pas encore supplanté le cheval, où les villes qu’il photographiait avaient comme des airs de grande place de village, étrangement calmes et désertes, aux rues pour ainsi dire immobiles, bordées de bâtiments clos et muets. Les sites naturels, les paysages qu’il évoquait, silencieux et solitaires, où les rares premiers touristes s’aventuraient avec leurs chaussures à guêtres, semblaient plus réservés à la contemplation du poète et au chevalet du peintre. Sa constitution, son format, sa substance le destinait plus sûrement au rayonnage de bibliothèque bourgeoise, comme un patrimoine que l’on bonifie, un récit didactique que l’on consulte dans son cabinet. L’âme du Touring Club de France pourrait être le miroir érudit de l’Astrée, d’inspiration académique ou universitaire, celle des Guides Bleus le prédécesseur encore confidentiel de l’office de tourisme et du guide du Routard, en passant par le guide vert de tourisme Michelin avec lequel il a le lien le plus direct de parenté. Ils ont certainement en commun l’amour de la liberté, l’esprit de curiosité et de découverte, si utiles à l’émancipation de la conscience, mais que l’on retrouve, hélas, toujours à l’origine de la corruption du monde. Chateaubriant ou un de ses contemporains, notait déjà « que partout où se développent les communications, l’esprit de destruction accourt ».
Honorius « Les Portes de Janus » 24 décembre 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.