dimanche 10 août 2025

Pauvre comme Villon

Ne plus se réveiller, un matin, comme ça, serait l'option la plus raisonnablement admissible pour une tombée de rideau. On n'imagine pas à quel point, rouvrir quotidiennement les yeux sur la canaillerie de ce monde, quoi qu'en disent les patelinades de la raison, est devenu une sorte de scandale contre l'intellect. La misère de la pensée est absolument redoutable lorsqu'elle est associée à l'arrogance péremptoire de l'autorité et du pouvoir. On voit cela partout dans la vie sociale, institutionnelle et économique et surtout en politique. Le résultat en est des plus pernicieux car il introduit le doute sur les capacités de notre propre intelligence face à celle des petits monarques.
Mais cette arrogance du pouvoir étant une réalité aussi permanente que l'essence de la bêtise, comment espérer échapper à cette coalition de vanités aux effets si néfastes à notre intégrité morale? Pourrait-on espérer que la bêtise, à force d'enfler de grenouille à bœuf, et de comprimer cet espace aussi réduit et confiné qu'est la société humaine, puisse finir par s'auto-détruire sous l'effet d'une sorte d'explosion? Assurément cela ferait entrer un air frais et neuf par les trous béants de la déflagration.  Mais l'on sait que le naturel revient toujours au galop et que la bêtise, comme, du reste, l'amour du pouvoir, sont ce qu'il y a de plus naturellement présent dans nos constitutions humaines. Une fois chàtiés, ils se reconstituent aussitôt.
Mais lorsque la lassitude gagne nos vies et énerve nos volontés de résistance, alors il faut céder le pas en tout pour que plus rien n'ait prise, lâcher la corde qui nous retient au sol pour s'envoler comme une baudruche ou plonger dans les profondeurs comme un poids mort. Il serait tellement beau et satifaisant d'apercevoir les derniers feux de l'enfer grésiller tout en-dessous ou tout en-dessus, selon l'axe quantique de référence. Oh combien il serait doux d'accepter que plus rien n'existe, reposer enfin dans ses propres cendres.
Nous avons abondamment parlé de l'art dans le processus de rédemption, au même titre que de l'exercice de la pensée dans celui de l'élévation morale. L'un et l'autre sont comme la catharsis de notre condition peu reluisante. Je vois l'art comme un outil d'exploration des dimensions les plus intuitives, les plus secrètes du réel. Le réel possède en effet des prolongements invisibles et indicibles dont la perception exige de se départir de l'esprit de lourdeur qui entrave habituellement nos facultés dialectiques. L'art nous rapproche de la vision de l'absolu, c'est à dire de la dimension quantique. On sait ce que nous apporte l'art dans notre enrichissement spirituel par sa capacité à nous faire recevoir pleinement le monde. Il y parvient à force de persévérance et d'application en illuminant le cerveau de successions de fulgurances ou de visions, parfois même jusqu'à atteindre la totalité métaphysique du Bouddha mais ce qui vaut au sujet qui en est imprégné une sorte d'immobilité proche de la momification tel qu'on a pu le voir chez certains yogi Indiens en fin de carrière.
Mais je veux croire que je ne suis ni dupe ni même importun. Comme du Bellay, que je tiens en sainte estime et admiration pour avoir créé l'oeuvre qui m'aura toujours échappé, j'éxècre mes imperfections tout autant que je hais celles des hommes, cette grouillerie organique dont l'emprise resserre son cercle jour aprés jour, jusqu'à devoir m'écraser la poitrine, et étouffer mes derniéres bonnes résolutions. . "Il cercolo di dolore che stringe il petto", disent les Italiens. Un vrai cauchemar. Je suis fou ou bien trop lucide, je ne sais. Montaigne dirait que c'est tout un. Je sais que tout ce que j'ai aimé sur cette terre sera bientôt détruit par leur inconséquence, car leur détestation du Ciel les a rendus comme des bêtes écervelées, sans joie, sans amour et sans finesse. Il n'y a qu'une espèce d'homme cependant qui mérite actuellement mon plus grand respect et devant lesquels tous les prétentieux , les potentats, les oligarques de tout poil, les corneculs pleins de morgue et de jactance, qui croient avoir des idées originales, des visions fortes et des pensées subtiles, devraient en rabattre et s'incliner: ce sont ces êtres inégalables, héroïques, tragiques, qui, par serment, devoir de conscience, je dirais surtout par amour infini de leur prochain, se vouent corps et âme à secourir la détresse humaine: Les médecins dans l'enfer de Gaza!! Oui messieurs! Meurtris, exténués, alors qu'ils sont eux-mêmes dépouillés de tout, ils donnent tout de leurs personnes, à chaque instant au risque de leur vie. En voilà au moins qui ne seront jamais du camp des minables et des salauds.
Ne plus se réveiller le matin sans avoir à se lamenter sur l'immensité de cette violence et de ce gâchis infâme, cela s'appelle prendre une bonne résolution, aussi ferme et drastique qu'un régime sans glucide ou que l'arrêt du tabagisme. Car que peut-on contre un monde qui nous méprise et une fatalité qui nous écrase? Le mieux, je le crains, est encore d'enfouir ses rancoeurs et ses indignations et de garder, contre les vociférations, le silence d'un ermite norique. Et puis, quand une gifle nous cingle, nous imprimant ses cinq traces violettes sur la joue, (en faisant valdinguer, si l'on en chausse, la paire de lunettes de l'autre côté de la pièce), le mieux là encore est de faire patiemment le mort, attendre que le bourreau se lasse, nous oublie quelque temps et nous laisse dormir. Laissons leur détruire ce monde, si ça leur chante, aprés tout, il finira par s'effondrer sur leurs têtes de bougres et tout sera dit une bonne fois pour toute. Il faut voir la prophétie de l'Apocalypse comme la promesse hygiénique d'une bonne purge, voilà tout.

Las, un messager de l'au-delà viendrait demain me signifier mon terme, que je ne verrais pas de gros inconvénient à céder la place, à quitter cette vie, comme disait Montaigne, sans peur et sans passion, de la même manière que j'y suis entré. En vérité, rien ne me retient plus ici bas, ni par le fil de la joie, ni celui de l'espérance ni méme celui du désir. Ceux qui me sont chers et proches ont déjà accompli leur destinée ou bien y sont déjà bien avancés sans qu'il soit besoin de leur éclairer la marche. Le monde? Je l'ai glorifié et lui ai rendu tous les hommages. Mais tout y est déjà si plein de noirceurs que je n'ai plus les ressources d'y voir autre chose que ce qu'on en a fait. J'ai renoncé à l'espoir d'y trouver jamais la paix à laquelle j'aspire. Méme là oû je croyais encore terminer discrètement mes jours tout me signale que je suis devenu de trop . Alors, il ne me reste plus plus qu'à fermer les yeux, me laisser lentement glisser dans le sens de la sortie, et, enfin libre et délesté de tout, pauvre comme Villon qui disparut on ne sait où, aller trouver mon paradis ailleurs.

Honorius/Les Portes de Saturne/ le 10 août 2025


dimanche 27 juillet 2025

Ver sacrum - Le printemps sacré

Petit mémoire sur le phénomène du "Printemps sacré" en latin le "Ver Sacrum", susceptible de nourrir divers prolongements philosophiques. Ce fait culturel et historique est très peu connue en France, mais sans doute beaucoup plus en Italie. Divers prolongements philosophiques, disais-je, tels que l'idée générale du printemps, de la renaissance et du renouveau peut en inspirer depuis le terreau de notre longue tradition dialectique. Renaître à un nouveau corps régénéré ou toucher à l'infini par la conscience de l'éternel retour, cela peut donner lieu, soit dit en passant, à de bonnes résolutions, comme celle qui consisterait à perdre les quelques kilos malheureusement pris après avoir arrêté de fumer. Ou bien encore l'intention de jeter définitivement aux orties ses anciennes névroses pour un monde meilleur. Voilà bien un sujet requérant nos plus fermes capacités mentales.

Mais allons à notre sujet:

Le Ver sacrum (le printemps sacré) est une pratique migratoire caractéristique des populations pré-romaines connues dès le VIIIème siècle avant JC dans l'Italie Centrale, et appartenant au groupe ethno-linguistique dit "sabellien" ou "sabellique" (osque, ombrien, sabin, samnite, notamment).
Ce groupe provient de la deuxième vague de migration indo-européenne dite "italique" ou "italiote" et qui trouva une péninsule italienne déjà entièrement occupée, non seulement par des populations pré-indo-européennes ou italiques plus anciennes et mal connues, mais aussi par les civilisations étrusque* alors à son apogée (de la Cisalpine à la Campanie) et grecque (régions côtières de l'Italie méridionale). De ce fait ils durent se contenter des montagnes, régions arides et pauvres. Ce sont donc avant tout des éleveurs, ignorant la société des villes, à la religion animiste et magique, voire totémique comme en témoignent l'adoration du pic, du loup, du serpent, ainsi que leurs chants sacrés mystérieux et rythmés, les "carmina" (cf la République Romaine - Collection Que Sais-je).
Une de leur coutume, le "ver sacrum", lien entre terre et spiritualité, nous est connue par un petit nombre de textes qui nous sont parvenus d'historiens de l'antiquité gréco-romaine (Varron, Strabon, Denys d'Halicarnasse, Plutarque, Appien, Festus). Festus nous en donne une espèce de définition générale: "C'était un usage des Italiques. Lorqu'ils étaient entraînés dans de grands dangers, ils faisaient le voeu d'immoler tous les êtres vivants (animalia) qui naîtraient chez eux au printemps suivant. Mais comme il semblait cruel de tuer des garçons et des filles innocents, lorsqu'ils étaient parvenus à l'âge adulte, on les voilait et on les conduisait ainsi hors du territoire national."
Cette pratique migratoire résulte donc d'une offrande faite par une communauté au Dieu de la guerre Mars* (Mammers des peuples italiques en langue osque) du "printemps" d'une année, c'est-à-dire tous les enfants nés dans l'année, à l'occasion d'une calamité agricole le plus souvent. Ayant atteint l'âge adulte le groupe de jeunes gens, considérés comme sacrés, est alors contraint de quitter la communauté en quête d'un nouvel établissement. Un chef de guerre, nommé "Dux" (de ducere, conduire), est placé à la tête du groupe lequel est guidé par un animal envoyé par le Dieu, tels le loup, le taureau ou le pic-vert. Ce rite migratoire a pu être, sans qu'on en ait la preuve, un substitut à l'immolation, pratiquée primitivement
En ce qui concerne les Samnites, la tradition nous a été rapportée par Strabon, historien grec installé à Rome (68 avJC -23 ap JC) dans un récit assez circonstancié. Un groupe de Sabins fut conduit par un taureau en Campanie, au pays des Opiques (anciens habitants issus d'une première vague italique) où il fondèrent le peuple samnite. Le taureau s'arrêta à l'endroit où fut fondée la cité de Bovianum (aujourd'hui la commune de Pietrabbondante dans la province de Molise au nord de la Campanie).

Principaux peuples concernés par le ver sacrum:

Les Samnites ci-dessus

Les Hirpins (de hirpos, le loup, en langue osco ombrienne) cités par Strabon. Peuple issu des Samnites. Guidé par un loup, ils s'installèrent dans la province d'Avellino en Campanie, dans une région montagneuse appelée encore aujourd'hui Irpinia. Il furent soumis par le Romain Sylla en 89 av JC, qui s'empare de leur cité Aeclanum. Autre villes, d'après Ptolémée et Pline: Aquilonia, Abellinum (Avellino), Aequum, Tuticurn,, Beneventum, Caudium, Trivium, Compsa

Les Picènes originaires des Marches migrèrent en bordure de l'Adriatique, dans la région d'Ancône, conduit par un pic

Les Dauniens, peuple installé en Apulie conduit par un loup (mot d'origine phrygienne) ou un chacal (mot d'origine grecque) l'un et l'autre étant la racine commune du nom des Dauniens.

Les Frentans, peuple samnite, guidés par un cerf

Les Ursentins , guidés par un ours jusqu'en Campanie du Sud

Les Marses, supposés issus d'un ver sacrum d'après leur nom associé au Dieu Mars

Les Mamertins, peuple samnite, vouèrent un ver sacrum pour conjurer uné épidément. Migrèrent de Campanie en Sicile, à Messine.

Les Lucaniens, peuple osque installé au sud de la Campanie et en Calabre

D'un point de vue historique, le ver sacrum correspond très nettement à un processus d'expansion générale des peuples de la chaîne centrale vers les plaines littorales au sud en Campanie le long de la mer tyrrénienne et à l'Est le long de l'Adriatique avec les Picènes. Cette expansion entraîne le recul de la présence étrusque et grecque dans les plaines de Campanie. Les historiens modernes minimisent l'ampleur du ver sacrum dans le peuplement successif de l'Italie méridionale par les Samnites, lequel obéit certainement à d'autres dynamiques plus prosaïques touchant à la démographie et à l'environnement. En effet, la vision de ce phénomène rituel a été sans doute exagérée par l'effet de son fort symbolisme identitaire dans l'histoire des origines.

A noter que l'animal "guide" se rencontre également chez les Grecs. C'est la colombe d'Apollon qui guida les premiers colons grecs , venus de l'île d'Eubée, dans l'actuel golfe de Naples où ils fondèrent la ville de Cumes vers 725 av JC
Chez de nombreux peuples du monde (Amérindiens, Européens, Sibériens), le loup et le chien sont également des "psychopompes". Ils guident les âmes des morts dans l'au-delà. Le loup a également une fonction éducative. Dans la mythologie des Algonquins (Canada), il leur enseigna la chasse. Dans la mythologie des Indiens Pieds Noirs (Alberta et Montana), c'est le loup qui recueillit l'homme dans sa meute pour le sauver du froid et de la faim.
N'oublions pas la louve qui recueillit Rémus et Romulus, enfants, les futurs fondateurs de Rome.

*Le Dieu Mars (Arès chez les Grecs) est à la fois le Dieu de la guerre (le ver sacrum étant une expédition guerrière) et le premier mois du printemps, temps du renouveau. Chez les peuples sabelliens, le Dieu Mars est également une divinité agraire avant de devenir uniquement le Dieu de la guerre une fois qu'il sera devenu romain.

*On a traditionnellement attribué aux Etrusques une origine située en Asie Mineure mais ils pourraient aussi bien avoir une origine autochtone dès l'âge du bronze, plus de mille ans avant JC.


26 juillet 2025

jeudi 17 juillet 2025

Adieu Cerise

 


Cerise, petite chatte orpheline, a été recueillie dans les jardins du Popey le 17 juin dernier. Nous comptions sur le rôle qu'aurait pu jouer Caramelle, jeune chatte adulte, pour lui assurer le substitut d'amour maternel qui lui manquait et la protection qui lui était nécessaire. Hélas, Caramelle, ignorant tout de l'expérience de la maternité, a considéré la petite Cerise comme une intruse, et, sans pourtant se montrer agressive à son encontre, ne noua aucun lien de proximité et d'affection, et préféra s'éloigner de la cabane pour aller faire sa résidence, plus haut, dans les recoins de la "carrière". 

Je l'avoue, j'ai éprouvé personnellement beaucoup de peine à voir cette toute petite créature sans défense, livrée à elle-même. Je pensais à la terreur qu'elle pouvait éprouver seule, la nuit, dans la cabane, à ces errances inquiètes dans les grands jardins du Popey. Toutefois, nous avons tous été présents quotidiennement pour entourer Cerise de nos soins et de notre plus belle affection. Nous avions tenté de la rapprocher de Caramelle au moment de servir la pâtée et cette expérience semblait marquer quelque début de progrès. 

J'aurais aimé faire de belles projections d'avenir pour cette petite chatte, souhaité que toutes ces petites détresses qui inauguraient si injustement sa frêle existence fussent bientôt oubliées. Je l'imaginais peu à peu grandir dans ce jardin de soleil, gagner en force et en assurance. Je me disais aussi qu'il faudrait lui apprendre à retenir, dans les jeux que nous avions, l'impétuosité de sa dent et de sa griffe qui commençaient à nous aiguillonner la peau. Oui, chaque journée je lui souhaitais le meilleur, les offrandes de la vie, les promesses du jour, la victoire sur la peur. 

Hier, en fin d'après-midi, à l'heure où je me rendais dans les jardins pour ma visite quotidienne, Roland, alias Astérix, m'a annoncé la disparition de Cerise dans la matinée. Je suis vraiment trop sentimental avec les animaux. Comme je le confessais naguère: "Je m'attache à leur chaleur comme à la chaleur maternelle et quand ils s'en vont, je pleure comme un orphelin." Cerise a quitté ce monde qui lui semblait si immense qu'elle ne savait pas comment le regarder et personne ne pouvait le lui apprendre à la manière des chats. Elle n'avait pour elle que ces grands yeux ronds clairs et magnifiques, livrés à l'enchantement bouleversant de l'Univers. Nous-mêmes, nous n'étions pour elle que des "géants invisibles", dont elle ressentait cependant la présence et les accents de leurs voix, de leurs âmes, comme une source merveilleuse de bonté, de joie, de confiance et de réconfort. 

Cerise a disparu ce mercredi 16 juillet après avoir profité de ce cadeau miraculeux d’un mois supplémentaire de vie à Saint Romain, que la Providence a accordé à ce petit animal qui aurait déjà péri s'il avait été abandonné à son sort initial. Je n'ose pas imaginer les circonstances de sa disparition, sans doute quelque prédateur, un drame dans la nuit. Un mois de vie en rab, un rabiot de vie et de bonheur sous un ciel radieux, pensez-vous, cela n'a pas de prix, quelle aubaine, pour un chat, pour un chien, comme pour n'importe quel bougre d’être humain. Alors merci à vous tous d'avoir offert à Cerise ce moment de Paradis sur Terre. Nous le savons, c'est notre secret, notre espoir, notre bonheur: On ne disparaît jamais vraiment du monde et encore moins des jardins du Popey..

Honorius, ce jeudi 17 juillet 2023


mardi 15 juillet 2025

La montagne sacrée (23): L'homme de pierre (2)

L'Homme de Pierre (1739m) - Haute-Auvergne -  mardi 17 juin 2025


Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre" qui dresse son front minéral, là-haut, très haut, au-dessus des forêts noires, au sommet du Puy Chavaroche. Serait-ce le dernier devoir de ma conscience avant de rendre les armes? Je sens confusément, en moi et autour de moi, un flux sur le point de se tarir, une volonté sur le point de lâcher prise, sans contorsions ni souffrance. Qu'ai-je cherché pendant tant d'années dans cette course altière sur ces antiques promontoires de bruyère et de roche que le vent sculpte en longues chevauchées mystiques? J'aimais me plonger dans le mystère de l'itinérance comme dans la promesse d'un enchantement. Hélas, même ici, malgré les élans de pureté et d'exaltation que nous concèdent encore nos premières adorations, tout finit par être gâté par la lèpre invasive du présent. Mes craintes se vérifient jour après jour comme dans une funeste prophétie. L'homme, avec son mauvais oeil et sa mauvaise foi, se niche partout comme une moisissure, assez stupide pour ne concevoir que la morale du pire dans ses rapports au monde. Je sens partout autour de moi ces désirs de violence et de domination, cette rage de vandalisme abolir la conscience des choses saintes et sacrées, la légèreté miraculeuse de l'être. Partout je ne vois plus que des bornes arrachées de leur hiératisme millénaire, des sols ravagés, des paysages avilis, toutes ces plaies utilitaires que l'impolitesse des peuples avive avec une effrayante obstination. L'ombre de la peur et les fléaux de la convoitise n'épargnent plus la moindre pudeur cachée de la nature ni aucune des retraites magiques de l'enfance. Si je trouve aujourd'hui encore la force de marcher sur ce chemin de poussière, c'est pour recueillir à son chevet les dernières confidences émerveillée du monde : quêter, contempler ce qu'il en reste d'innocente, d'agonisante beauté parmi ce gâchis sans fin, sans plus rien en espérer, avant de disparaître à mon tour. La dernière mission de l'artiste, de l'être sensible, est peut-être de pouvoir s'effacer avec bienveillance, se fondre en souriant dans le regard épuisé du monde. C'est ainsi que je vois le dernier coup de pinceau du peintre et sa palette de rêves enfin posée dans la douceur résignée du soir. Las, je désire ne rien regretter de ma présence éphémère à cette énigme miraculeuse de l'existence, ne rien regretter de mes oublis de l'autre et de l'ailleurs, ne rien regretter des imperfections de l'inassouvi. Je vole encore vers mes dernières échappées, embrassant goulûment les nuées de lumiére. Les infirmités du temps me relègueront peu à peu dans une caverne de pénombre où plus rien de me parviendra des folles prières de la colère et des cris de la guerre. Je m'accomplis désormais en moi-même, bien plus aisément que je ne l'eusse imaginé.
Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre", me hissant par les sentiers abrupts jusqu'aux sommets fabuleux qui relient nos âmes au ciel, leurs élans d'inquiétude à l'espérance de la grande Paix. De là haut se déploient les plis du relief gigantesque que l'on pourrait croire invincible, qui l'est assurément du point de vue de l'inertie physique, mais que l'on sait déjà travaillé, miné dans sa dignité morale et esthétique, par cette grouillerie sournoise, ce phylloxéra de l'écume humaine, qui monte, qui monte jusqu'à vouloir tout engloutir des embruns de jouvence et de la sève primitive.
J'ai encore en moi, tenace, fidèle comme l'honneur, la croyance du pouvoir initiatique, purificateur de l'ascension. Celà tient à la constitution de nos pères qui vivaient constamment au contact de cette épreuve morale qu'impose l'obstination impitoyable de la montagne. Mais je suis bien loin d'atteindre aujourd'hui leur force et leur endurance, l'héroïsme de leur misère et de leur souffrance, car je reviens ici en dilettante, en rastaquouère de l'itinérance sans nul autre souci que de parfaire la délicatesse de mes sentiments.
L'ascension procure la pure émotion, et par elle, je parviens au poème absolu, revivant l'acte de création dans une sorte d'immersion hypnotique de la pensée. J'oublie enfin tout de moi, ma prétendue physionomie dialectique, prêt à me dissoudre dans l'inaudible concert métaphysique, à me réduire à cet ultime atome de jubilation contenant à lui seul toute l'espérance, le vertige impassible de l'univers. En mourant ici et maintenant, je libère l'infini de l'indicible et j'évite, par dessus le marché, d'assister au pire qui arrive.

Chaque pierre, dit-on, a été portée sur ce promontoire depuis la vallée à travers les pentes d'Emblaud, en oeuvre d'expiation, par des humbles, des anonymes qui connaissaient encore la valeur de la dignité. Mais si l'étre humain est encore capable d'espoir de rédemption, de bonté et d'intelligence, qu'en est-il de son espèce égarée, accablée de rêves de destruction? Je vois ces foules qui rient et qui grondent, courant en troupeaux effarés vers des goufres de perdition. Je vois ces incendies d'apocalypse, ces haines scélérates, ces offrandes de violence et de mort et partout la main sacrilège qui profane et qui mutile.
L'enfer s'annonce toujours sur un territoire par les discours mimétiques sur le développement économique et autres ritournelles de ce genre. Le groin des multinationales et des grands groupes financiers n'est jamais bien loin à renifler sans vergogne le fumet de leur prédation. Les premiers signes matériels bien connus accourent bientôt en éclaireurs, établissent des têtes de ponts, pour forcer ensuite toutes les digues. Equipements, infrastructures, aménagements, ce sont les désignations dont on pare avantageusement toutes ces diableries. D'année en année, à chacun de mes retours, je vois la progression des dégâts qu'elles infligent à la Terre, à l'harmonie des paysages. Je ne peux me faire à l'idée que la laideur et le chaos qu'on nous impose avec autant de brutale condescendance puissent constituer un progrès, un motif de contentement et de satisfaction. Mon Dieu, quand en aura-t-on fini avec cette civilisation du pire, avec ce catéchisme pernicieux des promoteurs et des concessionnaires? Quelle est cette soif insensée qui nous a rendu si enragés au point d'anéantir la terre nourricière qui gémit sous nos pieds? Oh dissiper enfin le cauchemar, renaître enfin à la paix et à la félicité du cœur et de l'esprit! Faire rejaillir les sources asséchées, redonner vie aux jardins saccagés et à leur saine abondance, recouvrer le sens assagi du bonheur! Telle sera la tâche de la nouvelle humanité qui vient, encore trop tiraillée, il est vrai, entre la part congrue qui y consent et celle, encore massivement majoritaire, qui ne veut rien entendre.

C'est dire à quel point l'être humain, et dans son prolongement l'être social, est ce que nous trouvons encore de plus ordinairement malfaisant au sein d'un environnement naturel. Les statisticiens appellent cela une "donnée constante". Il n'est d'ailleurs pas moins malfaisant en Haute Auvergne, d'où je rentre de ce dernier voyage, que partout ailleurs. Je crains, de ce fait, de devoir bientôt renoncer à quêter l'amour des belles choses hors de ma province de résidence, laquelle ne vaut de ce point de vue ni moins ni plus que les autres. Alors, pour se prémunir de toutes nouvelles désillusions autant rester, après tout, là où l'on se trouve, à endurer patiemment celles auxquelles nous avons déjà suffisamment affaire. Car s'aventurer, s'évader dans ces lieux censément inspirés n'ayant plus d'autre magie à offrir que les mêmes pauvretés qui font chez nous notre ordinaire n'aura évidemment plus de sens ontologique. Ai-je le tort d'être trop exigeant envers mes contemporains, de n'être attaché qu'au pittoresque et au charme des caractères désuets, de ne voir les beautés du monde qu'à travers le regard exclusif et absolu de l'artiste? Bien sûr, on pourra gloser avec plus ou moins de pertinence sur ce point, critiquer à l'envi mon sens défaillant des réalités matérielles et fonctionnelles, ma méconnaisance des nécessités incontournables du siècle... mais je ne regrette pas un instant les soubresauts de ma conscience car les conséquences de toutes ces dévastations, n'en doutons pas, se vérifieront douloureusement à l'heure prochaine des comptes, l'heure qui, en fait, est déjà là.
Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre", qui, comme Janus aux deux faces, contemple imperturbablement le début et la fin de toutes choses. Comme dit le sage chinois : "le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines. Pour eux les vivants ne sont que chiens de paille". Ce n'est donc pas tant, Dieu merci, le spectacle misérable de la condition humaine, de ses bassesses et de ses forfaitures qui présente quelque intérêt d'être contemplé depuis ces sommets du monde, que celui, réunies dans leur gloire infinie,  des merveilles de la Création. En effet, l'ascension vise avant tout au sentiment du sublime, celui du dépit philosophique et du dégoût prophétique s'éprouve, ce me semble, au long de la descente, au moment de la phase analytique.
Quoi qu'il en soit, nous l'avons dit, nous commençons à connaître le prix terrible de nos errements. La scène pastorale aura brûlé son décor, son ciel et son plancher itou, et il sera alors trop tard, je le crains, pour y réserver sa chambre avec vue. Voyez-vous, là où il n'y a plus de beauté, il n'y a plus de motif de vivre, c'est-à-dire plus de vie digne.
Du Puy Chavaroche, mon regard s'étend à l'ouest sur les crétes qui dominent l'immensité du Bois Noir dont le couvert moutonne depuis les hauteurs de Fontanges et St Projet de Salers. L'œil familier du chaos orographique reconnaît le Roc d'Hoziéres, à l'aspect d'un pain de sucre, Roche Taillade, le Roc des Ombres, en équilibre entre la vallée du Falgoux et celles de la Bertrante et de L'Aspre. Leurs sommités se succédent en arc de cercle dont la perspective se projette, au Nord, dans un poudroiement bleuté, jusqu'au célèbre Puy Violent qui surplombe la vallée de Recusset..
La prairie qui dévale en pente abrupte à mes pieds, dans une immense étendue en forme de cuvette où court le torrent d'Emblaud, rejoint  la frange supérieure du Bois Noir que l'on voit s'effilocher dans un vertigineux contrebas en écume de bronze. La paroi occidentale de la cuvette est une longue épine rocheuse aux côtes chevelus, dominée en son milieu par le Puy d'Orcet, au-delà de laquelle se précipite un deuxième glacis borné par le gigantesque Roc des Ombres et la Brêche d'Enfloquet. On ne perçoit pas d'ici la profondeur de ses grandes pentes d"herbages et de sapinières, auxquelles le ruisseau de Chavaspre, jaillissant du flanc des crêtes, a donné son nom plein de rudesse primesautière. Tout cela m'apparaît, d'où je me trouve, si dérisoirement petit et solitaire que c'en est une vraie poésie de charme et de tendresse. Je devine, éparpillé en confetti entre les mouchetures de bruyères et de genêts avec lesquelles il pourrait être confondu, un troupeau semblant appartenir à la caractérique race des vaches Salers, à peine perceptible dans le lointain. Détail aussi curieux qu'inattendu, je reconnais, minuscule, le petit bouquet de feuillus qui nous abrita des ardeurs du soleil  il y a deux ou trois ans déjà, lors d'une précédente ascension par le Bois Noir. Plus bas, en lisière de forêt, je distingue encore le vieux buron du Rauffet, petite vigie pastorale dans l'immensité de l'estive.
D'en bas, où nous étions alors, nous apercevions le promontoire de l'homme de pierre qui nous semblait encore si loin, si haut dans le ciel, et oû l'on distinguait à peine, en clignant les yeux, de petites silhouettes se mouvoir sur le long sentier de créte.
L'autre face de "l'homme de pierre - Janus" est tournée au sud-est vers la vallée de Mandailles, "vaste et superbe" comme eût dit Gustave Fraipont, d'un pittoresque il est vrai, absolument remarquable qui forme au détour du Puy Mary un immense entonnoir où culminent de multiples gibbosités dont le curieux et surprenant Puy Griou, avec sa forme de cône rocailleux. La vallée de Mandailles, dans son organisation géographique et humaine, est franchement orientée vers le grand Sud occitan en direction d'Aurillac, tandis que celles du Pays de Salers, où nous avons habituellement nos loisirs et résidence, dirigent leur tropisme vers Mauriac et le Limousin.
Ribier du Chatelet* a fait une peinture tout-à-fait exquise des merveilles de cette région du Bois Noir. On y sent vibrer tout à la fois, réunis dans un récit plein de vivacité, de délicatesse et de couleurs, la sensibilité de l'artiste, le sens minutieux de l'observation propre au naturaliste, et l'entrain de l'excursionniste. Je me délecte de ces pages comme d'une poésie tendre et naïve qui parle à l'âme éternelle de l'enfant, au désir inassouvi de paix et d'enchantement. Les cent soixante années et plus qui me séparent de ces anciens tableaux de nature sauvage n'ont rien ôté à leur fraîcheur primitive et les restituent intacts à mon regard. Il est vrai que rien ne change moins qu'une permanence géologique, qu'un paysage de montagne purgé de la présence de l'homme. Seul le manteau des forêts à pu perdre ou gagner, çà ou là, en étendue. Quant au reste, le développement de la civilisation utilitaire en a fait son affaire, il fut un temps pour le meilleur mais davantage aujourd'hui pour le pire. Un peintre contemporain ne restituerait d'ailleurs plus la méme composition des paysages, je veux parler de ces paysages occupés (avec si peu d'égard) par la société humaine. Beaucoup d'intrants jadis inexistants viendraient y faire de fort vilaines et irrémédiables taches au point que je gage que d'ici vingt ans, toute vision poétique (j'allai dire romantique) de la nature ne sera plus qu'une vieille chimère.  Bien sûr, nul ne connaît l'avenir sur ce point comme du reste, mais nul n'ignore non plus que les coteries dominantes qui y fondent leurs intérêts, avec le soutien de leurs idéologues, leurs acolytes et leurs concussionnaires (on appelle cela le "Système"), de cette Terre enchanteresse saigneront jusqu'à la dernière goutte les sources miraculeuses. Hélas, la philosophie de la nature  qui anime tout étre respectueux de lui-même et du principe de dignité en tout être et en toute chose, n'a pas le pouvoir d'éventer ce poison universel qui brutalise tout ce qui sur cette terre coule, croît et vit. Mais se peut- il qu'un jour, non pas la Raison (on voit vers quels désastres et inepties tous ceux qui s'en réclament nous précipitent), non pas la raison, dis-je, mais plutôt l'esprit de lumière, dans sa grâce et sa légèreté, l'emportera comme l'Archange Saint Michel, sur le monstre fétide de la  matière? Qui douterait encore qu'un grand combat de libération morale et culturelle est nécessaire pour régénérer le sens de notre humanité? Au point qu'il s'agit plus que jamais de choisir son camp: Schelling ou Macron, l'Elfe ou l'Orque, Ariel ou Caliban, le chef Seattle ou le général Custer. Il n'y a jamais eu d'autre "pensée subtile" que cette science mystique qui enseigne la voie du ciel et la fraternité cosmique! Le reste vaut bien peu de chose. Les hommes ne suivent plus guère les chemins de la sagesse et ne distinguent plus guère le laid du beau, le sain du corrompu. Cela peut paraître fort obscur et mystérieux mais nous gagnerions à retrouver en nous la culture des choses imperceptibles, des êtres invisibles, cette religion intuitive de l'Unité. Tout l'univers est contenu en nous comme dans l'eau d'un miroir et ce que nos sens en perçoivent est une projection de notre propre intériorité. Nous sommes nous mêmes emplis d'infini, ce que le Sage appelle Le "Vide Parfait" ou, comme nous dirions en Occcident, "l'Esprit". Certes, ce Vide n'est pas le néant stérile, sourd et aveugle oû rien n'entre et d'où rien ne sort, car comme disait Lao Tseu, le Sage en question, , "il est empli de l'inépuisable",  il est la porte du ciel et de la terre, l'origine de tout ce qui est. C'est de son essence insondable, comme d'une paix immense, que nous cherchons à être pénétrés en montant toujours plus haut sur le sentier de l'Eternel. La montagne est une métaphore utile car elle donne la représentation d'une volonté, d'un effort pour accéder à un état supérieur.
C'est ainsi que chaque homme, chaque femme devrait faire l'expérience de quelque chose qui ressemble à l'ascension du Puy Chavaroche, de préférence, pour ceux qui en auront le loisir,  à partir du col de Légal en suivant les crêtes de Cabrespine et de Cassaïre. C'est assurément une des plus belles excursions à travers les montagnes de Haute Auvergne, un des lieux magiques oû il vivra totalement l'expérience du Vide inépuisable, cette sensation d'infini et d'ivresse spirituelle qui vous plonge avec jubilation et volupté dans  l'âme cosmique, la puissance du flux universel. Combien de temps jouirons nous de ce qui reste de beauté en ce monde qui n'a pas encore été détruit?
La guerre, le chaos climatique, la famine, la folie nucléaire, les multiples calamités sanitaires et écologiques dont l'étre humain est si friand et si prodigue, nous voyons que les motifs et les causes ne manquent pas. On pourrait même les regrouper sous l'appellation collective des "prodiges de la bêtise". La bêtise a de multiples visages, on le sait. Elle niche comme ces colonies de mites sur toutes les étagéres de nos institutions. De ce fait elle n'affecte pas seulement les différents types de bougres et de rabougris sans boussole cognitive, les lourdingues du premier degré en quelque sorte, mais aussi tous ces spécimens sociaux prétendument bien éduqués, qui se signalent souvent par leur "trés bonne situation", comme dit mon amie Arlette et dont les mines arrogantes ou rougeaudes ont sans doute fort peu muté depuis les portraits qu'en firent nos moralistes latins. Si encore tous ces bêtes-là étaient inoffensifs, on pourrait sans dommage en rester au fabliau et à la comédie de moeurs. Mais non, il faut encore qu'ils aient ce pouvoir de nuisance inégalé propre à malmener le sort de nos existences et de notre environnement.
On nous dit que le sage est patient comme un chat, qu'il est un expert en décantation, qu'il se préserve par le calme intérieur et le silence et que par conséquent aucune salissure, aucune calomnie, aucune injure n'atteint son âme. Un peu comme ces étres de souffrance universelle jetés au bord des routes,  accablés d'injustices et de misères qui ne conservent plus que cette chose qu'on ne peut leur enlever: la nudité du philosophe, la foi du charbonnier, la dignité que n'atteindont jamais leurs tortionnaires et leurs bourreaux.
Je suis revenu rendre hommage à "l'homme de pierre", comme on revient dans sa demeure véritable, à sa propre source, au coeur de soi-même. J'y ai glissé moi aussi l'humble pierre qui s'ajoutera au rempart de toutes celles qui se dressent vers le ciel. Chacune de ces pierres, grosse, petite, plate, ronde, irrégulière, faite de la larme figée des volcans, renferme un voeu, une prière, une action de grâce déposés en offrandes mystiques. Et toutes ces pensées, ces symboles en perpétuel mouvement, font comme un murmure, un vague bruit de fond cosmique trés étrange et trés obscur, que le vent emporte au loin dans la prairie céleste.

*Dictionnaire statistique du Cantal , volume IV - 1856 -


Honorius- Les Portes de Janus, le 15 juillet 2025    Sur les remparts du Ciel. Pays de Salers le 16 juin 2025

vendredi 6 juin 2025

Aux sources merveilleuses de l'oubli

 

Il est l’heure, enfin,

De t’élever vers l’infini,

Sans plus rien oser ni vouloir.


Tout coule et tout passe,

Et emporte le goût du jour,

Tu es entrée dans la grande prairie,

Qui te convie, en riant, vers la rivière,

Aux sources merveilleuses de l’oubli,


Il est temps

De laisser derrière toi,

Les rancoeurs de l’histoire,

Les mythes de la chair

et les cris de la mémoire,


Bientôt tu emporteras avec toi

les sarcasmes du destin,

et tout ce qui m’unissait, par toi,

à la douleur de l’être,

à la légende éternelle

du diadème et du royaume…


Oh enfin, en toi, et loin de toi,

disparaître et renaître,

En toi, et loin de toi,

Reposer et dormir,


Tout coule et tout passe,

Et emporte le goût du jour,

Tu es entrée dans la grande prairie,

Qui te convie, en riant, vers la rivière,

Aux sources merveilleuses de l’oubli,



En souvenir d’Angelina

août 2024

dimanche 18 mai 2025

Trois mots

Je me dis enfin qu'on ne saurait résumer l'essentiel des rapports entre l'être et le monde qu'à deux ou trois choses élémentaires. Pourquoi tout serait en effet plus compliqué que ce que m'en offre le flux limpide des apparences, lesquelles suffisent d'ailleurs amplement à mon bonheur dés lors que je n'en éprouve qu'enchantement et douceur. C'est la raison pour laquelle j'emporte avec moi le sentiment profond qu'il n'est de monde réel que ce que l'âme en perçoit et que le bonheur vécu ne cède en rien à celui que renferment les sphères de la métaphysique. En fin de compte, comme disait Giono, il y a deux maniéres de voir le monde dont l'antagonisme a pris les tours d'une violence inouïe à notre époque contemporaine. La première, digne sensibilité de l'être vivant, en respecte le mystère et la magie, ne cherchant pas à en détruire l'équilibre; la deuxiéme, cynique et aveugle,  lui fait rendre gorge en voulant l'asservir et le mettre brutalement à nu. C'est la violence du capitalisme inexpiable contre lequel toute intelligence devrait pouvoir se révolter. La révolte de l'esprit contre la matière lourde et bête. Je me sens intérieurement plus riche à considérer que l'être et l'illusion de l'être se fondent dans une méme vérité. Aussi, j'emporte avec moi le secret que les vivants et les morts ont une même demeure. Je ne craindrai plus de paraître un instant ce mannequin de cire qui vient de rendre un souffle éphémère, puisque en moi et autour de moi rayonne à jamais la joie éternelle du jour.
Je retiens accessoirement qu'il vaut infiniment mieux parler le moins possible. La jactance finit d'une manière ou d'une autre par causer notre discrédit ou ...notre perte. Se taire a beaucoup d'avantages, à commencer par celui de nous faire paraître ferme et fort, ce qui nous place en bonne position stratégique et accessoirement de nous épargner le risque du ridicule.
Je pressens que ce que l'on appelle l'amour est une sorte d'illusion dont on se dessille avec quelque rudiment de réflexion et surtout beaucoup de solitude.
On ne gagne jamais assez en caractère pour espérer exorciser ses anciennes hontes. Leurs souvenirs nous aiguillonnent avec délectation dans l'horreur du détail et de fait, nous déconsidèrent douloureusement à nos propres yeux.

Ces mots pourraient être les derniers que ce ne serait ni une grande surprise ni un grand dommage. A quoi bon s'accrocher aux misérables évidences? Je serai très bientôt sevré de moi-même, lassé à vrai dire de cet interminable dialogue intérieur, ennuyé de cette petite chambre sans grâce qu'est ma fidèle et fruste caboche. Rien ne la meuble plus désormais que le méchant lit de mon début, une table de bois dépatiné et rustique, une chaise fatiguée sur ses pieds piqués. Et une fenétre aux carreaux blafards oû se profilent des embruns de crépuscule. Nature, je t'ai tant aimée, mais face à ce chaos et ce néant qui nous étranglent, qu'avons- nous encore à nous dire? Quels mots nouveaux avons nous encore à faire fleurir pour entretenir la grâce de l'illusion? Je n'ai plus guère la force de me préserver du fardeau de mes souvenirs ni d'imaginer le poids de mes derniers lendemains. La réalité physique n'a guére plus d'importance que le songe de la pensée, réunis dans une méme abstraction. Je veux bien rester encore tant que mes jambes me soutiennent  charitablement  dans le jardin des merveilles et que mes yeux plongent dans l'horizon du monde où tout glisse et se fond. Je pense que je me serais félicité sans réserve d'être celui que je fus, si j'eusse été plus audacieux, c'est-à-dire plus conscient de ma force. On perd souvent sa vie à ne pas savoir oser et en regardant les autres le faire ou le mimer à notre place.

Selon les époques de son existence, la moitié de l'humanité fait passer le temps selon ses moyens, tandis que l'autre moitié attend qu'il passe.. Voilà à quoi pourrait se réduire toute la philosophie sociale de l'être. 
Et puis un jour on se réveille pour se rendre compte qu'on y est presque, et que ce qu'il reste de temps est déjà sur le point de nous glisser entre les doigts.
Il est bien assez d'une vie d'hominidé pour se rendre compte que toute cette mascarade du sentiment et de l'être n'a que très peu d'importance métaphysique et surtout que cette chose assez nauséabonde qu'est l'être humain est de surcroît singulièrement méprisable.
Ma foi, si je crois encore aux vertus de l'homme considéré dans son intelligence et sa sensibilité individuelle, je confesse, en revanche, exécrer l'espèce humaine plus que tout sur cette terre, en tant qu'elle répand partout le pire, en tant qu'elle est, qu'elle incarne elle-même le pire contre l'esprit et la vie.
Si je devais résumer en une injonction le sens à donner à la vie, je dirai sans hésiter: Devenir meilleur!!
Si je devais donner un conseil d'ami, ce serait: Hais et fuis tout ce qui fait honte, tout ce qui rapetisse et rabaisse ta conscience morale.
Et pour le reste je recommanderai ardemment de rester curieux de tout, d'aimer la Beauté et de vivre en paix avec soi même et avec son prochain. Rien d'extraordinaire après tout, toutes ces choses là constituent depuis longtemps depuis Sénèque, depuis Saint Augustin, depuis Montaigne, une espèce de viatique et de discipline censément universelle. Mais la sagesse n'est pas le chemin le plus couru ni même le plus désiré de nos contemporains. Cinq cent mille ans d'évolution dialectique pour en arriver aux lourdeurs organiques des Trump et des Poutine, à l'arrogance des fronts étroits, c'est bien donner peu de prix aux espérances eschatologiques. Un aéronef échouant en bout de piste après avoir raté le décollage, voilà à peu près assuré le résultat de l'aventure humaine. Ce n'est pas l'Albatros de Baudelaire, c'est la crétinerie tragique des caves.

Honorius le 17 mai 2025

jeudi 20 mars 2025

D'un neurasthénique nihiliste

Nous avons tous individuellement nos propres lourdeurs, ces lourdeurs attachées à nos fonctions vitales, à nos instincts grégaires, à toute sortes de complexions de mentalité et de tempérament. Mais nous avons malgré tout, a contrario, nos tentatives d'accéder à quelque finesse et légèreté, par l'exercice de la pensée, la culture de la curiosité et du goût, ce que les moralistes du XVIème siècle appelaient la morale et la dialectique auxquels nous ajouteront, à tout point de vue, les soins attentifs de l'âme et du corps. Tendre à plus de légèreté ce n'est pas seulement, on se l'imagine, se contenter de boire de l'eau de source, entendre le latin de Cicéron ou pouvoir apprécier la délicatesse des estampes chinoises, cela devrait être, en regard de notre dignité d'êtres sensibles, un combat, une quête, une intention résolue de chaque instant d'améliorer notre conscience morale. La règle serait que chaque jour qui passe nous rende en effet meilleur, c'est-à-dire, en l'espèce, plus légers. Hélas, l'expérience nous enseigne que les appétences individuelles pour les vertus de la légèreté ne sauraient s'aggréger les unes aux autres, pour, en faisant pièce, incliner vers le cours bienfaisant de l'histoire. Au contraire, nous voyons les mauvaises forces centrifuges et réactionnaires constamment à l'oeuvre, toute la malice indifférenciée du plus grand nombre tirant du bout opposé d'un immense ahan collectif. C'est en effet ce que démontre avec véhémence la foule aveugle, la foule enchaînée aux injonctions de la société, de l'économie et de la politique, ce que Racan appelait en son temps "les tourments de la guerre, du tiers-état et du clergé". Cette muqueuse opaque et épaisse qu'est l'humanité, considérée d'une même étoffe grossière, est devenue la chose la plus affligeante, la plus pesante en l'occurrence, que le monde terrestre ait eue à supporter.

Oh, ce ne sont pas les progrès prodigieux des sciences et des connaissances qui y changeront quelque chose, les plus crétins pouvant être de ce point de vue les plus sachants en leur spécialité quand ils ne se présentent pas comme docteurs en toutes choses. Bien au contraire, étrangers par nature au perfectionnement de l'être moral, ces progrès quantitatifs ne font, en fin de compte, qu'accroître le poids de l'obésité ambiante. C'est bien le caractère de sa propre lourdeur, où prospèrent de manière tout-à-fait effrayante les passions matérialistes et utilitaires, qui conduit l'humanité à sa déconfiture, prélude, nous le savons, à sa disparition annoncée. Au point où nous en sommes rendus, il ne reste d'ailleurs plus qu'à se jeter immédiatement dans le vide ou bien qu'à espérer que cette disparition survienne prestement, à son heure la plus proche. Oui, ce serait bien le mieux qui pût arriver afin de faire grande œuvre de charité: soulager la détresse infinie du monde, celle de la terre déshonorée et des créatures martyrisées. On l'aura compris, mes imprécations répondent comme un glas à celle du Dr Destouches avec lequel je m'entretins l'autre soir fort magiquement, non pas l'affreux collabo qu'il fut hélas (un péché de lourdeur sans doute), mais l'écrivain cynique et nihiliste. Celui-ci a fraternellement converti en moi, au moins pour une partie et pour un temps, la souffrance aride du désespéré en une étonnante jubilation, incroyablement stimulante de colère silencieuse et de détachement, un de ces pains bénits que les àmes blessées, les gueux déboussolés, les épuisés de solitude, partagent avec ferveur. Tu ne veux pas de tort à ton prochain, car tu es juste et bon, et ton prochain l'est le plus souvent autant que toi, mais tu méprises l'humanité pour le peu de considération qu'elle a pour sa propre dignité et son propre avenir. Alors, me direz-vous, on se console comme on peut à l'exemple de notre cher professeur Lao Tseu, selon lequel, cela tombe bien, "le lourd est à la racine du léger et l'immobilité à l'origine du mouvement". Ce qui importe le plus sur le chemin de la vertu est de rester "maître de soi". Car rester maître de soi c'est dominer l'agitation qui nous alourdit, c'est donc gagner en légèreté en quelque sorte. Il n'est nulle nécessité pour y parvenir de décliner des qualités de moine yogi ou d'ermite cénobite. Il suffit d'aimer la nature en jardinier, en poète, en botaniste, en artisan des belles choses, prendre soin de la vie, fuir la jactance du vulgaire et l'aveuglement des basses passions, faire et dire en toute chose juste ce qu'il faut pour maintenir l'harmonie. L'esprit de vertu et de légèreté est par conséquent à la portée de chaque individu. Avoir compris cela c'est faire ses premiers pas sur le chemin de lumière. Ahé!

Seigneur, qu'ils meurent enfin tous et que chacun à la fin des temps, au moment de renaître, se dise:
"Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois au-dessous de moi, maintenant un dieu danse en moi.
Ainsi parlait Zarathoustra."


Honorius - le 16 mars 2025 - Propos d'un neurasthénique nihiliste

mardi 18 mars 2025

Le chant du coucou

Ça sulfate à mort de l'autre côté du paravent dans un bruit strident de machine emballée. J'imagine le carnage, l'horreur suintante de la terre brûlée qu'on répand avec une lourde allégresse. Le monde d'avant et le monde d'après, voyez-vous, sont les pourvoyeurs des mêmes stupeurs. En fait, ils sont une immense foutaise, surtout le monde d'après qui devait avoir enfin, juré promis, retenu toutes les leçons. 

Le poison a franchi la frêle cloison de feuillage qui nous séparait miraculeusement du monde désenchanté. Le venin vient imprégner les jardins que l'espoir du printemps et nos envies d'avenir ont si délicatement fleuris. Il s'introduit sournoisement comme un mensonge, une fourberie de senteurs pourries et malfaisantes. Vous, chers amis, qui formez le cercle de la belle espérance, vous avez encore pour la rédemption cette foi des ressuscitants que je crois n'avoir jamais eue, ou si peu et si lâchement. Oh, je vous admire en cela. Mais moi, voyez-vous, j'ai quitté la race délicieuse des croyants comme on tombe un oripeau. Le monde voulu par les hommes nous mange et nous étouffe sous ses violences, ses indiscrétions poisseuses et ses obscènes grouilleries. Il n'y a plus de frontière sauvage par où gagner le grand large et la pureté intransigeante des hauteurs, par où fuir le dégoût et l'infamie. Je nous vois comme ces Indiens des Amériques dont les pères furent décimés par des cupidités effrénées, un peu fatigués certes mais surtout trop naîfs, quoique pourvus d'un bel idéal, et à qui les fumées de chamans donnent encore l'illusion de les protéger du bâton de feu et de la variole.

Ça sulfate à mort de l'autre côté du paravent. La machine qui crache cette mort en ce début de printemps a depuis longtemps renié la blancheur du matin, dévasté le réveil des abeilles et trahi le chant triomphal du coucou.

Honorius le 18 mars 2025

jeudi 20 février 2025

Je m'avise

Je m'avise qu'il est bien moins rébarbatif et moralement plus gratifiant d'observer, dans sa beauté vraie, dans sa beauté crue, la vie animale plutôt que la consternante scène humaine.

L'animal, on le sait, est dépourvu de cette malice par quoi s'élève, en écrasant tout ce qui l'entoure, l'empire sans foi ni miséricorde des hommes. De ceux-là, au hasard, vous pourrez prendre mille, vous aurez déjà plus de la moitié de gâtée. L'amour de la science et de la dialectique n'est pas ce qui se partage le mieux parmi tout ce qui se croit intelligent dans le marigot et n'est pas non plus le fort de ces âmes stériles qui mènent follement le monde à son crépuscule.

Alors, puisque rien ne peut faire pièce à l'indigente raison, je me range à la philosophie qu'il faut laisser les choses couler d'elles-mêmes, abandonner à "la puante voirie" le soin de charrier ses égouts jusque dans les profondeurs d'horreur et d'oubli. 

Je ne retiendrai du monde, pour bien mourir, que la magie de sa lumière, les échos de sa beauté et son chant d'espérance. Ma dernière pensée sera que la poésie est le rêve de la vie et de notre être d'infinité. Que notre bonheur si passager renferme des souvenirs d'éternité.

Je repenserai peut-être aussi à ces détresses que je n'ai pu secourir comme il eût fallu, comme mon cœur l'eût désespérément souhaité et qui me hantent jusque dans mon propre abandon. Je demanderai pardon. Pardon de quoi? d'être un pauvre errant et un pauvre pêcheur? Oh seulement, et c'est bien assez, d'avoir fini par baisser les bras dans l'épuisement de l'éternel combat! le combat de la pauvreté et de l'innocence, de l'être nu face à son destin d'anéantissement? Mon nom est Makoi Yosokoyi, c'est du moins le nom de ma race céleste, la race des hommes. Je dois bientôt rejoindre le fleuve d'étoiles d'où coule les semences inaudibles de la stupeur et de la déraison. Comme les roses de Baïf, ma vieillesse a accouru aussitôt que m'a jeunesse a paru. Et ainsi de toute chose. Je serai jusqu'à la fin comme ceux qui m'ont précédé, tantôt assez lâches et résignés ou bien généreusement impuissants, tantôt le coeur fier et plein de secrète douleur et, peut-être aussi, avec la reconnaissance de ceux qui se souviennent encore du paradis. Désormais, je ne crains plus les faux espoirs et les malentendus, je suis certain de mon fait, car chaque jour qui passe, après m'avoir tant fait languir, prépare doucement mon tombeau.

Honorius/ 12 février 2025

mardi 18 février 2025

L’optimisme

J'ai beaucoup d'admiration pour les personnes au tempérament optimiste, car elles reflètent la vraie facette de la vie, la seule qui vaille la peine d'être honorée. Mon ami Albert fait partie de ces personnes qui semblent mener, par leur engagement de chaque instant, un apostolat pour un monde meilleur, réenchanté de toutes ses connexions primitives et profondément heureuses. Il est l'exemple même de ce que je ne suis guère ou si imparfaitement, ou très rarement; car l'absurdité et la cruauté du monde qui nous entoure paralysent en moi toute résolution d'agir, contrairement à ceux qui y trouvent leur stimulant. En vérité, je crois servir activement la bonne cause par ma seule et stérile indignation des misères universelles, ce qui me direz-vous est tout de même un bon début dans l'élévation de la conscience morale, mais qui est loin de ce combat utile que j'eusse souhaité mener. En effet, je fais l'expérience que la conscience que j'ai de la réalité, tout indignée qu'elle est, hélas, se résout chez moi dans une volonté sans énergie, dans un fonds de tristesse et de souffrance, de longue souffrance au point de ne plus savoir ce que je deviens. L'optimisme, parce qu'il vivifie le sentiment de l'existence, nous préserve de nombreux maux de l'âme. Il est à la fois une planche de salut moral et une sauvegarde mentale. Il est d'ailleurs plus qu'une philosophie, il est une véritable discipline. Il faut se lever le matin en disant merci à la vie pour ce nouveau jour qui nous est accordé et il ne faut retenir, au terme de chaque journée, que ce qui nous a souri et ce qui a été bon. Car, au fond, pour peu qu'on y prenne garde, il y a du sourire et de la bonté au détour de chaque ruelle, à l'occasion de chaque rencontre. Alors, soyons optimistes! C'est le mot d'ordre, le mantra auquel je voudrais désespérément m'accrocher pour croire encore en une espèce de rédemption.

Bref, travaillé par le flux de mes réflexions, je me lève ce matin avec toutes les audaces de cet optimisme dont je voudrais si ardemment m'attirer les faveurs. Je veux partir d'un bon pied, aborder cette journée dans une offrande d'allégresse, malgré le temps sinistre qui endeuille la terre.

Mais voici qu'une nouvelle ombre* s'abat sur mon soleil, de laquelle il m'aura été absolument impossible de détourner le regard. Une ombre qui me replonge dans l'enfer inexorable de la réalité et qui me laisse, qui nous laisse, encore plus désespérément seuls devant le Mal qui, chaque jour, étend ses tentacules immondes, grandit monstrueusement, qui nous déshonore et nous dévore.


*La belle nouvelle du jour:
Près de Lyon. (L'association) L214 révèle des vidéos abominables d'un abattoir du Rhône
L'association de défense animale L214 dévoile ce mercredi 29 janvier 2025 des images de maltraitance dans l'abattoir public Rhône Ouest, à Saint-Romain-de-Popey.
Âme sensible s’abstenir. L’association de défense animale L214 révèle ce mercredi 29 janvier 2025 des vidéos de maltraitance dans l’abattoir public Rhône Ouest, à Saint-Romain-de-Popey, près de Lyon.
Ces images, filmées entre les mois d’octobre 2024 et janvier 2025, montrent des animaux égorgés conscients malgré l’étourdissement préalable, des vaches décapitées encore vivantes, des moutons et cochons qui voient leurs congénères se faire tuer, des animaux brutalisés lors du déchargement ou pour être dirigés vers la saignée.

18 février 2025



mercredi 12 février 2025

Au bord de l'eau




L'atmosphère des berges, de l'eau et des pays de rivière a été traitée avec une sensibilité particulière (j'allais dire une tendresse) par Jean Delpeux, qui sut en restituer la profondeur esthétique, presque onirique, grâce à une technique admirablement maîtrisée des jeux de lumière. C'est dans ces jeux magiques de l'immanence, dont l'artiste éprouve sans cesse l'alchimie, que se révèlent la part immortelle de l'être et l'âme frémissante du monde. Capter en toute chose l'éternité de l'instant, telle est la mission visionnaire du poète et pour tout dire la mission métaphysique de l'art...
En tant que Lyonnais et "gone" d'ancienne souche, la Saône et le Rhône, ont indéniablement nourri une grande part de son identité. La splendeur des berges de la Saône aux temps de l'enfance, à Saint Bernard (au moment de la déclaration de guerre en 1939 qu'il évoquait encore la veille de sa mort), puis aux temps des vacances à Thoissey, dans l'ineffable poésie des parties de pêche et de la vie heureuse en pleine lumière, toutes ces couleurs et ces senteurs d'été resplendissant ont vraissemblablement inspiré la grâce et la légèreté de sa palette.

Honorius le 29 janvier 2025

samedi 25 janvier 2025

La langue française, par l'effet d'un malheureux oubli de soi, est devenue aujourd'hui une sorte de handicap lorsqu'il s'agit de s'exprimer de manière honnête et intelligible. Hélas, il ne faut guère compter sur ceux qui portent la voix publique pour valoriser ce patrimoine vivant de nos humanités dont, après en avoir piteusement résigné le génie, ils ne reconnaissent même plus la saveur.

A titre de consolation, on lira avec profit le "Discours sur l'universalité de la langue française" prononcé en 1784 par Antoine de Rivarol devant l'Académie de Berlin. Une grande leçon de pensée et de style.


Voir aussi Joachim du Bellay: Défense et illustration de la langue française.(Edition de 1905 comprenant une notice biographique et un commentaire historique et critique de Léon Séché)


Nota:
Léon Séché, né le 3 avril 1848 à Ancenis et mort le 5 mai 1914 à Nice, est un homme de lettres français, spécialiste de la Pléiade et du romantisme, à l'origine de la Revue illustrée de Bretagne et d'Anjou.

dimanche 19 janvier 2025

Chasse dans le brouillard



Ce matin, les bruits de chasse sont venus troubler la quiétude givrée et embrumée du Mont Popey. Pourtant, le Mont Popey, comme la campagne si malmenée qui l'environne, n'abrite presque plus de biodiversité animale et je suis toujours étonné de voir autant d'obstination et de rage à traquer la moindre manifestation de vie timidement sauvage dans cette espèce de désert.
J'entends les cris furieux des veneurs, crachés comme des imprécations. J'entends les hurlements des chiens qui ressemblent à ceux des bêtes qu'on égorge et cela me rend triste. Et puis je m'interroge: comment prétendre chasser au milieu d'une telle purée de poix, épaisse comme le fog sur la Tamise. Si ce n'est pas une question pertinente, il faudra alors m' expliquer pourquoi. Déjà que par temps clair l'être pacifique que je suis nourrit de fortes raisons de s'inquiéter au bruit des défouraillements tous azimuts mais en plein brouillard mes craintes redoublent. Je m'interroge légitimement sur le risque d'un tir au jugé dans de telles conditions. A cette idée je sens une certaine crispation me saisir. Albert as-tu bien planqué les chevaux, qu'on ne les confonde pas avec des berniques ou des libellules?
Bon, les rumeurs s'atténuent et s'espacent. On dirait que les défouirailleurs, dépités et penauds, rentreront bredouilles avec leurs chiens dévotement excités à mordre et à tuer. La haine de la vie n'aura pas eu le dernier mot aujourd'hui sur le Mont Popey. Et rien que cette idée, oui rien que cette belle idée m'emplit d'une immense allégresse!


Le 19 janvier 2025

mercredi 1 janvier 2025

Est-il possible?


Je suis parvenu au dernier tiers de mon existence... 

Est-il possible d'avoir connu le grand amour sans l'avoir vécu, c'est-à-dire sans l'avoir trahi? Telle est ici la question. Ce grand amour, comme le sentiment glorieux et le sublime de la vie, ce qui est tout un, sans doute les a-t-on saisis, presque effleurés, bien plus souvent que l'on ne croit, sans l'un et l'autre les avoir pourtant possédés, ce qui, d'un point de vue métaphysique, est peut-être mieux ainsi. Vivre, voyez-vous, c'est chaque jour tuer un peu plus la vie.
Il suffirait de fouiller sa mémoire, d'en remonter le réseau enchevêtré jusqu'à retrouver, de la figure incertaine de ce grand amour, ces menues fibres précieuses, ces paillettes de poussière, qui rejaillissent peu à peu dans toute leur lumière. Oh, ce fut juste un regard échangé, un chemin croisé, une seconde en suspens, un geste inachevé, un hasard inexploité, une lueur vacillante ou fulgurante, que sais-je? On ignore souvent à quel point l'essentiel de la poésie, comme l'essentiel de la vie, est dans le non dit, le sentiment et l'intuition de l'être, plutôt que dans l'imperfection de l'acte ou du verbe accomplis. "Les vrais poèmes fuient" disait Emily Dikinson, de même, la vraie vie ne serait-elle pas celle que l'on rêve et qui sans cesse nous échappe? A moins que tout cela, comme beaucoup d'autres âneries, ne repose que sur un ridicule malentendu récusant l'audace même de toute espérance. Cependant je respecte les poètes car ils sauvent notre honneur par leur sincérité et finalement par le sens de l'absolu qu'ils emportent dans la mort.

Je me demande en disant cela si je n'ai pas résigné malgré moi le goût passionné de la vie, celui qui vous porte sans crainte comme maître du temps, de votre temps gonflé d'avenir, sans doute par l'effet naturel de quelque essoufflement d'enthousiasme ou d'énergie, enfin, quelque chose de ce genre. C'est comme si, par un effet résigné de capilarité, une humeur crépusculaire prenait peu à peu possession de mon corps et de mon àme, dans une sorte de processus d'hibernation, telle la branche que transit l'haleine cuisante de l'hiver. D'ailleurs, cela ne trompe pas, je suis parvenu au dernier tiers de mon existence presque sans m'en apercevoir, ce dernier tiers qui ne sera pas nécessairement le plus florissant mais plutôt le plus pitoyable et le plus chargé de disgrâces, c'est à craindre. Car je sens déjà en moi poindre, plus qu'une prétendue vieillesse heureuse, le remugle de la remise, du rebut, du détrancané et du vétuste.

On dit que la vie est belle. Elle l'est assurément, mais elle le serait davantage sans cette espèce d'indignité humaine qui déshonore continuellement le monde. Si j'eus jadis assez d'imagination pour rendre la vie désirable, je veux dire la vie parmi les hommes, je n'en ai plus guère aujourd'hui pour en supporter les malfaisances et les lourdeurs. Un sentiment de déjà vu, de déjà dit, de déjà rabâché, de déjà mille fois subi et souffert, me pèse affreusement chaque jour comme un étau entre les tempes. Hélas, comment invoquer sans s'y méprendre le pouvoir de la rédemption?

Je confesse m'être piqué d'une espèce de gribouillage, que, chez d'autres auteurs mieux assurés que je ne le suis, l'on nomme écriture et dans le meilleur des cas, littérature. Je n'ai d'ailleurs jamais prétendu m'y ménager ne serait ce qu'un début de romance, car ce que j'ai écrit depuis que je barbouille le papier, comme pour témoigner timidement de ma présence au monde (le sel aprés le passage de la marée, comme je me plaisais à dire) se réduit à une médiocre mélopée nombrilisante, que je n'aurai bientôt plus, si le coeur m'en dit, que la force de relire avec beaucoup de mauvaise humeur et d'insatisfaction. Cela est bien dommage, car j'aurais préféré laisser de moi, en fait d'écriture, le souvenir d'un conteur d'histoires drôles, c'est là un genre oû j'aurais pu me sentir le plus à mon aise. Que retirerai-je de l'expérience de la vie, cette lueur qui brille entre deux néants, comme disait Jean d'Ormesson? (Encore un, du reste, qui n'avait guère mieux à en dire bien qu'il y employàt beaucoup d'élégance). Voilà bien réuni dans cette babiole dialectique, (cette "kleinigkeit", comme disent les Allemands), tout le sujet de la philosophie! Je me dirai que je n'ai eu ni l'audace ni la bravoure d'exister, ce qui est bien regrettable lorsqu'on dispose de si peu de temps pour être et agir, ce qui est tout un. La question du temps perdu, de l'occasion manquée, est une constante dans la réflexion existentielle, qui, passé 50 ans, ne nous lâche plus. Non, on ne se lasse pas de la beauté du monde, comment le pourrait-on? c'est ce que cette humanité indigente en fait, jour aprés jour, qui répand dans nos coeurs la tristesse et le désespoir. On désespère toujours de trouver aucun sens à la vie, à part celui des gaîtés et des plaisirs que nous pouvons en recevoir,  mais cela n'est après tout que vaine coquetterie. La vie n'a pas de sens en soi puisque l'on en meurt. Je préfère savoir qu'elle n'a de sens que celui qu'on lui donne, par son engagement, par son amour du juste et du beau, par son empathie, enfin, par la nature et l'inspiration bénéfiques de ses actions. Ainsi, aura donné un vrai sens à sa vie celui qui aura conçu et répandu le bien, car le bien porte en lui les plus belles promesses de félicité.

J'ai appris tout au long de mon existence très ordinaire (je n'en réclame d'ailleurs pas d'autre!) que l'être humain est décidément une chose intraitable car il retient fort peu les leçons de la natute et de l'histoire. L'imperium de l'intelligence dont il se prévaut sans cesse, en animal suffisant et orgueilleux, ne jette finalement que peu de lumière sur l'accomplissement de sa destinée. Au point qu'il est apparu la chose la plus nuisible non seulement à lui-même mais à toutes les oeuvres de la Création.

La scène humaine est devenue un drame affligeant. Contrairement aux temps qui nous ont précédés, souvent durs et cruels, nous n'entrevoyons plus, même chimériquement, les horizons du bonheur et de l'espérance, qui donnaient miraculeusement la force d'exister. Pourtant, me direz-vous d'innombrables consciences s'éveillent partout dans le monde pour l'amour, la paix, la solidarité, le respect de la nature et du vivant, pour tout ce qu'il y a de meilleur en notre humanité et dans notre rapport au monde. Las, cela semble encore bien dérisoire pour contrer l'immense lame de fond qui nous pousse collectivement vers le pire car la brute stupide qui veille au coeur de notre espèce, y étouffe les lumières héroïquement acquises de l'intelligence. L'homme est sa propre aberration et surtout sa propre fatalité.

Las, j'ai beau marcher prestement vers mon occident et voir s'approcher le terme de toutes choses, je ne décolère pas contre l'absurdité du monde des humains, sans foi ni miséricorde, contre l'aveuglement, l'orgueil présomptueux, l'hypocrisie et les passions suicidaires. Je pourrais reprendre le calamus dans l'état où Horace en usa dans ses satires pour dépeindre une mentalité humaine qui n'a guère changé depuis Augustus.* Je n'ai peut-être pas été assez heureux ni assez enjoué pour pouvoir rire tout mon saoûl de toutes ces fadaises qui m'horripilent tout autant qu'elles me lassent. Malgré la bile qui me chauffe le tempérament je finirai moi aussi par lâcher prise, par glisser dans l'indolore apesanteur, pour rejoindre cette autre "cabane au Canada", bien différente de celle que je me rêvais naguère, lors que la vie s'offrait encore vaste devant moi. Je ne peux feindre d'ignorer la stricte évidence. Elle se dessine sous mes yeux, dans l'effroi d'une violente stupeur; je la vois qui s'approche, comme la vieille sorcière chaperonnée des terreurs de mon enfance, sombre et sournoise, trottant à pas menus.

Oh demain, à l'aube, le dernier verre du condamné...Dis-moi, cher Ange, comment cela fait quand on meurt? Est-ce rapide, instantané comme un couperet qui tombe, un clignement de paupière qui vous fait passer du blanc au noir, sans bavure, à travers une trape? Est-ce une sorte de songe où l'on embarque avec insouciance pour un voyage d'agrément, vers les doux rivages de Cythère ou d'autres encore bien plus lointains que nul escafignon jamais ne foula? Est-ce un de ces engourdissements qui vous entraîne dans le cours languissant d'un rêve où tout ce que vous fûtes se dérobe à votre souvenir? Est ce le long naufrage infligé à notre patience d'une chanson de Guy Béart, Dieu ait pitié de son àme?

Celui qui estime avoir accompli son oeuvre pour avoir tout extrait de soi, peut paisiblement finir ses jours, sans désir et sans tourment. C'est cela être sage, à en croire l'école des anciens maîtres.

Ah, bordel de Dieu! Mourir dans la sérénité c'est encore le meilleur destin de l'homme. Se souvenir que la vision poétique du monde nous conduit avec amour dans le mystère de la vie et de la mort. La mort, cette pensée qui se fond dans la pensée...

Honorius le 19 janvier 2025

* Je retrouve dans mes notes sur Horace la double épigramme suivante, qui sonne d'un écho étonnant d'actualité. Je ne retrouve plus aujourd'hui si on en doit la paternité à Horace lui-même ou à un autre moraliste latin, mais elle me convient ainsi parfaitement dans sa pertinence.

"Je vois partout de ces présomptueux édiles, pas plus malins que le populaire dont ils briguent les suffrages, qui, ayant pris tel goût véhément pour les délices des affaires, et de peur d'en perdre, s'indignent et vitupèrent qu'en dehors de leur prétendue précellence, tout n'est que graine de chaos, de ténèbres et de ruine.

Et que dire encore de ceux-là, toujours plus nombreux de par ce pauvre monde, ces tyrans orgueilleux qui répriment, d'une poigne féroce, la liberté de déjouer leur fausseté et leurs mensonges."



Pour rechercher un article

Formulaire de contact

Nom

E-mail *

Message *

Archives du blog