dimanche 2 septembre 1990

Alma Mater (9) L'Art et le Beau


La finalité de l’art est la perception de la Forme par la modulation de l’espace. Cette Forme, quelles que soient sa nature et son aspect, a pour vocation de susciter un état affectif que l’on nomme le sentiment esthétique. Chateaubriand concevait l’art comme une imitation de la nature. La perfection de l’art, selon lui, consiste à « représenter la plus belle nature possible ». 

mercredi 1 août 1990

Alma Mater (8) Le Beau et la Vie

Théâtre San Carlo à Naples

De nombreuses études, plus littéraires que scientifiques, ont été produites sur le caractère et le tempérament des peuples méditerranéens, sur leur prétendue sensibilité foncièrement artistique. Est-ce la clarté de leur espace qui, en absorbant l'esprit dans l'illumination, a élevé leur esprit à la posture de l'éblouissement et de l'adoration?

dimanche 1 juillet 1990

Alma Mater (7) Casa Mia

Ma mère habitait le quartier de « La Parocchia », dans une petite rue adjacente de l’église du village. Située en terrasse, la maison était accessible, d'après son souvenir,  par un petit escalier à retour de pierre sèche et moussue ou bien par une grande porte cochère dont les doubles battants de la lourde porte étaient ornés de motifs géométriques sculptés à l’antique. 
Les arêtes du toit et de la terrasse tranchaient dans l’azur dont tout semblait baigné, jusqu’à l’horizon où flamboyait au loin en direction du Sud en terre grecque, l’auréole nébuleuse de Naples. Tout près au Nord se dressaient les montagnes sauvages couvertes de forêts et de garrigue sur les contreforts de l'Apennin méridional, l'ancien pays des Samnites, le territoire du peuple du loup.
Des croisées s’ouvraient de plain-pied sur la terrasse qui accueillait la lumière comme une vasque l’onde limpide. A l'intérieur de nombreuses pièces assez vastes que les persiennes protégeaient l'été des brûlantes chaleurs. Ma mère y vécut les quinze premières années de sa vie, qu’elle regrettera, tel l’Hypérion d’Hölderlin, comme "cette enfance divine passée au bruit harmonieux de la source". On reconnaît souvent le bonheur seulement après l'avoir quitté, par une force ou un hasard du destin, pour je ne sais quel meilleur impossible, ce meilleur vers quoi tendent les espérances de tous les exodes. Ces années de l'enfance au pays de lumière apparaissent alors bénies entre toutes. Elles sont la Vie éternelle et le Royaume...
La demeure était garnie de meubles de noyer et ma mère y déambulant son fantôme sur la scène de l’ancien foyer, s'avisait dans ses récits d'en dresser, avec leurs accessoires, un inventaire mental minutieux. 
Ce travail de mémoire exercé sur l’aspect de chacun de ces objets et de ces meubles jadis familiers faisait peu à peu renaître dans son esprit l’atmosphère qui les imprégnait et les environnait, jusqu'à ressusciter des détails de faits et de situations d'une précision et d'une netteté inattendues.
C’est ainsi qu’un geste, une parole, le timbre d'une voix, un visage, une silhouette, une scène, un refrain, tout un monde de souvenirs et d’émotions rejaillissait soudain par fragments sous l’effet de cette évocation nostalgique.
La reconstitution du passé est comparable à l’exhumation d’une peinture ou d’une mosaïque qu’il faut entourer des soins les plus attentifs pour préserver la fragilité de leur état. 
çà et là, les failles laissées par quelques parcelles disparues sous les griffes du temps altèrent la plénitude de leur composition, mais une espèce d’éternité, de fraîcheur originelle subsiste à travers la beauté de leurs vestiges même.
Les femmes de ce pays étaient vêtues en vestales de la patience. Elles incarnaient la permanence d'un principe obstiné de volonté et de vie. Chaque aïeule transmettait à sa descendance, qui l’enrichissait à son tour, tout un patrimoine de broderies filées d’heure en heure, de saison en saison, à l’ombre des persiennes criblées de soleil, au pied de l’âtre des hivers campaniens, à la clarté des journées de printemps, dans les blancheurs étales et jaillissantes. Elles transmettaient aussi, je le soupçonne, des dons et des pouvoirs primitifs hérités de la force de la terre et de l'âme profonde des éléments.
De ce « fouillis de vieilles vieilleries », que ma grand-mère (née en 1905) conserve encore dans d’innombrables cartons, il n’est pas une de ces étoffes vénérables qui n’évoque, lorsque nous entreprenons d’y farfouiller avec tant de délicatesse, une étincelle de pleine vie ressurgie d’une longue nuit, des visions fulgurantes de tendresse et de jeunesse en fleurs, des parfums de fruits séchés, des odeurs rustiques et familières du temps passé. 
Ces quelques effets, inertes et inutiles dans leur exil d’oubli, contiennent en eux-mêmes la marque des vertus fortifiées par les générations, faites de ce mélange prodigieux d’amour et de science, qu’ils en exhalent une âme qui ne saurait mourir. 

Honorius/Les Portes de Janus/1990/ réédition 2020

Via Appia Antica. Portail d'entrée de la maison familiale. Etat actuel (2019)


Santa-Maria-a-Vico, Les oliviers au pied de la montagne.

vendredi 1 juin 1990

Alma Mater (6) Un village du Sud


La famille de ma mère est originaire d’un village de Campanie, situé entre Naples et Caserte, distant d’une vingtaine de kilomètres de la métropole parthénopéenne : Santa Maria a Vico, au cœur de l’ancienne "Provincia di Lavoro" (Provincia di Caserta). Ce village est situé dans la vallée de Suessola où se mêlèrent pendant l'antiquité les anciens peuples des Osques, Etrusques, Grecs, Samnites et Latins.
Sans y être né, sans y avoir vécu, j’ai eu le sentiment d’y être retourné comme en un lieu où tout m’était déjà familier, chaleureux comme par un lien de sang.
En toile de fond, formant amphithéâtre autour du village, des montagnes gris-bleu, arides et sèches où croît l’olivier sauvage et que les matins d’été nimbent d’une buée d’éther, se découpent dans l’azur profond, infini, impeccable, où s’engouffre l’espace. 
La « Via Nazionale », l’artère principale, suit le tracé de l’ancienne voie romaine, dont naguère encore les grandes dalles inébranlables affleuraient sous le roulement grave et sonore des charrois reliant Naples à Capoue et Caserte, dans la province de Labour. 
Un village du Sud, écrasé sous un songe d’éternité, dans un paysage qui vit régner Evandre et Janus dans la première œuvre civilisatrice, aux ruelles irradiées de fanions multicolores, de draps blancs comme des voiles appelant la mer toute proche ; escale, départ et royaume à la fois. 
Ici, chaque enfant ressemble à un Dioscure, les traits sculptés dans la matière originelle de l’Epique et du Beau, reflétant les vertus de cette terre d’antique hospitalité sur la quelle s’élevèrent les lois de la Concorde et de l’Harmonie. 
Une touffeur de parfums généreux et alanguis : senteurs de fruits étalés, de carrelage rincé, d’exhalaisons nourricières, se mêle aux voix et aux jappements, dans l’écoulement rieur de la vie. 
Ô terre chérie de l’Eternité, où je retrouve en ton sein l’ardent plaisir d’aimer ; tu procures l’ivresse inestimable du cœur et la douce harmonie de l’âme, celles qui s’abreuvent comme un chant de Virgile, aux sources simples de la joie féconde. 
Des éclairs de rires d’enfants, des brisures d’appels répercutées dans le ressac des ruelles, se mêlent aux éclats réfractés des couleurs de l’été, brillant dans l’air comme des épées de soleil. 
Des treillis de lumière éclaboussant l’ambre chaude des tonnelles, les fruits mûrs emplissant lourdement les corbeilles, les cruches de terre buvant l’onde frémissante des fontaines, et ce sentiment de plénitude reposée où chaque instant, lentement, se love au creux du jour comme une perle d’eau irisée. 
Et chaque minute emporte les flots de ces perles, des millions de molécules éthérées d’où s’épanchent dans un jaillissement d’allégresse, les formes calmes de la vie. 
Reposant sur cette architecture triomphante de la mort, le temps inonde l’esprit des clartés pleines d’ornement d’un matin éternel. 

Honorius/ Les Portes de Janus/

Santa Maria A Vico au pied des montagnes. Au fond le Vésuve

mardi 1 mai 1990

Alma Mater (5) Naples

Ce fut enfin l’arrivée tant désirée à Naples, immense et éblouissante, patrie turbulente, suave et sauvage, de tout ce que le cœur renferme d’inassouvi. 
J’éprouvai aussitôt une attirance violente pour cette ville, comme pour une de ces filles fauves au regard de braise qui vous enflamme le tempérament. 
Elle m’apparaissait comme la symbiose vivante de cette vaste diversité trépidante du Sud, le synchrétisme bariolé de toutes les envies passionnées de vivre, la Femme Déesse aux mille beautés scintillantes. 
Durant sa longue histoire depuis les temps homériques, Naples a épousé l’empreinte de toutes les civilisations, le caprice de tous ces aventuriers et dynastes bâtisseurs de royaumes comme la grève bruissante épouse l’écume de la mer, depuis les anciens Grecs libres et héroïques jusqu’aux roides et vaniteux Bourbons d’Espagne. Elle a recueilli, avec une souplesse féconde du tempérament, l’apport de toutes les hérédités semées par le hasard des vents et des flots, dont elle façonna cette image éclatante qui rayonne sur la méditerranée comme une merveille du monde et devant laquelle s’agenouille le célèbre adage : « Vedere Napoli, e poi morire » ! 
La capitale de la Grande Grèce, la « Nea Polis », magnifique et délurée, mi souveraine et mi rebelle, qui, se riant de toutes les adversités, enjôle les maîtres qui croient la tenir, qui joue allègrement du registre des sentiments et de la séduction comme une actrice invétérée, tour à tour espiègle et langoureuse ; cultivant par-dessus tout la philosophie naturelle de l’insouciance et de cet instinct stimulant du « laisser vivre », par laquelle elle a su si bien défier, dans l’éclat de sa vitalité, le mirage stupéfiant du temps et le cours chaotique des événements. 
Naples, ville assourdissante des clameurs de vivre et d’aimer, Naples l’ensorceleuse, fille des chants de l’Odyssée, rieuse et indomptée sous le ciel des illusions joyeuses, s’ouvre naturellement aux sources méridionales de l’Antiquité, qui ont nourri sa fascinante Beauté : la Grèce et le Proche Orient. 
Dans les jardins de Mergellina, dont ma mère me murmurait les antiques romances, c’est à elle aussi que je pensais, parmi les chaleurs stridentes et les senteurs de pin et de citron. 
Sous un frêle ombrage, la statue d’Auguste Imperator, l’index levé en un geste souverain, contemplait, étendu devant lui, le paisible et ample spectacle du « Mare Nostrum », l’immense ouvrage multimillénaire de la civilisation. 

Honorius/Les Portes de Janus/




dimanche 1 avril 1990

Alma Mater (4) Rome

Rome rayonna pendant huit cents ans comme la capitale politique du monde « civilisé ». 
Aujourd’hui encore, sous le titre de « Ville Eternelle », elle s’affirme comme la capitale historique de la spiritualité et de la civilisation occidentales. 
La Rome antique apparaît comme une synthèse formidable de toutes les formes politiques qui la précédèrent dans l’immensité du pourtour méditerranéen. 
Cette métropole grandiose, qui compta plus d’un million d’habitants au début de notre ère, était digne, il est vrai, de l’admiration étonnée du monde qui ne connut jusqu’à lors rien de pareil. 
Mais la puissance prodigieuse de ses appétits hégémoniques la porta bientôt à une démesure monstrueuse. Son idéal de force et de magnificence brutale pour reprendre ici l’expression de l’historien Louis Bertrand, imposa sur le monde un ordre d’une efficacité implacable que l’on nomma la « Pax Romana », la victoire de la civilisation sur le chaos de la barbarie, la prééminence d’un mode de vie à prétention universelle. 
Qu’il était loin le temps fabuleux des sept collines, où les bergers sabins, jouant de leurs chalumeaux, paissaient paisiblement leurs troupeaux à l’ombre des bosquets. 
Rome n’a pas échappé au progrès, tel qu’on le connaît de nos jours. La marche irrépressible de l’expansion matérialiste a submergé ce que l’on croit être l’harmonie primitive, cette paix des champs que ne troublait pas encore l’oppression tumultueuse des masses. 

Car Rome, c’est avant tout le sens exacerbé de l’Etat, une intention terriblement logique et rationnelle qui recouvre le monde. 
Mais Rome, c’est aussi cette part fascinante de mystère que lui confère le fantasme d’un passé plongé aux sources épiques du mythe. Elle frappe encore l’imagination comme un de ces phénomènes cosmiques, immenses et éblouissants, qui ont fini par disparaître aux confins obscurs de l’univers après avoir empli l’espace du firmament. 
Je me souviens d’un après-midi du mois d’août où, parcourant les places et les avenues de Rome, je m’arrêtai sous l’ombre clairsemé d’un bosquet de pins odorants dont les aiguilles faisaient comme un tapis moelleux sous les pas. 
La journée était ensoleillée et torride. Assis sur un vieux banc de marbre antique, je me laissais griser par le concert envoûtant des cigales qui criblait l’air brûlant. 
Devant mon regard s’étendait un vaste espace de prairie sèche, bordée d’une végétation aride de pins et de buissons. Le centre de cet espace était parsemé dans le sens de la longueur de blocs de pierre grise aux allures hiératiques de vieux autels ou de vieux tombeaux abandonnés. 
Je compris soudain que je me trouvais sur l’emplacement de l’illustre « Circus Maximus », qui se dressait, il y a deux mille ans, superbe et grandiose, comme le plus vaste édifice de Rome, pouvant paraît-il contenir jusqu’à deux cents mille spectateurs. 
Je gardai un silence stupéfait devant ce lieu extraordinaire où ne subsistait pourtant presque aucun vestige, mais qui vit jadis la pompe éblouissante des jeux et des courses de chars devant le peuple assemblé de Rome et les Empereurs de l’Univers. 
Mon imagination semblait discerner, revenant un instant des limbes lointains de l’Histoire, comme un grondement imperceptible, un souffle vague : les clameurs de la foule et le fracas des combats du cirque, le roulement furieux des chars circulant dans l’arène. 

Honorius/Les Portes de Janus/1990





jeudi 1 mars 1990

Alma Mater (3) La mélancolie du Sud


Un soir, enfant, je me plongeai par hasard dans la lecture de quelques gros livres de la bibliothèque de mon oncle, qui avaient attiré ma curiosité par la beauté de leurs illustrations. 
J’y découvris pour la première fois, à mon grand bonheur, l’univers fabuleux des fresques homériques : les péripéties merveilleuses de l’Odyssée, le récit des mêlées titanesques, la vision fantastique du cheval de Troie. 
Je me sentais fasciné par ces images d’hoplites aux cimiers intrépides, l’œil étrangement fixe comme sur les vases peints de l’Attique. 
Depuis ce jour, je fus transporté d’une pieuse admiration pour l’antiquité grecque, pour son culte de l’héroïsme et son amour du Beau, pour sa poésie lumineuse de la vie. 
C’est la limpidité des éléments où se fond la permanence du monde égéen, qui a déterminé, peut-être plus qu’aucun autre environnement tempéré, l’épanouissement de la Conscience et l’idée universelle de l’Être. 
C’est de ce bonheur dans l’apparence, de ce rêve radieux d’azur et d’écume, qu’a jailli le miracle de la pensée grecque, «élevant l’instinct de connaissance à la dimension d’un art tragique », c’est-à-dire, au sens nietzschéen du terme, « l’art suprême de l’affirmation de la vie ». 
Je suis redevable aux œuvres de l’Antiquité d’avoir éclairé le premier éveil de ma connaissance, au souffle épique dont elles emplirent mon imaginaire, d’avoir suscité mes premières émotions esthétiques. Leurs enseignements m’initièrent à la découverte des vertus supérieures de l’humanité, dont les exemples nous renforcent contre l’adversité et nous préparent à recevoir la puissance de la vie. 
Car il n’y a rien de plus édifiant que cette aventure de la volonté humaine dans le midi resplendissant de son génie. 
La conscience de ma propre hérédité gréco-latine a conforté les liens qui m’associent à ce patrimoine vivant dont la sève nourrit depuis plus de deux-mille ans, le cycle formateur des humanités. 
Ma rencontre avec le Sud latin m’engagea dans cette réflexion mélancolique qu’inspire la sensation des choses éternelles, comme la perception de ce paysage inchangé depuis le fond des âges archaïques. 
Devant mon regard, sous l’âpre soleil où tout passe et meurt, s’étendent ces régions agrestes et montagneuses, où s’affrontèrent et se mêlèrent tant de destins. 
Sur ce sol primitif vécurent jadis, bien avant l’empreinte de Rome, les rudes peuples des Volsques et des Samnites, ces vieux pasteurs Italiotes. 
Un jour, sur leurs rivages, se répandirent les fils des Achéens venus de l’immensité salée, portant le flambeau de l’ancienne Grèce, la sagesse de ses dieux et de ses mystères, et dont ne subsistent aujourd’hui que ruines et poussières. 
Ô sentiment de la Vanité de toutes choses ! C’est au cœur de cette terre, pétrie des douleurs et des plénitudes de la civilisation, que s’enracine en fresques muettes et nostalgiques, la pensée du Temps et de l’Histoire. 

Honorius/ Les Portes de janus/1990

jeudi 1 février 1990

Alma Mater (2) Le rêve d'éternité

Depuis l’éveil de la Renaissance européenne, l’homme s’est découvert une passion universelle pour l’Italie, dont notre époque contemporaine berce encore voluptueusement ses fantasmes esthétiques. 
Les représentants les plus distingués de l’humanité sont venus y accomplir leur pèlerinage sentimental, pour se régénérer aux sources éternelles de l’art et s’imprégner de la tendre nostalgie de l’âge d’or, dont la lumière semble encore baigner de sa douceur la beauté de ses paysages antiques. 
Il n’est d’ailleurs pas jusqu’au Scytho-Slave des glaises d’Ukraine, Nicolas Gogol, qui n’ait lui aussi, de son temps, succombé aux charmes de cette chère Italie, qu’il désignait comme tant d’autres, comme la véritable patrie de son âme. 
Le besoin d’idéal, qui couve au cœur de l’homme, renferme les résonances lointaines d’un état primitif de l’existence, le rêve apaisant des origines où l’art se confond avec la vie, et la vie avec l’idée du bonheur. Charmante illusion ! 
Quand j’étais enfant, je découvris cette légende qui frappa mon imagination comme le « Commencement » de la Bible : 
« Saturne, le fils du Ciel, descendit un jour du trône du Temps jusqu’au pays du Latium. Là, il fut accueilli par Janus, le premier roi de cette contrée, qui aborda jadis sur ces rivages avec une flotte. 
Saturne instaura sur le Latium le règne de la paix et de la sagesse et enseigna aux hommes tous les bienfaits de la civilisation ». 
Depuis, entre la campagne romaine et les champs phlégréens où me guidèrent mes pas, je l’ai senti errer ce souffle du mythe, ce souvenir élyséen de l’ancienne humanité, qui a mêlé à la terre les couleurs de son rêve d’éternité. 

Honorius/ Les Portes de Janus/1990 




lundi 1 janvier 1990

Alma Mater (1) Alma Italia


Le train m’emportait le long de la côte tyrrhénienne, en direction du Nord, vers les Alpes et la France. 
Je venais de quitter les rives de la Campanie, cette radieuse terre d’Italie, où je filai les semaines les plus magnifiquement insouciantes, peut-être, les plus lumineuses sans doute, de mon existence 
Je m’imaginai que si le bonheur avait une patrie, ce serait le séjour de cette région resplendissante, la Grande Grèce, qui fut jadis la villégiature des dieux olympiens, cette conscience onirique de l'homme, dont les temples dressent encore leurs vestiges au-dessus des flots, dans la transparence de l’azur. 
Si je devais donner un visage à cette Italie de mes pensées, ce serait volontiers celui de Graziella, décrite dans le roman de Lamartine, d'une pureté primitive et passionnée, sous les pergolas marines, le regard illuminé par la clarté d’un horizon sans attente… Cette terre, cet espace, comme éclaboussés de lumière et d'écume, ont quelque chose d'éternellement suspendu, la pesanteur fascinée du rêve et du destin, l'écoulement d'un sommeil limpide et d'un amour infini. 
Ce visage idéal de l’Italie éternelle, de « l’Alma Italia », rayonne en effet de cette douceur sensuelle, de cet esprit d’harmonie de la vie heureuse dont on perçoit la plénitude dans les peintures de Vinci ou de Raphaël. Il respire ce génie de l’existence, qui, par le mélange rayonnant de l’intelligence plastique et de la puissance lyrique, a rendu possible la prodigieuse civilisation de l’art et du plaisir splendidement « superficiel » de la vie. 
Nietzsche disait que, comme Ulysse prenant congé de Nausicaa, on ne devrait pas quitter la vie avec regret, mais, au contraire, avec reconnaissance. Il en est de même avec l’Italie, cette épouse et cette mère superbes ; ce sentiment infini de reconnaissance pour la vie qu’elle inspire, laisse en paix avec soi-même et avec le monde.

Honorius/ Les Portes de Janus/1990

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