mercredi 12 février 2020

LA MONTAGNE SACREE (14) entre Bonnaves et la Roche

La petite route qui relie le bourg de Saint Projet au col de Légal en longeant le cours de la Bertrande, bifurque à gauche, peu avant le pont de la Persoyre, en direction du petit hameau de Bonnaves. Cet ancien domaine pastoral perché à flanc d’estive offre une perspective pittoresque sur les sommets du Puy Chavaroche. Le chemin étroit bordé de frênes et de noisetiers, décrit ensuite deux longs lacets en direction de l’éperon de La Roche. 
Au coude du second lacet, un chemin de terre file en ligne droite sous les bosquets jusqu’à l’antique grange de Lespinasse, et, plus loin, pour terminus un buron isolé, nommé la vacherie du Colombier.
L’été pluvieux a grossi les sources et les rus qui sautillent avec entrain à travers la pierre grise de l’herbe grasse, ruisselant par des parcours secrets jusqu’au lit encaissé de La Bertrande. 
C’est elle, cœur vivant de la haute vallée, que l’on entend rouler en contrebas, tapie dans l’ombre épaisse des aulnaies, et dont le bruissement impétueux, stimulé par l’abondance, domine tous les autres frémissements ambiants, comme le son permanent d’une forte pluie d’averse, ou les applaudissements éloignés d’une foule. 
Au détour de ce second lacet, la petite route s’échappe en ligne à peine sinueuse, sur une distance d’environ sept cents mètres, pour se fondre plus haut sous le rideau des frondaisons. 
A main droite, des prairies et des bocages humides s’étagent en pente raide jusqu’à la crête de La Roche, qui culmine aux confins de La Peyre del Cros et du vaste cirque glaciaire du Bois Noir. 
A main gauche, la perspective s’ouvre sur la vallée de La Bertrande qui se profile comme une longue entaille escarpée jusqu’à de vagues lignes d’horizon bleutées, formées par les monts de Corrèze et le ciel lointain de la Dordogne. 
Le jour décline lentement, nappant la vallée d’un moutonnement de brumes laiteuses ourlées de reflets arc-en-ciel. 
Du haut de mon belvédère agreste, je savoure ces instants saisissants de beauté, de calme et de sauvage tendresse. Des échos tumultueux s’élèvent peu à peu, grandissent sourdement des sillons embués de la terre, égrènent les accents familiers d’une symphonie en marche : les clarines des troupeaux, mêlant leur multitude éparse dans un long concert vespéral. 
Devant moi, la route s’élève vers un but invisible, engageant le marcheur vers des régions et des limites incertaines, comme une destinée qui doit naturellement s’accomplir. 
Dans l’atmosphère mystérieuse du crépuscule, ce chemin solitaire revêt des apparences de rêve initiatique. Il est le fil du passé et de l’enfance, celui qui relie le pas de mes prédécesseurs jusqu’à ma propre existence, le fil du temps et des possibles avenirs tout autant que la fin du parcours et le début d’un nouveau voyage, et que je gravis à mon tour en silence. 
Je sais qu’aux lueurs de mon dernier soir, il m’apparaîtra encore, à l’approche de l’ultime détour, jusqu’au sommet flamboyant de la montagne… 

Honorius/Les Portes de Janus/ Août 2007

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