Les anciennes populations mégalithiques, dans le mouvement d’une aventureuse pérégrination depuis les steppes orientales s’arrêtèrent un jour au creux de ces hautes vallées désertes et inhospitalières du massif cantalien. Elles épousèrent cette terre abrupte comme une patrie faite à leur image, libre, fière et taciturne ; elles érigèrent les premiers foyers de pierre et ces vieux murs vicinaux qui se dressent encore au bord des chemins parmi la menthe et l’herbe folle.
Puis vint à son tour, il y a trois mille ans, le peuple des Arvernes : la complexion de ces Celtes, naturellement enclins à l’imagination rêveuse et au mystère, ne pouvait trouver meilleur asile que cette immense région escarpée, peuplées de forêts et de brumes, d’échos roulant dans les ravines, de cieux fantasmagoriques et de promontoires de géants.
Ils adorèrent les eaux comme autant de divinités : sources, torrents, cascades, clairs ruisseaux de montagne, où la roche primitive luit et affleure, bruissant de songes protecteurs. C’est à leur piété fruste que l’on devra plus tard ces vieux calvaires solitaires dressés à l’ombre des chênes, taillés dans cette grossière matière volcanique, aveugle et rugueuse comme le visage du Temps.
Puis ils se firent paisibles pasteurs, défrichant peu à peu les forêts originelles qui recouvraient jadis la planèze de leur profondeur inexploré. Sur ces plateaux d’altitude, au cœur sauvage de la Gaule Chevelue, la sylve céda la place au vaste horizon des pâturages qu’agite, comme un vert océan, la houle démontée des puys et des crêtes.
Du sol hérité des tumultes géologiques, l’homme tira la roche basaltique et la lauze, ces sombres matériaux dont il bâtit ses demeures austères. Elles se fondent en hameaux épars dans l’âpre physionomie du paysage et cette rude poésie de l’antique permanence des choses. Et puis le cours des âges s’est écoulé, léger et irrésistible comme une source dévalant les cimes sans mémoire. Là, une humanité valeureuse, obscure et stoïque a confié à la terre des cimetières presque oubliés le sédiment de ses générations disparues. Elles y reposent avec les siècles, sous les vieilles stèles moussues et penchées qui témoignent encore de leur lointain séjour terrestre.
Le fil d’une quête intime m’a conduit en ces lieux, à la racine du grand arbre de vie, parmi le chant universel des eaux vives et la lente rêverie des tintements pastoraux. Je perçois, dans le souffle qui hante ces vastes solitudes, l’évocation puissante du mystère de l’essentiel et de l’origine. Là, s’abreuve et s’élève l’éternelle liberté de l’homme.
Honorius/Les Portes de Janus/1999
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