22 juillet 2014. De retour au Bois Noir, près de La Peyre del Cros sur les hauteurs de Saint Projet. Temps couvert et frais, parfait pour une ascension. Le massif du Bois Noir, jadis hanté des loups, et dont le nom perpétue comme un souvenir inquiétant de Moyen-Âge, fut loué dès le milieu du 19ème siècle par l’historien de Ribier du Chatelet comme une des positions les plus attrayantes d’Auvergne : «D’une beauté romantique et sauvage », et d’après lequel « on ne saurait exprimer la sévère majesté qu’offre l’ensemble de ces lieux reculés au fond des montagnes ».
Le chemin s’ouvre devant nous en longue nef forestière, où moussent à foison des odeurs de feuilles ruisselantes et d’humus humide. Nous longeons des torrents impétueux, des cascades jaillissantes, aux embruns fumant sous les futaies profondes, réfractant en mille échos de jubilation la majesté du silence et de la solitude.
Le chemin s’ouvre devant nous en longue nef forestière, où moussent à foison des odeurs de feuilles ruisselantes et d’humus humide. Nous longeons des torrents impétueux, des cascades jaillissantes, aux embruns fumant sous les futaies profondes, réfractant en mille échos de jubilation la majesté du silence et de la solitude.
Il y a quelque chose d’épique dans cette tenace permanence des choses, dans ce souffle éphémère et sans cesse recréé du vivant qui effleure en infimes tressaillements la stoïque minéralité des siècles. Rien n’a changé de cette splendeur sauvage, depuis tant de cycles de l’existence humaine, où nous revenons comme en un lieu de pèlerinage à la rencontre du frisson des origines. Et lorsque nos corps périssables ne seront plus que cendre, lorsque nos âmes auront rejoint les régions de l’Ether, la roche et l’eau vive de ce monde terrestre scintilleront dans la même éternité.
Nos mains ont plongé dans l’onde glacée des sources, là où toute vie commence, nos visages s’y sont rafraîchis au cœur de l’été. Tout coule et rien ne subsiste de l’ombre fragile de nos pas. Dans ce lieu de pure immensité, tout sentiment, toute perception prennent de l’ampleur, une seconde contient à elle seule un éblouissement infini. L’idée du Néant réside aussi dans la sensation du Tout.
Nous passons le vaste territoire frémissant de la forêt, univers étrange où Clémence pensait pouvoir surprendre quelques elfes aux aguets et une licorne. Les dernières frondaisons font place à un gazon fleuri à merveille, pelouse fraîche et riante d’un jardin enchanté, où des ruisseaux primesautiers luisent sous le ciel comme des coulées de cristal. Une clarté de grand large nous enveloppe. Devant nous, la prairie s’élargit et s’élève en entonnoir jusqu’à la lisière des cimes, dans une perspective qui nous saisit de vertige.
Au loin, à flanc de montagne, deux vestiges de burons dressent encore leur vieille solitude délabrée, gardée face à l’Eternel par un troupeau éparpillé dans l’estive.
Le bruit sautillant de l’eau courante, qui tantôt enfle, s’éloigne, résonne et rebondit au gré de ses parcours, nous accompagne comme un chant d’allégresse dans notre ascension. Bientôt, nous dépassons les burons, mais la crête semble encore inaccessible. Le vent se lève par bouffées vigoureuses et l’ombre des nuages fauche le glacis des pentes en chevauchées rapides.
Il est des lieux et des instants sacrés, où loin, bien loin des cris et des agitations de la foule, le corps et l’esprit, gravissant des chemins de lumière, se dépouillent peu à peu de leurs scories inutiles. Ce moment unique a le goût purifiant d’une victoire sur soi-même.
Cette victoire nous tend enfin la main, car nous parvenons au sommet tant convoité, au prix d’un dernier effort enthousiaste de Jocelyne. Sous les vents des hauteurs, un nouvel horizon vertigineux s’offre à nos regards en direction de la vallée du Falgoux. Un moutonnement de forêts noires à force d’être sombres, battant comme des vagues déchaînées des falaises de roc, des lointains étincelants faits d’autres crêtes formidables, se déroulent à nos pieds vers d’autres voyages sans fin.
Nous voici sur le toit du monde, de notre monde, abandonnés au souffle majestueux de la Grande Paix, comme si, désormais, soudain libérés du poids du temps, nous n’avions plus d’autre rivage à désirer.
Honorius/Les Portes de Janus/Août 2014
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