dimanche 2 février 2020

LA BRUTE ET L'ENFANT

Saint-Romain-de-Popey, dimanche 2 février 2020 à 15h30.
Je me trouve dans le pré de ma jument, qui longe la rocade de la Gare (Je dis la rocade, car cette petite route a perdu depuis longtemps son caractère de voie rurale pour devenir une artère de transit). J'aperçois deux silhouettes de cyclistes monter en direction du centre bourg, le premier un adulte, le second un enfant qui pourrait être âgé d'environ huit à dix ans, peut-être même moins, à en juger par le son de sa voix, très aiguë et frêle, qui parvient jusqu'à moi. Il semble suivre l'adulte avec beaucoup de courage, à peiner sur cette voie abrupte d'autant que de nombreux véhicules les frôlent sans cesse à toute allure. Ce n'est pas la première fois que je m'étonne de constater l'irresponsabilité dont font preuve certains adultes à entraîner des enfants dans une situation aussi dangereuse. J'ai d'ailleurs toujours été étonné, de manière plus générale, de constater la prédilection qu'ont souvent les cyclistes de rouler sur les voies à grande circulation, au milieu du brouhaha, des camions, de la pollution et des risques énormes auxquels ils exposent leur sécurité, alors qu'il semblerait tellement plus agréable d'emprunter paisiblement les petites voies secondaires au coeur riant de la campagne (ou ce qu'il en reste, raison de plus de ne pas bouder ce plaisir).

L'enfant que j'observe semble peu à peu perdre du terrain derrière l'adulte, et je l'entends parler à celui, devant lui, qui pourrait donc être son père; je l'entends parler de sa petite voix grêle sur le ton interrogatif, mais je ne saisis pas le sens de ses paroles. Demande-t-il à son père de ralentir et de l'attendre, se plaint-il d'une douleur aux jambes, s'enquiert-il du temps qui les sépare du but ou de la distance restant à parcourir? Je ne sais.
Mais je perçois soudain la voix du père s'élever en ton violent de reproche. La petite voix grêle lui répond, mais l'adulte entre dans une colère noire et se met à hurler des paroles, que je ne saisis pas, sur un ton exaspéré de menace et d'injure, comme fou de rage. Je pense que si les mots de l'adulte avaient dû se traduire en actes, ils auraient été sûrement des coups portés à l'enfant. Les deux cyclistes continuaient cependant à gravir la pente et j'admirais vraiment le courage et l'endurance de l'enfant, qui devait à la fois supporter l'épreuve physique que lui imposait l'adulte tout autant que la dureté et la violence de ses imprécations. Le père cependant s'obstinait à hurler contre l'enfant, puis j'entendis de manière nette dans une vocifération de fureur couvrant tous les bruits de la route, ces mots infâmes : "Ferme ta gueule et avance!, répétées deux fois encore, dans un emportement qui aurait pu faire commettre un meurtre. Je vis ensuite disparaître les deux silhouettes, au-dessus de moi, derrière la ligne de crête, alors qu'elles atteignaient l'entrée du village, dans un écho faiblissant, où se mêlaient le filet clair et grêle de la voix de l'enfant et la rage ignoble de la brute qui devait se prétendre son père.
Je ne mesure pas assez la chance que j'ai d'habiter cette belle région: ses chasseurs qui tuent avec allégresse ce qui ne mérite plus de vivre, ses pesticides qui rendent nos grappes et nos cerises si joviales, ses bétonneurs qui exaltent nos terres et nos paysages, ses Guy Joyet et ses Michel Mercier et leurs rêves radieux d'autoroutes et de plate-formes industrielles, et puis ses sympathiques beaufs à vélo qui brutalisent leurs enfants.
Je me tourne vers ma jument Olga et, lui caressant l'encolure avec tendresse, je lui adresse doucement la parole: "Même à toi que l'on dit un animal, qui dors dehors et qui mange du foin parce que c'est ta nature, aucun être humain n'a été autorisé à te parler comme cette brute a parlé à son enfant".

Le 2 février 2020

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